Vices et vertus de la franchise immobilière.

Par Arnaud Boix, Avocat.

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Explorer : # franchise immobilière # contrat de franchise # obligations juridiques # transmission du savoir-faire

Dupliquer un succès commercial « gagnant-gagnant » en limitant les risques juridiques et financiers : Tels sont les objectifs du contrat de franchise de services immobiliers, poursuivis à la fois par le franchiseur et le franchisé. Or, il s’avère que, tant dans sa conclusion que dans sa mise en œuvre, le domaine de la franchise services immobiliers, activité réglementée, génère et répète un abondant contentieux.

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Vices et vertus de la franchise immobilière

Rappelons que c’est certainement la technique de commerce organisé la plus connue du grand public, et celle qui présente de surcroît le plus grand degré d’intégration des contrats de distribution existants.

Malgré cela, il n’existe pas, en droit français, de texte spécifique la réglementant, le contrat de franchise étant intégralement soumis aux règles du droit de la concurrence, telles que résultant notamment des dispositions du Code de commerce et de différents règlements européens.

Avant de s’engager et de conclure un contrat de franchise, il faut avoir à l’esprit la spécificité de la relation qui s’engage entre les deux parties.

Elle pourrait être résumée selon le schéma suivant : une personne, le franchisé, se place volontairement et sur du long terme (entre 5 et 10 ans au minimum, bien souvent le temps nécessaire à l’amortissement de son investissement) sous l’égide d’une autre, le franchiseur, afin de bénéficier avant tout du savoir-faire et de l’expérience de cette dernière.

La position du franchisé (bien souvent à la suite d’un changement de carrière professionnel) est dès lors quelque peu paradoxale puisque tout en gardant (en principe) une indépendance juridique, il adhère à un réseau dont il dépend le plus souvent opérationnellement et économiquement.

Ce paradoxe se vérifie particulièrement avec la franchise immobilière qui s’adresse davantage à des « managers », aux profils d’entrepreneurs et de commerciaux « affirmés », qui exploitent sur la base de la transmission d’un savoir-faire intellectuel, un concept connu sur un territoire de vente, qu’à des entrepreneurs désireux de développer un projet innovant.

Le contrat de franchise est une convention juridiquement complexe et un moyen délicat au service des objectifs poursuivis par ses deux acteurs.
Atteindre la réussite escomptée impose néanmoins d’en connaître les nombreuses contraintes juridiques au risque de transformer l’expérience d’un succès à réitérer en un conflit long et coûteux.

Dans cette perspective, il sera exposé au travers des principaux éléments constitutifs du contrat de franchise de services immobiliers, ses risques et ses enjeux pour les parties deux afin de mieux les appréhender, situation qui n’ont toutefois pas la prétention d’être exhaustives.

1) Sur l’obligation d’information pré contractuelle

Afin de convaincre son futur partenaire, le franchiseur doit transmettre 20 jours avant la conclusion du contrat, un document d’information pré-contractuelle qui a pour but d’informer le candidat franchisé sur l’identité du réseau, l’état et les perspectives du marché.

Régie par les articles L. 330-3 et R. 330-1 et suivants du code de commerce (Loi Doubin, cette obligation de transparence n’est pas spécifique à la France. Elle est consacrée aux États-Unis, en Espagne, en Italie, au Canada, en Belgique, en Australie, en Chine.

Cette obligation est d’ordre public. Le franchiseur ne peut s’y soustraire sous peine d’être sanctionné pénalement par une contravention de 5e classe. Bien sûr, à ce stade de la relation, il n’est pas légalement tenu de dévoiler le détail des éléments constitutifs de son savoir-faire qui sont des éléments hautement concurrentiels.

Les obligations délivrées sur la notoriété du réseau, les perspectives de rentabilité ou l’état du marché doivent être communiquées et être réalistes.
À défaut, le franchisé est en droit de demander l’annulation du contrat pour manœuvres dolosives et exiger le remboursement de l’éventuel droit d’entrée, de l’intégralité des redevances payées au franchiseur en plus de dommages et intérêts.

Une telle sanction est prononcée si les juges saisis considèrent que les informations transmises ont été déterminantes pour le franchisé.

A titre d’exemple, la Cour de cassation a retenu l’annulation du contrat de franchise conclu sur la base de chiffres prévisionnels exagérément optimistes au regard de l’écart très important qu’ils présentent avec les chiffres d’affaires réalisés par la société franchisée, à laquelle il n’était reproché aucune faute de gestion (Cass.com. 12/06/2012, n°11-19.047).

Malgré la volonté du franchiseur de ne pas vouloir tout dévoiler de l’originalité de son concept dans ce marché des services immobiliers hautement concurrentiel, l’information pré contractuelle a tout intérêt à dépasser le seul niveau d’obligation légale requis par la Loi Doubin.

Plus l’information pré contractuelle est transparente et complète sur le concept de franchise de services immobiliers plus elle est censée garantir un engagement du franchisé plein et sincère, et, par-là, les chances d’une réitération avec succès du concept du franchiseur.

Elle permettra aussi d’éviter l’écueil du large contentieux qui s’est développé sur le fondement du droit commun du contrat, et, du vice du consentement en particulier qui peut porter tant sur les perspectives de rentabilité que sur le bon fonctionnement du réseau ou la consistance même de la franchise (tout particulièrement son savoir-faire et ses applications pratiques).

En cela l’information pré contractuelle s’inscrit entre vice et vertu.

Cela étant dit, l’intégration à un réseau de franchise n’est pas une garantie de succès automatique. Un franchisé ne peut demander réparation au franchiseur si son exploitation ne rencontre pas le succès espéré, sauf naturellement s’il démontre l’existence de manquements du franchiseur qui ne respecte pas ses obligations d’assistance permanente et de transmission du savoir-faire.

2) Sur la transmission du « savoir-faire »

Le principal intérêt de la franchise de services immobiliers est de proposer au franchisé un concept « clé en main » accessible par la transmission d’un savoir-faire principalement intellectuel, constitué de méthodes, d’applications et d’informations techniques et commerciales.

Il correspond à un ensemble de connaissances pratiques résultants de l’expérience du franchiseur.

Il doit être identifié, mais à la fois, rester secret (pour se protéger de la concurrence) et substantiel.

La transmission du « savoir-faire » par le franchiseur est la cause objective de l’engagement du franchisé, en même temps, qu’il est l’élément central du contrat de franchise et certainement le plus hautement concurrentiel des éléments à fournir au franchisé dans le domaine de la franchise de services immobiliers.

Bien qu’usuelle, la remise d’une « bible » ou d’un manuel détaillant le savoir-faire n’est pas requis (CA Toulouse, 18 nov. 2020, RG n°19/00757).
Le respect de cette obligation par le franchiseur se prouve par tous moyens et il doit se faire tout au long de l’exécution du contrat.

À cette fin, le franchiseur doit faire en sorte d’assister le franchisé de manière continue en lui apportant de manière complète et permanente la formation commerciale et technique nécessaire au développement de son commerce.
Afin d’acquérir la maîtrise du savoir-faire, le franchisé doit bénéficier de son franchiseur de formations sur mesure, d’une assistance continue et d’outils de management lui faisant notamment économiser du temps et des investissements.

Dans le domaine de la franchise de services immobiliers, dont les concepts actuels sont à la fois multiples et aux applications proches, ces formations se doivent plus particulièrement d’être longues et composées d’une partie théorique et d’une partie pratique sur le terrain, en immersion dans un point de vente.

L’assistance du franchiseur est indispensable à la mise en œuvre du savoir faire du franchiseur par le franchisé. Elle prend des formes diverses (animateur, réunion, incentive).

Toutes les applications des services proposés par le franchiseur doivent être transmises aux fins d’être maitrisées et exploitées par le franchisé.
Elle n’est cependant pas forcément quantitative mais elle doit être en tout état de cause être qualitative et c’est le contrat de franchise qui le détermine.
Le plus souvent, elle demeure contractuellement à la volonté du franchiseur une obligation de moyen.

D’ailleurs quand la liberté contractuelle prévaut, il n’est pas rare que l’assistance du franchiseur soit étendue au choix du local d’exploitation (CA Paris, 15 fév. 1995, n°1995-021422), à la négociation de l’emprunt (Com. 26 fév. 2002, n° 99-14.283), à la tenue d’une comptabilité (Com. 19 févr. 1991, n°89-19.809), à la maitrise des outils informatiques dont l’utilisation est « conseillée » au franchisé pour l’exercice de son activité (V. CA Paris, P.5, ch. 4, 10 mai 2017, RG n°14/201469).

L’assistance doit toutefois se garder de porter atteinte à l’indépendance du franchisé qui demeure un commerçant indépendant juridiquement.

A la transmission du savoir-faire, s’adosse accessoirement le devoir de conseil du franchiseur en matière d’obligations de conseil des prestataires de service, obligation du franchiseur reconnue par la jurisprudence comme un moyen participant à la consolidation de la réitération avec succès du concept du franchiseur.

Transparence et équilibre gouvernent donc cet élément essentiel constitutif du contrat de franchise et pivot de sa validité comme de son efficacité.
Dans son principe, la transmission du savoir-faire apparait bel et bien comme une vertu, une force fondamentale du concept de franchise immobilière, en même temps, qu’elle peut être un vice, une faiblesse dans sa mise en œuvre par le franchiseur au regard de la qualité du savoir-faire à transmettre (« substantiel, expérimenté, identifié ») et de sa portée.

Relevons que des contrats de distribution ou de représentation existants (licence, concession, agent commercial, mandataire) le contrat de franchise est le seul intégrant la transmission d’un savoir faire associée à une assistance permanente conditions préalables (mais néanmoins non suffisantes) de la réitération d’un succès commercial.

3) Sur le respect de l’image du réseau

L’engagement du franchisé est motivé par le souhait de profiter de la notoriété du réseau du franchiseur que le public identifie à partir de signes distinctifs de ralliement de la clientèle : la marque, l’enseigne, le nom commercial.

En tant que garant de l’unité du réseau et de sa réputation, il incombe donc au franchiseur de mettre à disposition du franchisé ses signes distinctifs que ce soit par le contrat de prêt d’enseigne ou la concession de licence de marque.
Le franchiseur doit par ailleurs garantir une jouissance paisible de sa marque à son franchisé. À ce titre, il doit veiller à renouveler son dépôt et engager les poursuites qui s’imposent contre les tiers qui utiliseraient abusivement les signes distinctifs de son réseau.

La carence du franchiseur dans ce domaine l’expose à engager sa responsabilité civile envers tout franchisé victime d’agissement déloyal ou anticoncurrentiel.

Responsable de son réseau, le franchiseur doit mettre en place une certaine discipline pour en assurer la cohérence à l’égard du public. Dans ce but, le franchiseur doit veiller au bon usage de sa marque par le franchisé qui sera contraint de mettre en œuvre la communication du franchiseur, la stratégie marketing du réseau ainsi que l’ensemble des éléments d’identification : agencement, ameublement, décoration, usage de certains matériels et règles commerciales.

A cet effet, il n’est pas rare que le contrat prévoit une redevance publicitaire à la charge du franchisé qui doit rémunérer les actions publicitaires du franchiseur au niveau national (mailing, sms, films publicitaires, spots radio….).

Dans un souci d’équilibre, et afin d’éviter aux parties que vertu ne devienne vice, il est indispensable de prévoir une clause imposant au franchiseur de justifier de ses investissements et dépenses en la matière.

Toute la transparence doit exister en la matière du franchiseur au risque de voir la redevance de marque devenir une rente de situation pour ce dernier sans réelle contrepartie pour le franchisé.

Au plan local, la communication reste principalement l’apanage du franchisé dont les actions sur le terrain sont cependant soumises à l’agrément préalable du franchiseur afin d’assurer une cohérence dans la visibilité de l’enseigne.
Autrement dit, l’avantage concurrentiel conféré par la notoriété de l’enseigne a forcément pour corollaire l’amenuisement de l’indépendance du franchisé qui se doit de mettre en conformité ses actions avec l’image du réseau et payer un droit d’entrée proportionnel aux avantages procurés à son intégration au réseau.

4) Sur l’intégration au réseau

L’intégration à un réseau de franchise immobilière, le paiement d’une redevance initiale appelé « droit d’entrée » indépendante de toute prestation fournie par le franchiseur.

Une nouvelle fois, l’assujettissement du franchisé refait surface derrière cette obligation qui s’apparente fortement à une adhésion à l’image du franchiseur, comme à sa notoriété.

On peut relever le caractère « intuitue personae » des liens contractuels unissant franchiseur et franchisé à l’aune des conséquences juridiques d’une prise de contrôle du franchiseur par un tiers, laquelle aux yeux de la jurisprudence peut dans certaines conditions justifier la résiliation du contrat de franchise, et ce, dès lors que leurs rapports ont été considérés comme particulièrement liés à l’identité du réseau et à la personnalité de ses dirigeants.

Néanmoins, il convient de souligner que le franchisé intègre justement le réseau de franchise pour profiter des investissements et moyens mis en place par le franchiseur pour bâtir son réseau.

Le « droit d’entrée » apparaît donc légitime surtout si le réseau bénéficie d’une forte notoriété et d’une substantielle efficacité commerciale (notamment en termes de mandats entrés et de transactions réalisées).

Selon ce même raisonnement, le franchisé est débiteur d’une redevance d’exploitation indexée sur le chiffre d’affaires réalisé, avec parfois un barème dégressif.

Certains contrats prévoient un contrôle des résultats réalisés par le franchisé, astreint à l’obligation de transmettre ses liasses fiscales ponctuellement ou encore par le biais de logiciels sous contrôle du franchiseur.

Dans tous les cas, le contrôle a une raison d’être, puisqu’il permet d’apprécier la réalité et le degré de la maîtrise du savoir-faire transmis par le franchiseur mais il ne doit pas se transformer en immixtion, au risque pour le franchiseur d’être qualifié de dirigeant de fait et/ou de voir le contrat requalifié.

Le rattachement à un réseau de franchise immobilière offre le plus souvent au franchisé le bénéfice d’une clause d’exclusivité territoriale au profit du franchisé.

Elle est indispensable au franchisé afin de maîtriser son territoire d’exploitation au tant qu’elle est une obligation impérieuse pour le franchiseur à devoir respecter afin de se garantir l’équilibre, la cohérence et le succès de son réseau.

La poursuite d’une multiplication des redevances en matière de franchise immobilière serait de toute évidence contreproductive.

La concurrence loyale que se doit d’organiser par cet outil juridique le franchiseur en son réseau cristallise nombre de contentieux.

Rédigée de manière plus ou moins précise, cette clause interdit l’installation du franchiseur et/ou d’un autre franchisé dans le territoire concédé.

Ce droit à la paternité exclusive d’un territoire commercial est particulièrement important dès lors que la transaction immobilière est caractérisée par une dynamique territoriale des biens à vendre et à prospecter.

En somme, il apparaît que l’appartenance à un réseau de services immobiliers représente un sérieux atout commercial pour le franchisé en contrepartie duquel il consent à aliéner une partie de son indépendance.

5) Sur le terme du contrat de franchise

Qu’elle soit amiable ou judiciaire, qu’elle intervienne au terme du contrat ou de manière anticipée, ou par cession, le terme d’un contrat de franchise est une étape délicate aux lourdes conséquences juridiques.

Le plus souvent, les contrats de franchise immobilière sont conclus pour une durée déterminée. Dans ce cas, la résiliation du contrat avant le terme suppose d’emprunter la voie judiciaire en invoquant un manquement grave de l’autre partie au contrat (article 1224 code civil). Il est bien sûr possible aux parties de s’en remettre à un tribunal arbitral ou d’opter pour une médiation ou un protocole d’accord transactionnel. Ces solutions confidentielles sont moins chronophages et moins néfastes pour l’image du réseau.

Si les parties optent toutefois pour la voie judiciaire, il est recommandé de prévoir une clause résolutoire qui énonce les manquements graves susceptibles de provoquer la résiliation. À défaut, la gravité de la faute sera entièrement soumise à l’appréciation souveraine du juge.

Les motifs les plus souvent invoqués pour rompre le contrat de franchise immobilière, sont l’absence de transmission de savoir-faire, de qualité du savoir-faire transmis, d’assistance, la présence de clauses d’exclusivité et/ou de non-concurrence, de non-rétablissement excessives.

A cet égard, rappelons que la clause de non-concurrence ou de non-rétablissement est généralement considérée comme valable par les tribunaux si elle sert à protéger l’intérêt légitime du franchiseur, si elle est limitée dans le temps, dans l’espace et si elle est proportionnée à la protection du réseau à l’originalité et au savoir-faire indéniables.

D’évidence, la protection du savoir-faire du franchiseur constitue le motif légitime traditionnelle des clauses de non-concurrence post-contractuelles souvent couplées à des obligations de confidentialité, de non-rétablissement ou de non-ré affiliation à un autre réseau. A l’aune de ce principe, il convient donc de rédiger avec justesse la portée de ces interdictions qui ne peuvent entraver la liberté de commerce du franchisé…désireux de (re)trouver une véritable indépendance.

Au travers des principaux éléments constitutifs du contrat de franchise immobilier, ce contrat de distribution apparait bel et bien comme un engagement réciproquement fort des deux parties mais il est en même temps, ce qui pourrait paraître comme un paradoxe, un engagement extrêmement fragile.

Arnaud Boix, Avocat
Cabinet Eloquence
Avocats Associés
www.eloquence-avocats.com

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