Comment envisager l’avenir ?
A la tête des Comores depuis 2016, Son Excellence, le Président Azali Assoumani, s’est évertué depuis sa prise de fonction à ce que soient réalisés des projets structurants d’envergures, définis en fonction d’une politique économique et sociale pensée sur le moyen et long terme. Ces projets sont matérialisés à travers le plan Comores Émergent (PCE), fer de lance de la politique nationale, qui vise à ce que les Comores atteignent l’émergence à l’horizon 2030. L’entendue thématique du PCE est large et recouvre plusieurs volets, parfois difficiles à percevoir pour des observateurs extérieurs mais extrêmement importants pour la vie quotidienne des habitants du pays.
Le plan Comores Émergent (PCE), tel qu’il est conçu, est une feuille de route stratégique d’une importance capitale pour la nation. Il vise à catalyser la croissance économique, à renforcer la compétitivité et à améliorer les conditions de vie de la population comorienne, tout en s’inscrivant dans une perspective de développement durable.
Le PCE reconnaît que la justice joue un rôle fondamental dans la réalisation de ces objectifs. Plus précisément, le rôle de la justice dans le PCE est double :
Tout d’abord, elle est essentielle pour garantir un environnement juridique et règlementaire stable et propice aux investissements. Un système judiciaire fiable, transparent et efficace est essentiel à la fois pour renforcer la confiance des investisseurs tant nationaux qu’étrangers et mieux protéger les droits de toutes les parties prenantes dans le domaine économique. La justice doit être un pilier sur lequel repose la sécurité juridique et judiciaire, garantissant ainsi un climat propice aux affaires et à l’entrepreneuriat.
Ensuite, la justice joue également un rôle crucial dans la résolution des conflits économiques et commerciaux. Dans un environnement en croissance, où les litiges peuvent survenir à tout moment, une justice rapide, efficace et équitable est nécessaire pour les résoudre. De même, la garantie de mise en application effective, efficace et fiable des contrats ainsi que des règles commerciales est une condition préalable pour redorer la confiance des acteurs économiques, renforcer l’investissement pour la stabilité économique des Comores.
Pour renforcer le système judiciaire Comorien, afin qu’il réponde pleinement aux objectifs du (PCE), il est important de souligner que des efforts ont été initiés sur plusieurs plans notamment : dans la formation des nouveaux magistrats, des nouvelles réorganisations, dans l’adoption des nouvelles lois ainsi que dans les discours forts en faveur d’une justice plus efficace et équitable.
Cependant, malgré les efforts louables déployés, le constat demeure que la confiance du public envers la justice comorienne s’effrite et notre système perd en légitimité. Dans ce contexte, nous avons entrepris des recherches approfondies qui nous ont conduites à comprendre les raisons sous-jacentes de cette perte de confiance et d’efficacité au sein de notre système judiciaire.
Dans les recherches menées, nous avons constaté et estimé, dans un premier temps, que le pluralisme juridictionnel aux Comores est l’une des causes principales.
Le pluralisme juridictionnel aux Comores est un aspect fondamental du système judiciaire comorien, qui, actuellement, est marqué par une coexistence de la justice traditionnelle et formelle, chacune ayant ses propres règles ainsi que ses avantages et ses inconvénients. De ses inconvénients, il a conduit à une fragmentation du système juridictionnel qui nuit à la cohérence et à l’unité de l’ordre juridique national. Les règles se superposent, se contredisent, et s’enchevêtrent de manière à rendre difficile, voire impossible, leur application cohérente par les juges. La coexistence de la justice traditionnelle et des tribunaux formels, renforcée par le dualisme juridique existant aux Comores, crée un environnement où les conflits de compétence sont fréquents ; de même que les incohérences suscitées dans l’application de la loi - les décisions coutumières peuvent être contestées ou invalidées par les tribunaux formels qui appliquent des lois codifiées. L’ensemble de ces considérations crée une incertitude juridique de nature à déstabiliser le climat des affaires, dans la mesure où les entreprises et les investisseurs peuvent être confrontés à des décisions contradictoires selon qu’une affaire est traitée par une juridiction coutumière ou formelle.
En tout état de cause, le pluralisme juridictionnel existant laisse apparaître une dissonance apparente entre le système judiciaire actuellement en vigueur aux Comores et les impératifs incontournables en faveur de la promotion d’un développement économique durable au sein de cette nation. Cette dissonance du système en place avec les aspirations au développement économique durable témoigne non seulement de la complexité intrinsèque, issue non seulement de l’histoire singulière des Comores et des influences multiples de civilisations étrangères toujours existantes, mais également de la nécessité d’harmoniser les héritages historiques comoriens avec les besoins contemporains.
Concomitamment au pluralisme sus-évoqué, le système juridictionnel comorien est également caractérisé, dans un second temps, par une lenteur et une inefficacité procédurale qui nuisent à la sécurité juridique et judiciaire ; pilier essentiel du développement économique durable. En raison de la multiplicité des normes et de la complexité des procédures, les affaires judiciaires se prolongent souvent sur de longues périodes, créant une insécurité pour les justiciables et un découragement pour les investisseurs. Le principe de célérité, qui commande que la justice soit rendue dans un délai raisonnable, est souvent bafoué, ce qui mine la confiance dans le système judiciaire et, par extension, dans l’environnement des affaires. Cette complexité procédurale est particulièrement préjudiciable dans les affaires commerciales, où la rapidité des résolutions des litiges est cruciale pour maintenir un environnement des affaires sain et propice à l’investissement. Un système judiciaire inefficace et lent est un obstacle majeur au développement économique durable, car il compromet la prévisibilité et la stabilité du cadre juridique, éléments essentiels pour attirer les investisseurs et encourager l’activité économique.
En guise de conclusion, il nous semble clair que le système judiciaire comorien actuel contribue au sous-développement des Comores, au vu de ses incompatibilités marquées avec les impératifs du développement économique durable. Les héritages persistants, d’un système colonial désuet, ne prennent souvent pas en compte les impératifs modernes de développement économique durable, laissant ainsi la justice comorienne en décalage avec les besoins actuels du pays.
La coexistence de la justice traditionnelle et formelle a donné lieu à des structures et à des normes qui entravent la réalisation des objectifs de développement économique et social des Comores. De même, les contraintes légales et pratiques limitent l’efficacité de la justice dans la promotion de l’équité, de la croissance économique équilibrée et de l’attractivité de l’investissement.
Toutefois, ces défis ne sont pas insurmontables. Pour réaliser pleinement les objectifs de développement et promouvoir une croissance économique équilibrée, il est impératif de reconfigurer le système judiciaire comorien. Cela implique une révision approfondie des lois, des procédures et des pratiques qui entravent actuellement les efforts de développement durable. Une réconciliation entre la justice traditionnelle et formelle doit également être envisagée pour une harmonisation efficace dans la réalisation des objectifs de développement durable. En adoptant une approche proactive et visionnaire, les Comores ont la possibilité de remodeler leur système judiciaire pour qu’il soit un catalyseur du changement positif, aligné sur les impératifs du développement économique durable et du PCE tout en œuvrant en faveur d’une société plus équitable et prospère.