Splendeur et misère de la réception tacite en matière de réception d’ouvrages.

Par Bouziane Behillil, Avocat, Hiba Laoufir et Romane Sylvestre, Etudiantes.

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In medio stat virtus - La vertu se trouve au milieu.
Dans le domaine du droit de la construction, trouver l’équilibre entre la praticité de la réception tacite et les risques qu’elle comporte est essentiel. Une réflexion approfondie sur les critères de la réception tacite peut permettre d’éviter les pièges juridiques et les litiges prolongés. En explorant de nouvelles perspectives, la jurisprudence peut contribuer à une meilleure gestion des conflits et à une plus grande clarté dans l’application des règles du droit de la construction.

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Selon l’article 1792-6 :

« La réception est l’acte par lequel le maître de l’ouvrage déclare accepter l’ouvrage avec ou sans réserves. Elle intervient à la demande de la partie la plus diligente, soit à l’amiable, soit à défaut judiciairement. Elle est, en tout état de cause, prononcée contradictoirement ».

Comme chacun le sait, la réception constitue le point de départ des garanties légales incombant au constructeur : la garantie de parfait achèvement, la garantie décennale et la garantie de bon fonctionnement.

La réception d’un ouvrage peut se faire de manière tacite ou expresse. La réception expresse est clairement définie par un acte formel où le maître d’ouvrage reconnaît la conformité des travaux réalisés. Elle se matérialise généralement par la signature d’un procès-verbal de réception dans lequel et à l’occasion duquel les parties attestent de l’achèvement des travaux et de leur conformité aux spécifications contractuelle. La réception expresse offre une sécurité juridique aux parties en formalisant la fin des travaux et en lançant les délais de garantie.

En revanche, la réception tacite est sujette à plus de complexités et présente une insécurité juridique pour les parties impliquées dans un contrat de construction, en particulier le maître d’ouvrage et l’entrepreneur. La complexité inhérente à la réception tacite se manifeste dans sa nature juridique. Cette forme de réception, établie par la jurisprudence sans être explicitement prévue par les textes, a été instaurée pour répondre aux situations où aucune réception expresse n’a été réalisée.

La réception tacite repose sur des indices concordants, qui permettent de démontrer la volonté non équivoque du maître d’ouvrage de recevoir l’ouvrage. De manière constante, la Cour de cassation retient deux critères à la réception tacite d’un ouvrage : la prise de possession de l’ouvrage sans restriction et le paiement de l’intégralité des travaux.

Par un arrêt du 18 avril 2019, aux termes d’un considérant de principe, la cour a rappelé

« qu’en vertu de ce texte (l’article 1792-6 du Code civil), la prise de possession de l’ouvrage et le paiement des travaux font présumer la volonté non équivoque de le recevoir avec ou sans réserves ».

La cour a censuré la décision d’appel ayant subordonné la réception tacite à la démonstration de la volonté du maître d’ouvrage de réceptionner sans réserve [1].

Les débats doctrinaux autour de la réception tacite portent notamment sur la nécessité d’un faisceau d’indices convergents pour établir cette réception, ainsi que sur la question de savoir si le paiement partiel du prix peut être considéré comme un élément suffisant pour prouver la réception tacite. Certains auteurs soulignent l’importance de la volonté claire et non équivoque du maître d’ouvrage dans ce processus, tandis que d’autres insistent sur la nécessité de preuves objectives pour confirmer cette réception. Ces débats enrichissent le domaine juridique en apportant des nuances et des perspectives variées sur un sujet crucial dans le domaine de la construction et du droit civil.

Toutefois, par un arrêt du 20 avr. 2017, la Cour de cassation a établi que la réception tacite peut être admise malgré un paiement partiel des travaux, dès lors que seule la retenue d’une somme pour des défauts constatés, et non le paiement partiel en lui-même, constitue un obstacle à la réception tacite. Cette décision a marqué un revirement de jurisprudence important en matière de réception des ouvrages.

Une réelle évolution a été constatée dans la jurisprudence, notamment à travers des décisions récentes telles que celle de la Cour de cassation du 15 juin 2022, par laquelle la cour a déduit que :

« la prise de possession de l’ouvrage et le paiement d’une partie substantielle du coût des travaux caractérisaient la volonté non équivoque du maître de l’ouvrage de le recevoir en son entier, peu important qu’une partie des travaux de finition du premier étage n’ait pas été achevée ».

Cette décision de la cour marque une évolution progressive de la jurisprudence intégrant les subtilités des cas concrets et reconnaissant les pratiques effectives du secteur de la construction.

En prenant en compte le contexte global et en interprétant la volonté implicite du maître d’ouvrage à travers ses actes concrets, une approche plus équitable et pragmatique des relations contractuelles émerge.

Il faut admettre que si la réception tacite offre une certaine souplesse et une possibilité de conclusion rapide des travaux, la dualité entre sa praticité potentielle et ses risques inhérents souligne l’importance d’une analyse minutieuse des circonstances spécifiques de chaque cas afin d’éviter les contentieux liés à ce mode de réception.

Il est impératif que la jurisprudence évolue vers une constance et une précision afin d’accepter la réception tacite malgré un paiement partiel du marché. Les conséquences potentiellement graves de cette situation exigent une analyse approfondie et nuancée.

En effet, le refus catégorique de reconnaître une réception tacite en présence d’un paiement partiel peut entraîner des litiges interminables, des retards dans les chantiers, des coûts supplémentaires et une insécurité juridique pour les parties impliquées.

En réexaminant cette question avec une perspective plus ouverte, la jurisprudence pourrait contribuer à une meilleure gestion des litiges et à une plus grande prévisibilité dans le domaine de la construction.

En considérant les circonstances spécifiques de chaque cas et en évaluant de manière équilibrée les indices concordants démontrant la volonté non équivoque du maître d’ouvrage, la jurisprudence pourrait favoriser des solutions plus justes et adaptées aux réalités complexes des chantiers de construction.

Bouziane Behillil, Avocat au Barreau de Paris - Cambaceres Avocat
Hiba Laoufir et Romane Sylvestre, étudiantes Master en droit

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Notes de l'article:

[1Cass. 3ème civ., 18 avril 2019, n°18-13.734, Publié.

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