Cette prédominance du règlement amiable est vraie pour les affaires civiles ; ça l’est tout particulièrement pour les affaires devant les tribunaux anglais du travail (Employment Tribunals) chargés de trancher les litiges entre employeurs et salariés. Selon les données statistiques britanniques pour l’année 2012, 60 % des 230.000 saisines des Employments Tribunals ont été ou bien conciliées formellement ou bien retirées (ce laisse soupçonner une transaction hors tribunal). A titre de comparaison et selon les données du ministère de la Justice français pour la même année 2012, sur 158.391 affaires en Conseil de Prud’hommes, seulement 17% ont été ou bien conciliées ou retirées après désistement du demandeur. Certains esprits pourraient penser que pendant que les Gaulois se battent, les Angles et les Saxes économisent leurs temps et leur argent. Toutefois, la différence de culture entre Français et Anglais ne semble pas seule fournir une explication mais surtout la différence de législation.
En droit du travail français, la loi ainsi que la jurisprudence sont intervenues pour compliquer la signature d’un règlement amiable : la condition essentielle d’une transaction de droit du travail français est que le document prévoit des concessions réciproques et réelle des parties [1], ce qui signifie concrètement que l’employeur doit verser au salarié une indemnité transactionnelle sérieuse au regard du risque de condamnation prud’homale encourue. Au surplus, la transaction ne peut être conclue avant la notification du licenciement (il est craint que le salarié sous lien de subordination ne signe un accord en sa défaveur - Cass. soc. 14-6-2006 n°04-43.123). Enfin, on constate que la transaction de droit français est susceptible d’être grevée de toutes sortes de prélèvements sociaux, fiscaux et autre éventuel forfait social en fonction du dépassement de plafonds légaux (notamment 2 fois le PASS pour les cotisations sociales soit 75.096 € maximum pour 2014).
Tout au contraire en droit du travail anglais, le législateur a fait le maximum pour encourager les parties à conclure une transaction. The Enterprise and Regulatory Reform Act 2013 a apporté des réformes substantielles applicables depuis le 29 juillet 2013 en Angleterre. Tout d’abord, il est mis en ligne des modèles légaux ("templates") de settlement agreement que les salariés et les employeurs peuvent conclure pour mettre fin au litige. Par ailleurs, les conditions de validité de la transaction de droit anglais apparaissent très légères :
• la transaction doit être établie par écrit
• la transaction doit viser la procédure ou les plaintes qu’elle entends compromettre
• surtout, le salarié doit avoir reçu les conseils préalables d’un "independant adviser", en pratique un solicitor clairement identifié dans le document.
Le non respect de ces trois conditions est sanctionné par la nullité absolue de la transaction, en particulier la dernière condition. En pratique, le solicitor remet au salarié un "adviser’s certificate" qui est joint au settlement agreement. La récente loi anglaise a surtout apporté une innovation remarquable : les discussions transactionnelles entre le salarié et l’employeur sont désormais inadmissibles dans une procédure prud’homale devant l’Employment Tribunal (section 111A of Employment Rights Act 1996). La loi prévoit bien entendu une série de dérogations, par exemple en cas de discrimination. Pour arriver à un résultat équivalent en France, il faudrait tout d’abord que les parties désignent chacun un avocat lesquels pourront poursuivre des discussions couverts par la confidentialité, ce qui n’est pas très pratique.
Enfin, autre avantage de taille d’une transaction en droit du travail anglais : il n’existe en principe aucune charge sociale patronale et salariale (National Insurance Contributions) sur la transaction, quelque soit son montant. Seul l’impôt sur le revenu (Income Tax) est dû si le montant de la transaction dépasse £30,000, c’est à dire €36.000 (sections 401 to 416 of Income Tax [Earnings and Pensions] Act 2003).
Il vaut ainsi mieux respirer l’air frais de Londres si on ambitionne de conclure un accord amiable à la suite d’un licenciement.