En réaction à cette ordonnance, l’Etat de Washington puis celui du Minnesota ont cherché à faire invalider l’ordre exécutif précité, ainsi qu’à obtenir du juge qu’il accorde une ordonnance empêchant les défendeurs fédéraux de mettre en œuvre cette ordonnance.
La procédure américaine de l’ORT (ordonnance restrictive temporaire) est comparable à notre procédure de référé en France, puisqu’il s’agit d’un recours qui ne peut être accordé que s’il est démontré que le demandeur aura certainement gain de cause sur le fond, qu’il va potentiellement être victime d’un préjudice irréparable en l’absence d’injonction préliminaire, que l’équité penche en sa faveur, et que l’injonction sert l’intérêt public.
L’ordonnance du 3 février 2017 a relevé que les États demandeurs avaient démontré avec succès qu’ils risquaient de subir un préjudice immédiat et irréparable résultant de la signature et de la mise en œuvre de l’ordre exécutif.
L’ordonnance relève, ce qui est particulièrement intéressant, que l’ordre exécutif a des impacts négatifs sur les résidents des États dans les domaines de l’emploi, l’éducation, le commerce, les relations familiales, et la liberté de circulation.
Ces dommages, nous dit l’ordonnance, s’étendent aux États, en raison de leur rôle en tant que parens patriae desdits résidents vivant au sein de leurs frontières.
Par ailleurs relève le juge, les États eux-mêmes sont victimes d’un préjudice résultant de ce que la mise en œuvre de l’ordre exécutif a eu des répercussions sur les opérations et missions des universités publiques et autres institutions d’enseignement supérieur, ainsi que sur les opérations, taxes et fonds publics des États.
Ces dommages sont substantiels, et continus, nous dit le juge.
On le voit, le juge relève ici que les victimes potentielles sont non seulement les individus, mais aussi les États, on attendrait presque la notion d’intérêt général, en droit public français, mais elle est clairement sous-jacente dans le raisonnement suivi par le juge.
La conclusion de l’ordonnance est encore plus édifiante à ce sujet.
Le juge indique, et une telle justification s’imposait au regard du contexte très sensible du dossier, que le rôle du tribunal n’est pas de créer des politiques et de juger la sagesse de n’importe quelle politique soutenue par les deux autres branches, que sont le législatif et l’exécutif.
Le rôle du judiciaire, de ce tribunal nous dit le juge, est limité à s’assurer que les actions entreprises par les deux autres branches sont conformes « aux lois de notre pays, et surtout, de notre Constitution. »
En droit administratif français, un tel rappel n’eut probablement pas été nécessaire, tant nos juges sont habitués à appliquer ces principes depuis longtemps.
C’est beaucoup moins naturel pour le juge américain, qui indique que « la question plus spécifique que le tribunal se doit de considérer, est celle de savoir s’il est approprié d’accorder une ORT contre certaines actions entreprises par l’exécutif dans le contexte spécifique à cette affaire.
Bien que la question soit délicate, le tribunal a conscience de l’impact considérable que sa décision aura sur les parties présentes ainsi que sur la branche exécutive de notre gouvernement et sur les citoyens de ce pays ainsi que ses résidents. »
Le tribunal conclut que les circonstances amenées devant lui sont telles qu’il doit intervenir afin de remplir son rôle constitutionnel au sein de notre gouvernement tripartite.
La bataille judiciaire est loin d’être finie, compte tenu des recours exercés contre cette décision, mais elle va certainement contribuer à développer plus amplement des notions de droit public aux États-Unis, que notre vieux continent connaît bien… Avis aux spécialistes de droit public, on va avoir besoin de vous.