Dans une affaire opposant un auteur à deux éditeurs dont l’un avait cédé son fonds intitulé « Fonds de Science Politique » à l’autre, un auteur dont l’ouvrage fut cédé dans le cadre de la dite cession a engagé la responsabilité des deux éditeurs, faisant notamment valoir que la cession intervenue entre les deux éditeurs avait été faite en fraude de l’article L 132-16 du Code de la Propriété Intellectuelle.
Dans un arrêt du 18 mars 2011, la Cour d’Appel de Paris a considéré qu’en l’espèce, la cession intervenue ne portait pas sur l’ensemble des actifs du fonds de sciences politiques cédé.
Les magistrats ont relevé qu’il n’était cependant pas contestable en l’espèce que le cédant était fondé à céder son fonds constitué par la branche d’activité relative au fonds de sciences politiques à laquelle était rattachée une clientèle propre, mais que la cession pour opérer automatiquement à l’égard de l’auteur, devait comprendre tous les éléments d’actifs qui la constituaient.
Or en l’espèce, et selon les juges, tel n’était pas le cas puisque lors de la cession, certains ouvrages appartenant à la branche d’activité cédée étaient restés dans le fonds de l’éditeur cédant.
Dès lors, l’éditeur cédant n’avait pas cédé l’universalité de l’actif défini dans l’acte de cession, mais seulement certains des actifs en cause.
La Cour a donc considéré qu’en n’avisant pas préalablement l’auteur de la cession envisagée, une faute avait été commise dont les éditeurs devaient solidairement réparation.
Les magistrats ont relevé dans cette décision, que le préjudice de l’auteur consistait dans le fait qu’il avait été privé de toute possibilité de négociation au moment du transfert des contrats d’édition.
Il faut cependant préciser que dans cette affaire, le principal argument de négociation qui aurait pu être opposé par l’auteur, à savoir la menace de résiliation judiciaire de son contrat, possibilité que lui donnait l’article L 132-16 du Code de la propriété intellectuelle, ne pouvait plus être mis en avant par ce dernier, car l’éditeur cessionnaire, avait entre temps, résilié le contrat d’édition en raison du peu d’exemplaires vendus, ce qui était parfaitement conforme aux dispositions contractuelles.
Dès lors, la Cour ne pouvait plus statuer sur une éventuelle demande de résiliation judiciaire du contrat d’édition, qui aurait bien sûr, pu être assortie de dommages et intérêts substantiels.
En l’espèce, la Cour a observé que le préjudice ne saurait être de l’importance avancée par l’auteur dès lors qu’il n’était nullement établi en l’espèce que le transfert dans une autre maison d’édition aurait été à l’origine d’une mauvaise distribution de l’ouvrage. La Cour a donc condamné solidairement les deux éditeurs au paiement d’une somme de 800 euros à titre de dommages et intérêts à l’auteur.
Par ailleurs, dans cette affaire, l’éditeur cessionnaire avait demandé la garantie de l’éditeur cédant, en cas de condamnation intervenant à la demande de l’auteur.
La Cour rejette cette demande de garantie, au motif que la condamnation prononcée n’est pas relative à des manquements contractuels mais à une violation de l’article L 132-16 du Code de la Propriété Intellectuelle, le cessionnaire, professionnel dûment averti se devant de vérifier, au cours des négociations préliminaires à la cession, si l’ensemble du fonds était bien cédé.
Quels enseignements tirer de cet arrêt ?
La réponse à cette question semble à première vue, assez simple, en dépit des incertitudes passées, concernant l’application de l’article L132-16 du Code de la Propriété Intellectuelle.
Le principe est que si l’intégralité du fonds (ou de la branche d’activité du fonds) est bien cédé, l’autorisation préalable des auteurs dont les ouvrages sont cédés n’est pas requise. Que cependant, si l’intégralité des actifs de la branche d’activité n’est pas cédée, dans ce cas il faut en aviser les auteurs préalablement au projet, et obtenir leur autorisation.
En négligeant cette étape, les éditeurs cédant et cessionnaires engagent solidairement leur responsabilité délictuelle, à l’égard des auteurs.
En pratique, force est de constater que tout ne sera pas aussi simple.
En effet, il conviendra d’abord de définir scrupuleusement, avant même la rédaction de l’acte de cession, les contours du fonds cédé, et ce, sans ambigüité. La question qui se posera inévitablement sera celle de savoir, à partir de quand on considère être en présence d’une cession d’un fonds (ou d’une branche d’activité), ou seulement d’un certain volume d’ouvrages, relevant d’une collection sans pouvoir être rattachés à une branche d’activité. Dans la présente affaire, les magistrats ont justement considéré qu’il n’y avait pas de cession de fonds au sens de l’article L 132-16 du Code de la Propriété Intellectuelle, car, selon eux, une telle cession doit comprendre tous les éléments d’actifs qui le constituent. Or en ne cédant pas certains ouvrages de science politique, le cédant n’avait donc pas véritablement cédé la branche d’activité concernée, puisque certains des actifs n’avaient pas été cédés.
Évidemment la question qui ne manquera pas de se poser, concernera le fait de savoir à partir de quand on va considérer que la branche est cédée ou non. Le critère ne sera pas forcément quantitatif, il pourra aussi être qualitatif, puisque certains titres peuvent en effet représenter un élément caractéristique majeur d’une branche d’activité et d’autres pas.
Il semblerait qu’en pratique, les parties aient intérêt, préalablement à toute cession de branche d’activité, à définir de manière précise, les ouvrages relevant de cette branche d’activité et à bien vérifier que tous les ouvrages en relevant soient transmis, sinon, les auteurs concernés pourraient parfaitement contester la cession.
Bien sûr, et dans un souci de sécurité juridique évident, mieux vaudra avoir une vision assez large du périmètre de la cession, et ne pas admettre trop facilement d’écarter des ouvrages, dont l’objet pourrait se trouver appartenir à deux branches d’activité différentes.
En l’espèce les magistrats, il est vrai, n’ont guère eu de difficulté d’appréciation de ce type, car les ouvrages restés dans le fonds documentaire d’origine, relevaient sans contestation possible, de la branche d’activité de Sciences Politiques.
L’autre enseignement de cet arrêt, tout aussi intéressant est celui de la sanction qui résulte du non respect des dispositions de l’article L 132-16 du Code de la Propriété Intellectuelle.
Point de nullité de la cession, intervenue au mépris de l’article L 132-16 du Code de la Propriété Intellectuelle, le transfert du contrat d’édition n’étant pas remis en cause, selon les magistrats, et la décision, sur ce point est fort heureuse. Il est vrai qu’à première vue, l’article L 132-16 du Code de la propriété intellectuelle n’indique pas que les cessions des contrats d’édition intervenues hors cession du fonds de commerce, sont nulles et de nul effet.
Cela dit, le texte dispose malgré tout que la cession intervenue hors fonds de commerce, doit être préalablement autorisée par l’auteur. Dès lors, la cession intervenue en l’espèce était intervenue sans autorisation de l’auteur. Chacun pourra donc tirer les conclusions qui s’imposent, lorsqu’on est en présence de l’exploitation d’une œuvre intervenue sans autorisation.
Ce n’est pas la direction qu’ont choisi les magistrats, qui fort heureusement, considèrent qu’il s’agit là d’une faute de nature délictuelle (et non pas contractuelle) engageant la responsabilité des éditeurs, puisqu’ils relèvent « qu’en n’avisant pas préalablement l’auteur de la cession, en violation des dispositions de l’article L 132-16 du Code de la Propriété Intellectuelle, une faute a été commise, dont les éditeurs doivent réparation. ». Le préjudice, selon les magistrats, réside dans le fait que l’auteur a été privé de toute possibilité de négociation au moment du transfert des contrats d’édition.
Cette interprétation est parfaitement conforme à la lettre et à l’esprit de l’article L 132-16 du Code de la propriété intellectuelle. En effet, le 2ème alinéa de cet article prévoit bien qu’en cas d’aliénation du fonds de commerce, si celle-ci est de nature à compromettre gravement les intérêts matériels et moraux de l’auteur, celui-ci est fondé à obtenir réparation même par voie de résiliation judiciaire.
Certes, le texte n’a pas prévu de façon expresse, les conséquences d’une cession sans autorisation préalable, lorsque celle-ci est nécessaire, puisqu’intervenue hors le cadre de la cession du fonds de commerce, comme c’était le cas en l’espèce. Mais l’esprit de cette disposition est bien de prévoir une réparation au profit de l’auteur dont les intérêts n’auraient pas été respectés, et non pas une remise en cause systématique de la cession. L’idée est de donner une option à l’auteur, qui peut soit demander réparation, en ne remettant pas forcément en cause la cession, soit obtenir résiliation de son contrat, ce qui est parfaitement logique. On ne peut forcer la cession du contrat si l’auteur a de sérieux motifs de s’y opposer. En l’espèce ce point précis n’avait toutefois pas été soumis à l’analyse des magistrats, car comme indiqué précédemment, le contrat d’édition avait déjà été résilié par l’éditeur cessionnaire, en raison du peu d’exemplaires vendus, les magistrats ayant considéré cette résiliation comme étant conforme aux dispositions contractuelles liant l’auteur et l’éditeur.