Les effets recherchés sont, selon les substances, l’euphorie, la désinhibition, l’augmentation de la confiance en soi et évidemment de la libido. Outre les risques évidents sur la santé, l’usage de ces drogues en lien avec la sexualité génère aussi un risque pénal non négligeable.
1. Chemsex et drogues.
Le premier risque pénal concerne la législation sur les stupéfiants.
En France, environ 200 substances psychoactives sont interdites et recensées par l’arrêté du 22 février 1990 fixant la liste des substances classées comme stupéfiants, ce dernier terme désignant donc toutes les drogues interdites. L’article L3421-1 du Code de la santé publique punit d’un an d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende l’usage illicite de l’une de ces substances stupéfiantes [1]. Les articles 222-34 et suivants du Code pénal répriment quant à eux le trafic de stupéfiants, avec des peines pouvant aller de 5 ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende pour le simple vendeur de produits jusqu’à la réclusion criminelle à perpétuité et 7 500 000 euros d’amende pour le dirigeant d’un trafic. En matière de chemsex, les drogues généralement utilisées sont la méthamphétamine, les cathinones et le GHB / GBL, inscrites dans l’arrêté du 22 février 1990 et donc interdites à la consommation et au trafic. Le poppers est quant à lui actuellement autorisé car s’il a fait l’objet de plusieurs interdictions, elles ont toutes été par la suite annulées.
La pratique du chemsex est donc prohibée d’une part en raison de l’usage de substances stupéfiantes. Il y a pourtant peu de condamnations car la répression est complexe à mettre en œuvre : les laboratoires sont généralement à l’étranger, et les substances, en quantité relativement faible par rapport à d’autres trafics, circulent souvent par les canaux postaux classiques difficiles à appréhender par les forces de police, qui s’attardent sur des trafics plus importants avec des troubles à l’ordre public plus évidents. En outre, s’agissant de drogues de synthèse, il est loisible aux chimistes de trouver des molécules qui ne sont pas encore dans la liste des stupéfiants, liste qu’il faut régulièrement actualiser. En réalité, les seules réunions chemsex où la police intervient, ce sont celles où un des chemsexers est décédé à cause des substances consommées. Ces situations tragiques questionnent alors sur la constitution d’infractions telles que l’empoisonnement ou tout du moins l’homicide involontaire, mais également sur la non-assistance à personne en danger ou, pour les cas les moins graves, sur l’administration de substance nuisible et sur la provocation à consommer des substances stupéfiantes.
2. Chemsex et consentement sexuel.
Le second risque pénal concerne les agressions sexuelles avec contact physique [2].
Qu’il s’agisse d’une pénétration sexuelle, d’un acte bucco-génital ou de toute autre atteinte sexuelle [3], s’il est commis avec violence, contrainte, menace ou surprise, alors il est constitutif d’un viol ou d’une agression sexuelle autre que le viol. A priori, lorsqu’une personne participe à ce type de réunion, il a conscience qu’il aura des relations sexuelles avec plusieurs personnes et qu’il pourra éventuellement être amené à consommer des substances qui auront une incidence sur son discernement durant ces relations. Pourtant, il est fréquent que des participants estiment après coup avoir été victimes notamment de viol, parce qu’ils ont eu des relations sexuelles non souhaitées, sans avoir la possibilité de s’y opposer en raison des effets des drogues consommées, parfois accompagnés de pertes de mémoires (trous noirs, black-out). Dans toute relation sexuelle, il doit être possible de consentir au début pour certains actes puis de changer d’avis ou d’en refuser d’autres. Ne pas respecter le changement d’avis d’un partenaire ou ses limites pour avoir malgré son absence de consentement une relation sexuelle, c’est nécessairement user de violence, de contrainte, de menace ou de surprise, et donc commettre un viol ou une autre agression sexuelle. Mais la difficulté dans le chemsex, c’est qu’il est très compliqué d’identifier ce à quoi une victime a consenti, ce à quoi elle n’a pas consenti, et la connaissance des partenaires de ces informations, surtout lorsque le discernement de l’ensemble des participants est affecté, voire qu’ils ont des pertes de mémoire.
Surtout, le fait d’avoir une relation sexuelle avec une personne qui n’est pas en mesure de consentir ou de ne pas consentir, par exemple parce qu’elle est endormie, ou qu’elle a consommé trop d’alcool ou de drogue, est constitutif d’une agression sexuelle avec contact physique. Lorsque l’altération du discernement ou le contrôle des actes de la victime est causé par l’administration de substances à son insu, il s’agit d’une circonstance aggravante (et même d’une infraction autonome lorsqu’une telle substance a été administrée en vue de commettre un viol ou une agression sexuelle autre que le viol, sans que la relation sexuelle ait ensuite lieu). En théorie donc, il serait possible de poursuivre tous les participants à une réunion de chemsexers pour de telles agressions commises mutuellement les uns sur les autres. Cela n’aurait évidemment aucun intérêt, et aucun procureur de la République ne ferait cela en pratique. Il reste néanmoins fort possible pour lui de poursuivre individuellement un chemsexer dont le comportement aura été problématique, ou tout du moins l’objet d’une plainte.
3.Chemsex et responsabilité pénale.
Cependant, si de telles poursuites sont envisageables, la condamnation est loin d’être évidente.
En effet, l’article 122-1 du Code pénal dispose en son alinéa 1er que « n’est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes », avant d’ajouter à l’alinéa suivant que celle qui, pour les mêmes raisons, voyait son discernement simplement altéré, demeurait punissable, sauf à y appliquer des diminutions de peine. Donc au même titre qu’un chemsexer peut être considéré comme victime de viol ou d’une autre agression sexuelle en raison d’un discernement aboli ou altéré, un chemsexer mis en cause pour ces infractions devrait pouvoir être déclaré pénalement irresponsable ou voir sa responsabilité pénale atténuée pour les mêmes raisons. Mais, avec la très récente loi n°2022-52 du 24 janvier 2022 relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure, une telle affirmation est à nuancer.
D’une part, dans l’hypothèse où un chemsexer consommerait des substances afin de commettre un viol ou une autre agression sexuelle, alors il ne pourrait pas se prévaloir de l’abolition de son discernement pour échapper à une condamnation [4].
D’autre part, si la simple altération du discernement résulte d’« une consommation volontaire, de façon illicite ou manifestement excessive, de substances psychoactives », alors le mis en cause ne peut se prévaloir d’une quelconque réduction de peine [5].
Or dans la pratique du chemsex, la consommation de telles substances est volontaire, illicite et éventuellement manifestement excessive.
Enfin, si le mis en cause a commis un viol, dont il a été déclaré pénalement irresponsable en raison d’une abolition de son discernement, mais que celle-ci a été causée par une consommation volontaire et illicite ou manifestement excessive de « substances psychoactives en ayant connaissance du fait que cette consommation est susceptible de la conduire à mettre délibérément autrui en danger », alors il pourra faire l’objet d’une condamnation pour une infraction autonome nouvelle, dont la mise en œuvre fait l’objet de sérieux doutes en doctrine [6].
Malgré le risque pénal, il est aujourd’hui peu probable, en France, d’être condamné pour avoir pratiqué le chemsex. Les forces de police sont submergées par la lutte contre le cannabis, le crack ou la cocaïne et n’ont pas les moyens de s’intéresser à un trafic de drogues de synthèse dont les achats se font en ligne, en quantité limitée, transportée par des facteurs étrangers à la criminalité.
Les chemsexers, lorsqu’ils sont victimes d’agressions sexuelles ne sont pas ou peu informés de leurs droits, peuvent douter d’avoir vraiment subi une agression condamnable, et ont peur d’être mal reçus, peu écoutés voire eux-mêmes condamnés en se rendant dans un commissariat. Enfin, les chemsexers, lorsqu’ils sont auteurs de telles agressions, si tant est qu’ils s’en souviennent, n’en sont pas toujours conscients, d’autant que le droit lui-même n’est pas totalement clair sur ce point. Si la peur du gendarme n’est pas efficace, ni même souhaitable pour encadrer la pratique et la rendre plus sûre, peut-être faudrait-il que les pouvoirs publics prennent davantage conscience du danger et y répondent de manière efficiente.
Aujourd’hui, la réponse apportée provient principalement voire exclusivement des associations telles que AIDES, avec un numéro d’urgence, un groupe facebook, ainsi qu’un groupe whatsapp.
Discussions en cours :
Bonjour,
Je note deux erreurs dès le début de votre article, qu’il serait judicieux de corriger à mon avis.
"Le chemsex (contraction de chemical et sex) désigne une pratique consistant à utiliser des produits psychoactifs pendant et pour des relations sexuelles avec plusieurs partenaires. "
1. Votre définition suppose que deux partenaires prenant des substances psychoactives (adéquates, voir ci-dessous) avant / pendant un rapport ne s’adonneraient pas au "chemsex". Ce qui est faux. Le nombre ne fait pas la pratique.
2. Par ailleurs, sauf erreur de ma part, l’alcool étant une substance psychoactive, si on suit votre définition, bon nombre de français seraient concernés par votre article ? J’en doute. Merci de corriger, afin que mes grands-parents ne soient plus concernés par cet article, du moins dans mon esprit.
En résumé, pour que votre définition soit rigoureuse, la précision ne doit pas porter sur le nombre, mais sur le type de substance psychoactive.
Monsieur,
Merci pour ce commentaire qui me permet de préciser les choses :
Effectivement, le chemsex peut être en théorie pratiqué seul. Cependant, la notion renvoie tout de même à des pratiques particulières, à savoir des réunions festives avec plusieurs partenaires. Le terme de chemsex est aujourd’hui utilisé dans des cas autres, y compris pour des situations de personnes seules, mais c’est une extension de la définition. J’ai fait le choix d’une définition restrictive, fondée sur l’origine du terme, mais il est possible d’adopter une définition plus large, j’en conviens parfaitement.
Ma définition à propos des produits psychoactifs peut au contraire paraître plus large, paradoxalement. Elle est issue d’un dossier fait sur le site de Sida Info Service. Mais je précise dans les développements de l’article que "en matière de chemsex, les drogues généralement utilisées sont la méthamphétamine, les cathinones et le GHB / GBL". Il y en a d’autres. Effectivement, l’alcool n’est pas censé être pris en compte dans cette définition. Pour autant, il est des situations où, en plus des drogues citées, des participants vont consommer de l’alcool, avec des conséquences très compliquées. C’est la raison pour laquelle j’ai préféré ne pas être trop restrictif sur cette partie de l’article, et préciser certains éléments dans les développements.
S’agissant de vos grands-parents, quelles que soient leurs pratiques, l’important c’est d’être au clair sur son consentement et celui de son/ses partenaire(s), et de ne pas se mettre en danger de manière inconsidérée. Si vous vous sentez en difficulté, ne restez pas seul ;-)
Plus sérieusement, j’espère avoir répondu à votre commentaire de manière satisfaisante en expliquant les choix qui ont été les miens, et que de manière plus globale l’article vous a été utile sur le fond du sujet.