Les difficultés à l'exécution des décisions de Justice aux Comores. Par Ahamada Hamidou, Doctorant.

Les difficultés à l’exécution des décisions de Justice aux Comores.

Par Ahamada Hamidou, Doctorant.

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Face aux nombreux défis auxquels le système judiciaire comorien est confronté, l’exécution des décisions de Justice demeure un obstacle majeur au développement économique et social du pays.

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Il est opportun de rappeler, comme nous l’avons développé dans notre précédent article intitulé "Le système judiciaire comorien contribue au sous-développement des Comores", que le pluralisme juridictionnel a engendré une fragmentation du système judiciaire, compromettant ainsi la cohérence et l’unité de l’ordre juridique national. Ce pluralisme a conduit à une superposition, voire une contradiction, des règles, lesquelles s’entrelacent au point de rendre leur application cohérente par le juge difficile, voire impossible. Par ailleurs, ce système se caractérise par une lenteur et une inefficacité procédurale, ce qui constitue un frein majeur à la sécurité juridique et judiciaire.

Dans cette continuité, nous proposons une réflexion approfondie sur l’inefficacité procédurale, en nous intéressant particulièrement aux "difficultés à l’exécution des décisions de justice : origines et conséquences", lesquelles constituent un défi majeur dans la perspective d’un développement économique durable en Union des Comores.

De prime abord, il convient de souligner que notre pays est à l’aube d’une nouvelle ère. L’histoire de l’Union des Comores se déroule sous nos yeux, tissée d’événements majeurs qui semblent tracer un chemin vers un avenir renouvelé. Non pas que les acteurs ou les idéaux aient fondamentalement changé, mais parce que le contexte politique national, façonné sous l’impulsion déterminante du Chef de l’État, a créé les conditions d’une redéfinition des rapports entre les citoyens et l’État. Le tumulte ayant marqué les derniers mois est révélateur de cette transition et appelle une réflexion collective sur le rôle central de la justice dans cette dynamique de transformation.

Ainsi, il devient impératif de construire des structures judiciaires capables de produire des décisions effectives et cohérentes, propres à favoriser une réelle libéralisation économique. Dans cette optique, examiner ensemble les failles du système judiciaire comorien, en mettant l’accent sur les difficultés d’exécution des décisions de justice, apparaît comme une nécessité absolue.
La justice, en effet, occupe une place prépondérante dans la consolidation d’un développement économique durable. Il s’agit de réinterroger son rôle afin de mettre en lumière ses faiblesses structurelles, lesquelles entravent l’exécution des décisions rendues.
Nos observations mettent en évidence de nombreux facteurs limitant cette exécution. Si ces obstacles sont multiples, nous nous concentrerons ici sur les facteurs les plus significatifs, qu’il s’agisse des décisions locales ou issues de la justice cadiale (I), ou encore des décisions rendues par les juridictions modernes (II).

I. Les difficultés relatives à l’exécution des décisions locales ou rendues par la justice cadiale.

Aux Comores, sur le plan local, les notables issus des régions, des villages et des quartiers prennent parfois des décisions contraignantes qui s’imposent aux populations. Cependant, lorsque ces décisions ne sont pas respectées par les personnes concernées, elles dégénèrent souvent en conflits inter-villageois ou intrafamiliaux. Face à de telles situations, l’État demeure impuissant à apporter une solution, ces décisions étant considérées comme informelles et dépourvues de toute reconnaissance légale.

En ce qui concerne la justice cadiale, il est constaté que, dans la pratique, les décisions des cadis sont rendues sans l’assistance d’un avocat et, parfois, sans même la présence requise de l’une des parties au litige. Cette situation révèle une violation manifeste du principe du contradictoire, particulièrement devant les Moukallids (cadis sans formation préalable), ce qui constitue une atteinte grave aux garanties d’un procès équitable.

De surcroît, les décisions des cadis ne sont pas assorties de la formule exécutoire, condition essentielle pour leur conférer l’autorité de la chose jugée et leur force exécutoire. Ces lacunes compromettent leur effectivité.

Concrètement, les cadis fixent, de manière unilatérale, les délais d’exécution de leurs décisions dans des affaires telles que le divorce. Plus préoccupant encore, en cas d’appel, le même cadi ayant rendu une décision peut, sans considération pour le recours formé, procéder à la célébration d’un autre mariage. De plus, les rares décisions écrites manquent souvent de motivation juridique, ce qui empêche leur reconnaissance ou leur utilisation dans d’autres juridictions. Cette carence nuit également au respect du principe du contradictoire.

Par ailleurs, un certain nombre de cadis exerçant dans les juridictions cadiales ne disposent pas du statut de magistrat, contrairement à leurs homologues des juridictions modernes. Ils ne bénéficient ni d’une formation en droit musulman ni d’une véritable expertise juridique, se contentant d’improviser dans l’exercice de leurs fonctions. Leur nomination repose sur des critères arbitraires, souvent dictés par l’autorité de nomination ou par l’influence des notables locaux, renforçant ainsi une justice inégalitaire et aléatoire.

Enfin, au-delà des difficultés relevées dans les instances locales et cadiales, les juridictions dites modernes ne sont pas exemptes de dysfonctionnements, qui continuent de compromettre l’exécution des décisions de justice dans le pays.

II. Les difficultés relatives à l’exécution des décisions rendues par les juridictions dites modernes.

Les décisions rendues par les juridictions dites modernes se heurtent à divers obstacles entravant leur exécution ou rendant celle-ci difficile. Parmi les facteurs identifiés figure l’absence manifeste de décisions formellement établies au sein de ces juridictions. Il ne s’agit pas d’une carence totale de décisions, mais plutôt de leur non-formalisation écrite. En effet, certaines décisions, bien que prises, ne sont pas consignées par écrit, ce qui compromet leur mise en œuvre. Ce phénomène est souvent lié à la mutation inopinée des greffiers ou des juges ayant participé à l’élaboration de ces décisions. Il arrive ainsi que le greffier ayant assisté le juge, ou le juge lui-même, soit affecté à une autre juridiction peu de temps après avoir rendu une décision, la rendant introuvable faute de transcription.

À ce premier facteur s’ajoute la lenteur dans l’obtention des expéditions nécessaires à l’exécution des décisions. Aux Comores, cette lenteur est flagrante, avec des délais bien supérieurs aux normes préétablies. Cette situation profite parfois à la partie défaillante, qui en tire avantage pour aliéner le bien litigieux. Par conséquent, la partie victorieuse du procès se trouve confrontée à un nouvel obstacle : l’intervention d’un tiers acquéreur.

Un autre écueil réside dans les erreurs contenues dans les décisions elles-mêmes, en raison de négligences commises par les greffiers ou secrétaires assistants les juges. Ces erreurs peuvent altérer le fondement même de la décision, inversant par exemple les parties concernées ou modifiant la nature des condamnations. Une telle situation empêche l’exécution correcte et effective des décisions rendues.

Par ailleurs, l’exécution des décisions est parfois entravée par des influences politiques ou par une opposition abusive de certaines communautés. Ainsi, certaines décisions, bien qu’établies en temps opportun, se heurtent à des interventions politiques ou à une résistance collective lorsqu’elles concernent des personnalités locales ou régionales.

Un facteur supplémentaire réside dans les contradictions entre les décisions des juridictions modernes et celles des juridictions cadiales. Un justiciable peut, par exemple, saisir simultanément un tribunal cadial et un tribunal de première instance pour des faits similaires formulés différemment, conduisant à des décisions divergentes, même lorsque l’exception de litispendance est soulevée. De même, en matière de référés commerciaux, il est possible pour une partie non commerçante de saisir soit le tribunal de commerce, soit le tribunal de première instance, ce qui peut aboutir à des décisions contradictoires.

Les difficultés s’étendent également aux officiers chargés de l’exécution, notamment les huissiers de justice, ainsi qu’aux banquiers, agents des forces de l’ordre et à l’exequatur des décisions étrangères. Concernant les huissiers, il est courant qu’ils ajoutent des charges non justifiées, telles qu’un " droit progressif de 10 % " sans base légale, alourdissant les obligations financières du débiteur, déjà en situation de défaillance. Les banques, quant à elles, continuent parfois à calculer des intérêts malgré la présence d’une décision judiciaire fixant définitivement le montant de la créance.

Le manque de coopération des forces de l’ordre constitue un autre frein majeur. Ces agents, bien que sollicités pour prêter assistance à l’exécution des décisions, refusent parfois d’intervenir, sans raison apparente, rendant les décisions inopérantes.
Enfin, l’exequatur des décisions étrangères pose également problème. Certaines décisions étrangères ne peuvent être exécutées sur le territoire comorien lorsqu’elles ne respectent pas les exigences relatives à l’ordre public, aux mœurs ou aux lois internationales et communautaires. Dans ces cas, elles ne bénéficient pas de force exécutoire et demeurent inefficaces.

Conclusion.

Aux Comores, les décisions de justice sont fréquemment confrontées à de multiples défis, révélant un manque d’unité et de cohérence dans les règles applicables au sein du système judiciaire. Ces dysfonctionnements, exacerbés par divers facteurs entravant l’exécution des décisions, mettent en péril la règle de droit, la crédibilité de la justice et les droits des justiciables. Une telle situation compromet gravement la confiance dans l’institution judiciaire, avec des répercussions directes sur le climat des affaires, la capacité d’attirer les investisseurs et, par extension, sur le développement économique durable de l’Union des Comores.

Pour remédier à ces lacunes et renforcer l’efficacité du système judiciaire, il apparaît indispensable d’envisager des réformes profondes. La digitalisation et l’unification des systèmes judiciaires pourraient constituer une première étape cruciale, permettant de standardiser les procédures, d’améliorer leur traçabilité et d’accélérer le traitement des affaires. Par ailleurs, la délégation de certaines missions ou compétences à une institution mixte ou privée, notamment en matière de rédaction des expéditions, pourrait s’avérer judicieuse pour garantir la célérité et la fiabilité dans l’exécution des décisions de justice.

Enfin, il serait pertinent de confier à des acteurs privés les tâches que l’État ne peut assumer efficacement ou qu’il ne priorise pas, afin d’optimiser les ressources disponibles et d’assurer un meilleur service aux justiciables. Cette approche, en allégeant la charge de l’État tout en renforçant les capacités d’exécution du système judiciaire, contribuerait à restaurer la confiance dans les institutions et à poser les bases d’un développement économique solide et pérenne.

Il est également essentiel de souligner l’importance de la collégialité dans le processus judiciaire. En particulier, les cadis, qui jouent un rôle central dans la résolution des litiges familiaux et locaux, ne doivent pas être seuls à rendre leurs décisions. Ces questions touchant les familles nécessitent une concertation entre plusieurs acteurs, garantissant ainsi des jugements équilibrés, équitables et conformes aux principes de justice. Cette approche collective permettra de renforcer la légitimité et la crédibilité des décisions rendues, tout en reflétant la volonté du Chef de l’État de promouvoir un développement durable et inclusif pour le pays, malgré les défis et les préoccupations exprimés par la population comorienne.

Ahamada Hamidou, Doctorant en droit privé à l’Université Catholique de Dakar, Président du Tribunal de Commerce de Moroni, Comores

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