Au secours ! La « dark kitchen » en bas de chez moi fait trop de bruit !

Par Christophe Sanson, Avocat.

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Explorer : # nuisances sonores # dark kitchen # responsabilité civile # réglementation urbanistique

Ce que vous allez lire ici :

Avec l'essor de la commande en ligne de repas, les "dark kitchens" sont apparues. Ces cuisines dédiées à la vente en ligne ne possèdent pas de vitrine ni d'espace pour les clients. Cet article examine les différents aspects du droit administratif, pénal et civil pour répondre aux nuisances causées par ces "dark kitchens".
Description rédigée par l'IA du Village

En plus des nuisances sonores habituellement générées par le fonctionnement d’une cuisine de restaurant (extracteur d’air, chambres froides, chocs liés à la préparation des repas, musique), une « dark kitchen » est souvent à l’origine de bruits de livraisons émanant tant des livreurs à scooter que des fournisseurs en camionnettes.
Cet article est l’occasion de rappeler aux riverains les recours et procédures dont ils disposent pour obtenir la cessation des nuisances sonores qu’elle génère.

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Avec l’essor de la commande de repas en ligne, de nouvelles pratiques sont apparues. C’est notamment le cas de la « dark kitchen » qui constitue un lieu exclusivement dédié à la préparation, la vente et la livraison de repas commandés en ligne.

La « dark kitchen » n’a ni vitrine physique, ni espace de restauration pour la clientèle, elle est composée uniquement d’une cuisine et d’un espace de livraison. Elle produit des repas que des livreurs viennent chercher les uns après les autres tout au long de la journée.

Il faut en premier lieu s’intéresser au droit administratif qui offre certains outils préventifs permettant de contrôler l’installation d’une « dark kitchen » (I). Sera ensuite évoqué le droit pénal en tant qu’outil de répression des nuisances sonores (II). Pour finir, il faudra aborder le droit civil, lequel permet à la fois la cessation des troubles et la réparation des préjudices subis (III).

I. - La réponse du droit administratif.

Depuis le décret n° 2023-195 du 22 mars 2023 portant diverses mesures relatives aux destinations et sous-destination des constructions pouvant être réglementées par les plans locaux d’urbanisme, les « cuisines dédiées à la vente en ligne » sont soumises aux règlements des plans locaux d’urbanisme. Or, ces derniers peuvent édicter des règles permettant de limiter ou d’empêcher l’installation de « dark kitchens » qui ne respecteraient pas certaines conditions. Ce nouveau texte n’est toutefois applicable qu’aux « dark kitchens » qui n’existaient pas au 1ᵉʳ juillet 2023, date d’entrée en vigueur de cette mesure.

Le maire peut par ailleurs, en application de son pouvoir de police municipale, intervenir pour faire cesser les nuisances sonores. En effet, l’article L2212-2 du Code général des collectivités territoriales prévoit que la police municipale a pour objectif de faire respecter la tranquillité publique en réprimant les atteintes à cette dernière.

Le maire peut ainsi prendre toutes les mesures nécessaires pour faire cesser le trouble. La jurisprudence administrative admet qu’une commune peut voir sa responsabilité engagée lorsque son maire n’a pas pris de mesures ou a pris des mesures insuffisantes en matière de police municipale [1].

Toutefois, le maire doit se garder de porter une atteinte disproportionnée aux libertés publiques. Ainsi la jurisprudence proscrit les mesures de polices soit générales soit absolues [2]. Si le maire peut encadrer l’exploitation des « dark kitchens » dans sa commune et édicter des mesures permettant de limiter les nuisances qu’elles génèrent, il ne peut pas décider légalement d’une interdiction de ces « cuisines dédiées à la vente en ligne » ce qui serait contraire à la liberté d’entreprendre laquelle a valeur constitutionnelle [3].

Enfin, en cas de carence du maire, le Code général des collectivités territoriales prévoit, en son article L2215-1, la possibilité pour le préfet d’intervenir en prenant « toutes mesures relatives au maintien de la salubrité, de la sûreté et de la tranquillité publiques ». Pour exercer ce pouvoir de substitution, le préfet doit avoir mis en demeure le maire de prendre les mesures nécessaires et cette mise en demeure doit avoir été infructueuse.

II. - La réponse du droit pénal.

Il faut distinguer ici la réponse du droit pénal à l’égard de l’exploitant de la « dark kitchen » et celle à l’égard des sociétés employant les livreurs.

L’article R623-2 du Code pénal, qui prévoit l’infraction de tapage nocturne, est applicable à tous les individus qui participent au tapage. Cette infraction est punie d’une amende de la 3ᵉ classe. Pour que l’infraction soit caractérisée, il suffit que le tapage ait perturbé la tranquillité d’autrui. Toutefois, la nuit ne se définit pas ici de 7 h 00 à 22 h 00 comme dans le Code de la santé publique pour les bruits d’origine professionnelle car la Cour de cassation estime qu’il faut considérer la durée réelle de la nuit, laquelle varie en fonction des saisons.

L’infraction de tapage nocturne permet de sanctionner individuellement les livreurs qui troubleraient la tranquillité du voisinage. Cependant, les livreurs changeant régulièrement, la sanction individuelle aurait probablement peu d’effet dissuasif.

Pour agir à l’encontre de l’exploitant de la « dark kitchen » ou de la société employant les livreurs, il faut se tourner du côté du Code de la santé publique.

L’article R1336-6 de ce code sanctionne les bruits émanant d’une activité professionnelle, d’une activité sportive, culturelle ou de loisir, organisée de façon habituelle ou soumise à autorisation, dès lors que ces bruits dépassent le niveau d’émergence limite fixé à l’article R1336-7 du même code. La limite d’émergence pour les bruits professionnels est fixée à 5 dB(A) la journée (de 7 h 00 à 22 h 00) et de 3 dB(A) la nuit (de 22 h 00 à 7 h 00).

S’agissant des bruits de fonctionnement d’une cuisine de restaurant tel que le bruit généré par un extracteur d’air par exemple, il n’y a pas de difficultés. Il s’agit bien d’un bruit ayant pour origine l’activité de « dark kitchen », par conséquent si l’émergence de ce bruit dépasse les limites réglementaires alors l’exploitant pourra être sanctionné pénalement.

La difficulté ici concerne tous les bruits émanant des livreurs à scooter et des fournisseurs de denrées alimentaires qui livrent en camionnettes. En effet, ces livreurs ne sont pas les employés de la « dark kitchen », il n’y a pas de lien de subordination entre eux et l’exploitant, or le droit pénal connaît le principe élémentaire suivant : « nul n’est responsable pénalement que de son propre fait ».

Par conséquent il peut être complexe d’affirmer que les bruits générés par les employés de sociétés tiers émanent de l’activité professionnelle de la « dark kitchen ».

Cependant, la Cour de cassation, dans un arrêt du 7 mars 2023 [4] a reconnu la responsabilité d’une société du fait des nuisances sonores émanant des camions frigorifiques de sociétés tiers qui la livrait. La cour estime que l’article R1336-6 du Code de la santé publique exige uniquement que : « dans le cadre de son activité professionnelle organisée de façon habituelle, il soit établi que la société est à l’origine des nuisances sonores ». Or, pour confirmer le fait que la société est à l’origine des nuisances sonores, la Cour de cassation utilise deux critères : elle vérifie d’abord que les véhicules desquels émanent les nuisances sonores sont nécessaires à la société incriminée pour exercer son activité et augmenter son chiffre d’affaires. Si c’est le cas, la cour en conclut que la faute a bien été commise, dans l’intérêt de la société. La cour regarde ensuite si la société en question avait les moyens de prévenir ou faire cesser les nuisances sonores. Si ces deux critères sont remplis, alors la société en cause peut être reconnue pénalement responsable des nuisances sonores émanant des camions qui la livre.

Ainsi, dans le cas des « dark kitchens », l’exploitant pourra être tenu pénalement responsable des nuisances sonores générées par les livreurs en scooter et en camionnette compte tenu du fait qu’il a besoin de ces livreurs pour exercer son activité et pour accroître son chiffre d’affaires. De plus, l’exploitant d’une « dark kitchen » peut prendre des mesures pour prévenir les nuisances sonores, notamment en prévoyant un accueil des livreurs au sein du local et non pas dans la rue, ou encore en aménageant la zone de livraison pour les livreurs en camionnette de manière à limiter les nuisances sonores.

Le droit pénal permet donc de sanctionner individuellement les auteurs de nuisances sonores, mais il permet aussi d’engager la responsabilité de l’exploitant de la « dark kitchen » en considérant que les nuisances sonores émanant des livreurs font partie des bruits ayant pour origine son activité professionnelle.

III. - La réponse du droit civil.

La réponse pénale ou la réponse administrative présentées ci-dessus n’étant pas pleinement satisfaisante, la réponse du droit civil mérite d’être étudiée aussi. Celle-ci réside principalement dans l’action devant les juridictions civiles dans le but d’engager la responsabilité de l’exploitant de la « dark kitchen » sur le fondement de la responsabilité sans faute de l’exploitant pour trouble anormal du voisinage.

Cette action repose sur un principe simple : « nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage » [5].

Comme pour toute action en responsabilité civile, le but est d’obtenir l’intégrale réparation du préjudice subi. Mais l’objectif est aussi d’obtenir la cessation du trouble, soit en demandant au juge d’imposer des mesures permettant de réduire voir de supprimer les nuisances, soit, parfois, en lui demandant d’imposer la cessation de l’activité qui cause les nuisances sonores si aucune autre solution n’est possible.

La spécificité de cette action en responsabilité pour trouble anormal du voisinage est qu’il s’agit d’un régime de responsabilité sans faute. Il n’est nul besoin de démontrer que le trouble du voisinage est dû à une faute commise par l’exploitant de la « dark kitchen », comme par exemple le dépassement de l’émergence autorisée.

Il suffit, dans cette hypothèse, de démontrer l’anormalité du trouble de voisinage. Les tribunaux vont donc uniquement vérifier que le trouble remplit les quatre conditions suivantes :

  • il s’inscrit dans une relation de voisinage ;
  • il cause un préjudice. Ce préjudice peut être moral, de santé ou pécuniaire ;
  • le trouble doit présenter un caractère anormal. C’est-à-dire qu’il doit présenter des inconvénients supérieurs à ceux que tout un chacun doit accepter dans une vie en société ;
  • il doit exister un lien de causalité entre le trouble anormal de voisinage et le préjudice. C’est-à-dire que le préjudice doit bien avoir été causé par ce trouble du voisinage.

Bien que ce régime de responsabilité ne nécessite pas de faute, il faut tout de même pouvoir démontrer au juge la réalité de l’anormalité du trouble. Pour cela, la meilleure solution, bien que coûteuse dans un premier temps, est d’avoir recours à une expertise judiciaire acoustique laquelle permettra d’objectiver le trouble anormal et les préjudices qui en découle. Pour obtenir cette expertise judiciaire, il faut en faire la demande en application de l’article 145 du Code de procédure civile, par la voie de droit la plus adaptée : la requête (non contradictoire) ou le référé (procédure contradictoire la plus souvent utilisée).

Une fois le trouble anormal du voisinage prouvé par l’expertise, le juge du fond saisi devra faire cesser le trouble en ordonnant les mesures nécessaires, souvent des travaux, mais il devra aussi ordonner la réparation intégrale du préjudice.

En conclusion, le droit civil demeure la voie de droit la plus efficace pour les victimes des « dark kitchens ». Le droit administratif pourra lui être utile comme outil de prévention des troubles à condition que la commune soit vigilante dans l’application de la réglementation. Enfin, s’agissant du droit pénal, il peut être utile pour réprimer les atteintes à la réglementation relatives aux bruits ayant pour origine une activité professionnelle, à condition toutefois pour les agents verbalisateurs d’être en mesure de démontrer que les nuisances générées par les livreurs ont pour origine l’activité professionnelle de la « dark kitchen ».

Christophe Sanson,
Avocat au Barreau des Hauts-de-Seine

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Notes de l'article:

[1CAA Nantes, 25 avr. 2014, M. et Mme A. D., n° 12NT00387.

[2CAA, Marseille 9 janv. 2018, Cne de Beaucaire, req. n° 17MA02562.

[3Conseil Constit., 30 nov. 2012, n° 2012-285 QPC.

[4Cass., Ch. Criminelle, 7 mars 2023, n° 22-80.743.

[5Cass., 2ᵉ civ., 19 novembre 1986, n° 84-16.379.

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