Les éléments constitutifs de pôle régional spécialisé en matière d’atteintes à l’environnement.
La spécialisation est prévue par la loi n° 2020-1672 du 24 décembre 2020 relative au Parquet européen, à la justice environnementale et à la justice pénale spécialisée, en son article 15 ainsi conçu :
« Dans le ressort de chaque cour d’appel, la compétence territoriale d’un tribunal judiciaire est étendue au ressort de la cour d’appel pour l’enquête, la poursuite, l’instruction et le jugement des délits, à l’exclusion de ceux mentionnés aux articles 706-75 et 706-107 du présent code, prévus par le code de l’environnement, par le code forestier, au titre V du livre II du code rural et de la pêche maritime, aux 1° et 2° du I de l’article L. 512-1 et à l’article L512-2 du Code minier ainsi qu’à l’article 76 de la loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, dans les affaires qui sont ou apparaîtraient complexes, en raison notamment de leur technicité, de l’importance du préjudice ou du ressort géographique sur lequel elles s’étendent. »
Cet article précise tout simplement que chaque pôle régional spécialisé en matière d’atteintes à l’environnement - aussi appelé pôle régional environnement (PRE) - prendra en charge les affaires pénales liées à l’environnement et les affaires civiles de réparations des préjudices écologiques les plus graves, les plus complexes, ou de grandes échelles qui s’étendent sur plusieurs départements comme par exemple la pollution d’un cours d’eau.
À l’exception, ces pôles judiciaires ne traiteront pas :
- des affaires de moindre incidences qui restent de la compétence des juridictions locales.
- des affaires techniques d’ampleur telles que les pollutions de grande échelle liées à un produit réglementé ou le contentieux des catastrophes environnementales et industrielles qui relèvent toujours de la compétence des deux pôles interrégionaux spécialisés de Paris et Marseille dédiés aux questions de santé publique et aux accidents collectifs [3] ;
- des affaires de pollutions maritimes qui restent de la compétence des juridictions du littoral spécialisées (Le Havre, Brest, Bordeaux, Marseille, Cayenne et Saint-Denis de La Réunion).
L’objectif est de traité mieux et plus rapidement ces affaires pénales liées à l’environnement et les affaires civiles de réparations des préjudices écologiques en faisant intervenir des magistrats formés spécifiquement à tous les domaines du droit susceptibles d’être utilisés pour lutter contre les atteintes à l’environnement. De plus, cela facilitera la présence au moment de l’audience des agents et fonctionnaires spécialisés dans la lutte contre la criminalité environnementale et permettra d’enrichir les débats lorsque des questions techniques se poseront, comme celle de la remise en état des milieux [4].
Prenant exemple de la convention judiciaire d’intérêt public en matière d’atteinte à la probité en matière fiscale [5], la loi prévoit également la création d’une convention judiciaire d’intérêt public en matière environnementale, mesure alternative aux poursuites judiciaires afin d’apporter une réponse pénale rapide aux infractions environnementales les plus graves commises par les personnes morales et de mieux réparer les dommages ainsi causés.
Le procureur de la République pourra ainsi proposer à une personne morale mise en cause pour certains délits environnementaux de bénéficier d’une convention qui éteint l’action publique à son égard en échange de l’acquittement de certaines obligations.
Le Décret n°2021-286 du 16 mars 2021, quant à lui, entré en vigueur le 1er avril 2021, détermine le siège et le ressort de ces tribunaux judiciaires, qui sont désormais compétents pour connaître des infractions les plus complexes en matière environnementale, ainsi que des actions relatives au préjudice écologique fondées sur les articles 1246 à 1252 du Code civil, des actions en responsabilité civile prévues par le Code de l’environnement et des actions en responsabilité civile fondées sur les régimes spéciaux de responsabilité applicables en matière environnementale résultant de règlements européens, de conventions internationales et des lois prises pour l’application de ces conventions.
Retrouvez dans le pdf ci-joint la liste des 37 pôles régionaux spécialisés en matière d’atteintes à l’environnement.
Remarque : pour le ressort de la cour d’appel de Rennes, c’est au sein du Tribunal judiciaire (TJ) de Brest qu’est déployé le PRE, et non pas le TJ de Rennes, comme initialement indiqué dans le décret susvisé.
Le décret adapte également les dispositions relatives aux assistants spécialisés en matière environnementale dans les pôles régionaux et interrégionaux en application des articles 706-2 et 706-2-3 du Code de procédure pénale, dans leur rédaction issue des articles 15 et 20 de la loi du 24 décembre 2020 précitée.
La portée de ces 37 pôles régionaux spécialisés en matière d’atteintes à l’environnement est ambitieuse puisqu’ils permettront d’agir plus vite et de façon plus adaptée face aux atteintes à l’environnement. Ces pôles étant bien identifiés, cela facilitera leur saisine par les associations, collectivités, justiciables et de voir la Justice comme une voie de résolution des atteintes à l’environnement.
Mais, il est à noter que si ces 37 PER sont officiellement entrés en action depuis le printemps 2021, bon nombre d’entre eux ne sont pas au maximum de leur capacité par manque de moyens. Mais, leur montée en puissance est progressive, avec notamment pour certains pôles, la signature de convention de partenariat avec les sections régionales et locales de France Nature Environnement ; partenariat qui permet la transmission d’informations utiles pour identifier les auteurs d’infraction, et renforcer le travail des enquêteurs de l’Office français de la biodiversité (OFB). Ces conventions prévoient également la mise en place de stages citoyenneté de sensibilisation à la protection de l’environnement pour les contrevenants. Les pôles régionaux de Grenoble et Dieppe ont signé une telle convention.
L’incidence de cette spécialisation au niveau régional : l’exemple du tribunal judiciaire de Grenoble.
Le Village de la Justice s’est rapproché de la juridiction de Grenoble dont le territoire est fortement doté en zones protégées (parc national, parcs régionaux, espaces sensibles naturels, réserves naturelles...), autant d’espaces sensibles aux préjudices environnementaux. Territoire qui dispose également d’infrastructures industrielles, agricoles et chimiques pouvant avoir une forte incidence sur l’environnement. Et pourtant, cette juridiction ne traite qu’une soixantaine de procédures ayant trait à l’environnement en matière civile et une trentaine d’infractions donnant lieu à une condamnation pénale en moyenne par an. Comme le précisait Anne Auclair-Rabinovitch, Présidente du tribunal judiciaire de Grenoble : « ce stock assez faible [de dossiers] s’explique par un manque de visibilité par les contribuables, les associations environnementales, que la justice judiciaire est une voie potentielle de résolution des difficultés d’atteinte à l’environnement. » [6].
Cet état de fait devrait évoluer avec la spécialisation du tribunal judiciaire de Grenoble en matière d’atteintes à l’environnement.
Cette montée en puissance est progressive, mais effective avec par exemple la signature d’une convention de partenariat en matière de lutte contre les atteintes à l’environnement entre le pôle de Grenoble, le parquet de Grenoble, le tribunal judiciaire de Grenoble, l’Office français de la biodiversité (OFB) et l’association France Nature Environnement (FNE) Isère.
Cette convention prévoit de s’appuyer sur l’interface participative Sentinelles de la nature, mise en place par FNE pour faciliter la transmission d’informations entre l’association, le parquet et l’OFB. L’objectif étant de pouvoir faire remonter les informations utiles pour identifier les auteurs d’infraction, et renforcer le travail des enquêteurs de l’OFB (au nombre de 20 en Isère) [7].
L’interview d’Olivier Nagabbo, Magistrat.
- Olivier Nagabbo.
Pour aller plus loin nous nous sommes entretenus avec Olivier Nagabbo, alors Procureur de la République adjoint du Tribunal Judiciaire de Grenoble [8].
Village de la Justice : Pourquoi certains Tribunaux judiciaires deviennent-ils des juridictions spécialisées ? Est-ce immuable ? Un même tribunal peut-il avoir plusieurs spécialisations ?
Olivier Nagabbo : « La spécialisation des juridiction a commencé il y a une vingtaine d’années avec notamment à Paris et Marseille, l’objectif étant de spécialiser du personnel (magistrat, greffier...) pour traiter certains gros dossiers de façon plus qualitative et plus rapide. L’expérience étant concluante, la volonté du ministère de la Justice a été de développer ces spécialisations sur l’ensemble du territoire.
La spécialisation est immuable, car on demande à des personnes de se former, de se spécialiser, donc cela demande du temps et de l’investissement que l’on ne va pas réduire à néant du jour au lendemain.
Une juridiction peut avoir plusieurs spécialisations, tel est le cas du tribunal de Marseille qui comporte plusieurs pôles judiciaires spécialisés en matière d’accidents collectifs, de santé publique, de la criminalité en bande organisée (par le biais des Juridictions interrégionales spécialisées).
Concernant la juridiction de Grenoble, un premier pas vers la spécialisation a été franchi il y 5 ans avec le tribunal de commerce qui est devenu compétent pour juger toutes les affaires concernant les entreprises de plus de 250 salariés pour les départements de l’Isère, de la Drôme, de la Savoie et de la Haute-Savoie. Une seconde étape est franchie avec le Décret n° 2021-286 du 16 mars 2021 par lequel sur décision de la cour d’appel de Grenoble, le TJ devient pôle judiciaire régional spécialisé en matière d’atteintes à l’environnement. »
Selon vous, à l’avenir, les TJ devront-ils tous se spécialiser ?
« Non, tous les TJ ne pourront pas être spécialisés, car cette spécialisation, même si elle est appréciable et fonctionne bien, prive d’autres tribunaux de leurs contentieux.
Cette démarche de spécialisation semble être un paradoxe par rapport à la mise en œuvre d’une Justice de proximité, aussi ces pôles judiciaires spécialisés sont-ils mis en place en prenant en compte les bénéfices d’un jugement plus rapide et qualitatif d’un dossier du fait des compétences acquises par les juges d’un pôle spécialisé face à une proximité atténuée.
De plus, la spécialisation se fait à moyen constant, cela veut dire qu’elle ne s’accompagne pas de ressource humaine supplémentaire. »
Concernant le TJ de Grenoble quelles ont été les motivations de sa spécialisation en droit de l’environnement ?
« Il n’y a pas eu le choix de la spécialisation en droit de l’environnement, c’est la loi du 24 décembre 2020 qui a prévu la création, dans le ressort de chaque cour d’appel, d’un pôle régional spécialisé en matière d’atteintes à l’environnement attaché à un tribunal judiciaire. En ce qui nous concerne, la cour d’appel de Grenoble a choisi d’attribuer cette spécialisation au Tribunal du siège de la Cour.
Avec cette vague de spécialisation, l’objectif est de faire du droit de l’environnement, une priorité de politique pénale. La volonté est forte d’en finir avec les atteintes à l’environnement et les juridictions ont toute leur place dans ce combat. »
Comment allez-vous la mettre en place ? Quelles sont les incidences de cette spécialisation au sein de la juridiction elle-même (en termes de personnels, de compétences, de reconnaissance, etc.) ?
« Les magistrats du TJ de Grenoble acquièrent plus de compétences en droit de l’environnement et pour ce faire vont suivre des formations en la matière.
Nous allons unir nos forces avec celles de l’Administration (collectivité territoriales, DDT, Parc national, Parcs régionaux, Police de l’environnement, Office national de la biodiversité...) et travailler avec encore plus de rigueur et régularité sur les différents dossiers qui vont nous être présentés.
Pour commencer, nous avons dresser une cartographie des risques avec la Direction départementale des territoires et l’ensemble des acteurs de terrain pour ensuite dégager des priorités et suivre en parallèle celles qui ont été définies au plan national.
Les magistrats grenoblois sont déjà sensibilisés à ce droit de l’environnement et à la protection de l’environnement au sens large, c’est pourquoi même si cette spécialisation va engendrer une hausse des dossiers à suivre, nous sommes motivés à agir. Et la reconnaissance apportée par cette spécialisation renforce cette motivation humaine qui est d’autant plus forte que la protection de la nature est en jeu.
De manière générale, participer à l’œuvre de Justice donne des forces. »
Peut-on dire que la spécialisation des juridictions est une illustration de la "bonne administration de la justice" ?
« Oui, c’est dans cet esprit que sont mis en place les pôles régionaux spécialisés en matière d’atteintes à l’environnement, l’objectif poursuivi est de mieux traiter et juger plus vite les dossiers dont le TJ hérite et de réduire les délais entre la commission d’un acte portant atteinte à l’environnement et sa prise en compte par un jugement. »
Qu’apporte cette spécialisation à un Tribunal Judiciaire de région ?
« Comme je le disais précédemment, cette spécialisation apporte de la reconnaissance et une lutte plus efficiente contre les atteintes à l’environnement petites ou grandes, mais si les moyens humains n’augmentent pas, l’afflux de dossier peut conduire à une priorisation au détriment des autres affaires, comme celles de la délinquance par exemple. »
Sources :
Ministère de la Justice ;
Dalloz Actualité.