Au secours ! La chaudière de mon voisin fait trop de bruit !

Par Christophe Sanson, Avocat.

123 lectures 1re Parution:

Ce que vous allez lire ici :

Un propriétaire a contesté des nuisances sonores causées par la chaudière de son voisin. La Cour d'Appel de Versailles a reconnu un trouble anormal de voisinage, condamnant le voisin à indemniser le plaignant pour divers préjudices, affirmant ainsi l'importance des mesures d'émergence comme preuve des nuisances sonores.
Description rédigée par l'IA du Village

Cet arrêt souligne, même en présence de bruits domestiques régis par les dispositions de l’article R1336-5 du Code de la santé publique, l’importance, devant le juge civil, de la mesure de l’émergence pour objectiver le trouble anormal de voisinage.

Il rappelle également la force probante d’un rapport d’expertise judiciaire, même lacunaire.

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Le propriétaire d’une maison individuelle subissait les nuisances sonores et olfactives générées par la chaudière à gaz de la maison voisine, dont le conduit d’évacuation des fumées débouchait dans sa cour.

Il avait été débouté en première instance, le Tribunal judiciaire de Versailles ayant estimé « compte tenu de l’insuffisance des éléments figurant dans le rapport, que les conclusions de l’expert judiciaire ne pouvaient pas être prises en compte.

A l’inverse, la Cour d’Appel de Versailles a fait droit, pour l’essentiel à ses demandes, considérant que les nuisances sonores, constitutives d’un trouble anormal de voisinage, étaient démontrées.

I. Présentation de l’affaire.

1° Les faits.

Monsieur X., propriétaire et occupant d’une maison, avec sa compagne Madame P., se plaignait de bruits générés par le conduit d’évacuation des fumées de la chaudière de la maison contiguë à la sienne, propriété de Monsieur Y.

Le demandeur faisait état d’importantes nuisances sonores et olfactives provoquées par l’utilisation de cette chaudière à gaz.

Ces nuisances sonores étaient particulièrement présentes durant les saisons froides, en raison de l’utilisation du chauffage, mais elles persistaient également le reste de l’année, dès lors que l’eau chaude sanitaire était utilisée.

Ces bruits, d’une forte intensité, pouvaient se manifester en période diurne comme en période nocturne.

Ils empêchaient le demandeur de jouir sereinement de son bien immobilier et dégradait sa santé, notamment par des troubles du sommeil.

2° La procédure.

Après avoir fait effectuer un constat d’huissier attestant de ces nuisances sonores, Monsieur X. et Madame P. avaient saisi le juge des référés du Tribunal judiciaire de Versailles (anciennement tribunal de grande instance) afin de solliciter la réalisation d’une expertise judiciaire.

Le tribunal avait fait droit à leur demande et l’expert avait rendu son rapport définitif dans lequel il concluait au dépassement de valeurs d’émergence tolérées, sur la base de plusieurs mesures effectuées à trois points différents de la maison.

Se fondant sur ce rapport, Monsieur X. avait saisi seul le Tribunal judiciaire de Versailles, afin de voir cesser les nuisances sonores et indemniser ses préjudices.

A l’issue des opérations d’expertise, Monsieur Y. avait cependant fait réaliser des travaux sur le conduit d’évacuation des fumées de sa chaudière puis il avait vendu la maison qu’il occupait à Monsieur et Madame, Z.

Monsieur X. avait alors décidé d’assigner ces derniers, considérant que les nuisances sonores persistaient malgré les travaux.

En première instance, le Tribunal judiciaire de Versailles avait débouté le plaignant de toutes ses demandes considérant que le rapport d’expertise n’était pas probant.

Monsieur X. avait été condamné à payer la somme de 3 500 € à Monsieur Y. et la somme de 2 500 € à Monsieur et Madame Z. les nouveaux propriétaires, au visa de l’article 700 du Code de procédure civile, qui permet le remboursement d’une partie des frais non couverts par les dépens (frais d’avocat pour l’essentiel).

La victime des nuisances sonores avait alors interjeté appel de ce jugement.

3° La décision du juge.

Par son arrêt du 21 novembre 2024, la Cour d’Appel de Versailles a fait partiellement droit aux demandes de Monsieur X., victime du bruit.

Elle a infirmé le jugement de première instance en reconnaissant la responsabilité de Monsieur Y., propriétaire de la chaudière, dans le trouble anormal du voisinage subi par son voisin. Le premier a été condamné à payer au second : 4 937,50 € pour le préjudice de jouissance, 963,56 € pour le préjudice matériel et 1 500 € pour le préjudice moral.

S’agissant des dépens, Monsieur X. et Monsieur Y. ont été condamnés à en supporter chacun la moitié, à l’exception des frais d’expertise restant à la charge intégrale de Monsieur Y.

Monsieur Y. a également été condamné à verser la somme de 6 000 € à Monsieur X., tandis que Monsieur X a été condamné à verser la somme de 2 500 € à Monsieur et Madame Z., au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.

II. Observations.

Cet arrêt consacre la mesure de l’émergence comme la méthode la plus appropriée pour objectiver scientifiquement l’existence de nuisances sonores en cas de trouble anormal de voisinage (1°).

Par ailleurs, il rappelle la force probante d’un rapport d’expertise comportant des mesures d’émergence, malgré les critiques formelles qui peuvent être adressées à son encontre (2°).

1° La mesure de l’émergence comme preuve objective des nuisances sonores du trouble anormal de voisinage.

Le défendeur et le juge de première instance avaient considéré que le rapport n’était pas probant, reprochant notamment à l’expert d’appuyer son avis sur des mesures d’émergence sonore que le Code de la santé publique réserve au constat des agents verbalisateurs en cas de bruits d’origine professionnelle [1].
Pour infirmer le jugement de première instance et faire droit aux demandes de Monsieur X., la cour d’appel s’est attachée à l’inverse, et à bon droit selon nous, à conforter l’utilisation de la mesure de l’émergence, alors même qu’une telle méthode n’est pas requise, en application de l’article R1336-5 du Code de la santé publique, s’agissant d’un litige entre particuliers.

Elle a d’abord rappelé le principe général du droit selon lequel : « nul ne doit causer à autrui un trouble anormal du voisinage », désormais codifié à l’article 1253 alinéa 1er du Code civil qui dispose que :

« Le propriétaire, le locataire, l’occupant sans titre, le bénéficiaire d’un titre ayant pour objet principal de l’autoriser à occuper ou à exploiter un fonds, le maître d’ouvrage ou celui qui en exerce les pouvoirs qui est à l’origine d’un trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage est responsable de plein droit du dommage qui en résulte ».

Cet article ne préconise pas de méthodologie spécifique pour caractériser l’anormalité du trouble, cela relève de la liberté d’appréciation de la preuve par le juge civil en matière de trouble anormal de voisinage lequel juge peut notamment, comme dans le cas présent, s’inspirer des dispositions du Code de la santé publique.

Ici la cour d’appel s’est appuyée sur l’article R1336-5 du Code de la santé publique qui dispose que : « Aucun bruit particulier ne doit, par sa durée, sa répétition ou son intensité, porter atteinte à la tranquillité du voisinage ou à la santé de l’homme, dans un lieu public ou privé, qu’une personne en soit elle-même à l’origine ou que ce soit par l’intermédiaire d’une personne, d’une chose dont elle a la garde ou d’un animal placé sous sa responsabilité ».

Cependant, cet article ne précise pas non plus la méthode à appliquer pour objectiver l’atteinte à la tranquillité du voisinage, bien qu’il précise qu’elle se caractérise par la durée, la répétition ou l’intensité du bruit.

La cour d’appel a donc recherché la méthode la plus appropriée pour objectiver l’intensité du bruit (les deux autres critères étant prouvés s’agissant d’une chaudière dont nul ne contestait le fonctionnement dans la durée et la répétition) et a affirmé :
« A cet égard, la réglementation relative à la lutte contre les bruits du voisinage contribue par l’indication de seuils réglementaires à objectiver l’anormalité du trouble ».

Elle a confirmé ainsi que la mesure de l’émergence constituait la méthode la plus appropriée pour objectiver l’anormalité d’un trouble de voisinage, quand bien même elle ne serait imposée par le Code de la santé publique que pour les bruits professionnels.

Elle a toutefois visé le mauvais article du Code de la santé publique en cherchant à définir la notion d’émergence puisqu’elle a évoqué l’article R1334-33 (aujourd’hui abrogé) alors même que la notion est définie à l’article R1336-7 qui dispose :
« L’émergence globale dans un lieu donné est définie par la différence entre le niveau de bruit ambiant, comportant le bruit particulier en cause, et le niveau du bruit résiduel constitué par l’ensemble des bruits habituels, extérieurs et intérieurs, correspondant à l’occupation normale des locaux et au fonctionnement habituel des équipements, en l’absence du bruit particulier en cause ».

Mais cette faute de plume n’emporte aucune conséquence juridique, puisque la notion d’émergence et ses valeurs réglementairement tolérées restent les mêmes.

Ces valeurs limites d’émergence trouvent d’ailleurs leur origine, non pas dans le Code de la santé publique, mais dans un avis scientifique de la Commission d’étude du bruit du ministère de la santé rendu en 1963 qui a affirmé que :

« Le trouble, autrement dit la gêne ou la nuisance, est incontestable lorsque l’augmentation d’intensité sonore produit par l’apparition du bruit perturbateur, par rapport à la valeur minimale du bruit ambiant, dépasse les valeurs suivantes :
- de jour (7 heures à 22 heures) : + 5 dB(A)
- de nuit (22 heures à 7 heures) : + 3 dB(A)
Ce dépassement ne devra avoir lieu ni dans le niveau global, ni dans une bande de fréquence quelconque de bruit audible
 ».

La cour d’appel a, quant à elle, souverainement décidé que le trouble anormal de voisinage en l’espèce avait été prouvé par les mesures d’émergence de l’expert judiciaire.

L’expert ayant en effet relevé une émergence nocturne pouvant atteindre 13 dB(A) et une émergence diurne 9,7 dB(A), à l’intérieur du logement de la victime, la cour d’appel a conclu que :

« Etant donné qu’elles trouvent leur origine dans une chaudière s’actionnant pour le chauffage en hiver mais également pour l’eau chaude sanitaire toute l’année, il y a lieu de considérer que de par leur durée, leur fréquence et leur intensité, ces nuisances sonores ont excédé les inconvénients normaux de voisinage et ont été à l’origine d’un trouble anormal de voisinage de nature à engager la responsabilité de M. ».

2° La force probante du rapport d’expertise malgré les critiques formulées à son encontre.

L’intimé (défendeur en appel) critiquait également le rapport en reprochant à l’expert de n’avoir pris des mesures qu’à trois endroits sur trois jours, de ne pas avoir pris en compte ses observations et de ne pas avoir transmis de pré-rapport avant de rendre son rapport définitif.

La cour d’appel a cependant confirmé la force probante du rapport en affirmant que « les critiques de Monsieur Y. à l’encontre du rapport d’expertise, reprise par le tribunal, n’étaient pas de nature à remettre en cause les mesures prises par l’Expert et avec elles la valeur de son avis technique indépendamment des textes réglementaires visés dans le rapport ».

L’expert n’étant pas là pour donner un avis juridique mais uniquement un avis technique, la our s’est attachée, à bon droit à notre avis, aux mesures qu’il avait réalisées sans prendre en considération les erreurs qu’il avait pu faire (n’étant pas juriste) en décrivant le cadre réglementaire relatif aux nuisances sonores qu’il avait à constater.

Elle a rappelé, par ailleurs, que si l’absence de pré-rapport relève de la méconnaissance des termes de la mission d’expertise et constitue, en principe, un vice de forme pouvant entacher le rapport définitif de nullité, il ne pouvait en aller ainsi qu’à la condition de prouver que cette absence avait causé un préjudice au défendeur et une atteinte au principe de la contradiction.

Or, la cour d’appel a souligné que le rapport final avait été soumis à discussion et que la procédure devant le juge de première instance avait bien été contradictoire, le défendeur ayant eu toute latitude pour critiquer les mesures, la méthodologie et les conclusions de l’expert ce qu’il avait abondamment fait.

En conséquence, elle a estimé que les mesures de l’expert étaient parfaitement probantes, malgré les multiples critiques soulevées par le défendeur et le juge de première instance à l’encontre du rapport.

Conclusion.

Cet arrêt est important car il consacre la notion d’émergence comme pierre angulaire du droit relatif aux bruits de voisinage, en ce qu’elle permet d’objectiver scientifiquement le trouble anormal de voisinage.

Par la même occasion, il souligne la valeur probante d’un rapport d’expertise, dès lors qu’il contient des mesures d’émergence, alors même que l’expert n’a pas fourni de pré-rapport.

Le rapport d’expertise pouvant toujours être discuté contradictoirement durant la procédure au fond, la partie adverse n’est pas parvenue à démontrer le grief qu’elle subissait du fait de l’absence de pré-rapport.

La cour d’appel a ainsi confirmé la présence de nuisances sonores constituant un trouble anormal de voisinage et en a tiré les conséquences, non pour le faire cesser car elle a considéré que c’était déjà fait, mais pour indemniser les préjudices qui en résultaient.

Christophe Sanson
Avocat au Barreau des Hauts-de-Seine

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[1Articles R1336-6 et R1336-7.

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