La saisie pénale de sommes inscrites au crédit d’un compte bancaire.

Par Matthieu Hy, Avocat.

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Explorer : # saisie pénale # compte bancaire # officier de police judiciaire # restitution des fonds

La saisie pénale d’une somme d’argent versée sur un compte bancaire relève du régime des saisies pénales (C.pr.pén., art. 706-141 et suivants). Sa vocation est donc purement patrimoniale, à savoir « garantir l’exécution de la peine de confiscation » prévue à l’article 131-21 du Code pénal (C.pr.pén., art. 706-141). Elle appartient à la catégorie des saisies portant sur certains biens ou droits incorporels, dont elle constitue une sous-catégorie particulière au même titre notamment que la saisie de parts sociales, de valeurs mobilières, d’instruments financiers ou de fonds de commerce.

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La compétence de l’officier de police judiciaire.

Alors que les autres saisies pénales spéciales ne peuvent qu’être ordonnées par un juge des libertés et de la détention, au cours de l’enquête préliminaire, ou un juge d’instruction, au cours de l’information judiciaire [1], la saisie d’une somme d’argent versée sur un compte ouvert auprès d’un établissement de crédit peut être réalisée par un officier de police judiciaire. L’article 706-154, alinéa 1er, du Code de procédure pénale pose toutefois l’exigence d’une autorisation préalable du procureur de la République ou du juge d’instruction.

Cette autorisation n’est soumise à aucune forme particulière et peut donc être donnée par tous moyens [2]. Lorsqu’il en est requis par l’officier de police judiciaire, l’établissement bancaire consigne la somme sur le compte de l’Agence de Gestion et de Recouvrement des Avoirs Saisis et Confisqués (AGRASC) à la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC).

Cette compétence dérogatoire de l’OPJ pour procéder à une saisie pénale spéciale est justifiée par l’« extrême volatilité » des fonds selon la Chambre criminelle de la Cour de cassation qui conclut à la conventionnalité d’un tel mécanisme [3] aussi bien qu’à sa constitutionnalité [4].

La saisie porte soit sur l’intégralité des fonds présents sur le compte bancaire au moment de la saisie [5], soit sur le montant indiqué dans la décision de saisie [6], qui peut être limité pour des raisons de proportionnalité ou d’équivalence. Il est difficile de comprendre pourquoi la chambre criminelle de la Cour de cassation estime que cette saisie « n’entraîne aucune dépossession » et a « pour seul effet de rendre indisponibles les fonds » dans l’attente d’un maintien ou d’une mainlevée par un juge du siège [7] dans la mesure où les fonds sont immédiatement retirés du compte, ce qui a de regrettables conséquences qui seront examinées plus loin.

S’il arrive que l’établissement bancaire rompe sa relation contractuelle avec le client subissant une saisie, il ne s’agit pas d’une conséquence juridique de la saisie pénale mais d’une initiative personnelle de la banque. En principe, le compte peut continuer de fonctionner normalement et les fonds qui y sont ultérieurement versés ne font pas l’objet d’une saisie automatique.

L’intervention d’un juge du siège.

Si, par dérogation au droit commun, l’officier de police judiciaire peut être autorisé à pratiquer une saisie pénale de sommes inscrites au crédit d’un compte bancaire, l’intervention d’un magistrat du siège est toutefois ultérieurement requise par l’article 706-154, alinéa 1er, du Code de procédure pénale. Cette disposition prévoit en effet qu’au cours de l’enquête préliminaire, le juge des libertés et de la détention, saisi par le procureur de la République, « se prononce par ordonnance motivée sur le maintien ou la mainlevée de la saisie dans un délai de dix jours à compter de sa réalisation ».

Au cours de l’information judiciaire, la compétence revient au juge d’instruction, sans qu’un avis du ministère public soit nécessaire, sauf à ce que la saisie constitue également une saisie de patrimoine relevant de l’article 706-148 du Code de procédure pénale [8].

Le délai de dix jours court à compter de la date de notification de la décision de l’officier de police judiciaire à l’établissement bancaire qui a pour effet de rendre les fonds immédiatement indisponibles et non à compter de leur retrait du compte [9]. Le dépassement du délai a pour effet que la saisie de l’OPJ cesse de produire ses effets [10], ce qui interdit à une chambre de l’instruction de confirmer l’ordonnance de maintien de saisie pénale prise hors délai).

En pratique, alors que l’absence d’ordonnance de maintien de saisie dans les dix jours devrait suffire, à l’expiration de ce délai, à conduire au retour des sommes sur le compte bancaire, l’AGRASC ne disposant plus d’aucun titre lui permettant de conserver les fonds, elle exige pourtant une décision de restitution du Parquet, du juge des libertés et de la détention, du juge d’instruction ou de la chambre de l’instruction pour restituer les sommes.

Ainsi, la situation théoriquement la plus favorable, à savoir l’inexistence de toute ordonnance se prononçant sur la saisie de l’OPJ ou de toute décision de restitution prise d’office par le Parquet, devient la plus défavorable. Par ailleurs, la restitution d’une saisie non maintenue demeure soumise à la procédure d’information des créanciers publics éventuels par l’AGRASC, ce qui peut inciter à des saisies illégales.

Le fait que le juge compétent ordonne la saisie au lieu d’ordonner son maintien n’affecte pas la validité de la décision [11].

Le recours contre une ordonnance de maintien.

L’ordonnance de maintien de la saisie d’une somme inscrite au crédit d’un compte bancaire est notifiée au ministère public, au titulaire du compte, et, s’ils sont connus, aux tiers ayant des droits sur ce compte [12]. La notification a pour seul effet de faire partir le délai de recours de dix jours contre l’ordonnance [13]. Elle ne présume ni de la recevabilité ni de l’irrecevabilité de l’appel. Ainsi, alors qu’en pratique les établissements bancaires teneurs du compte saisi se voient notifier l’ordonnance, il a été jugé qu’ils ne sont pas des tiers ayant des droits sur le compte et qu’ils sont dès lors irrecevables à interjeter appel de l’ordonnance de maintien de même qu’à se pourvoir en cassation contre l’arrêt confirmatif de la chambre de l’instruction [14].

A l’inverse, si le compte bancaire fait l’objet d’une saisie pénale au motif qu’un mis en cause, sans en être le titulaire, s’en voit imputer la libre disposition, il apparaît désormais évident que son appel sera recevable [15].

Le recours est formé au greffe du tribunal judiciaire [16]. Le président de la chambre de l’instruction n’ayant pas le pouvoir de rendre une ordonnance de non-admission [17], l’examen du recours contre l’ordonnance de maintien relèvera nécessairement de la chambre elle-même [18].

L’appel n’a pas d’effet suspensif [19]. Dès lors, l’appelant demeurera nécessairement privé des fonds pendant le délai d’audiencement, parfois particulièrement long, devant la chambre de l’instruction, sauf à ce qu’une restitution du parquet ou du juge d’instruction intervienne entre temps [20].

En cas de pluralité de titulaires sur le compte bancaire dont les fonds ont été saisis, il est plus que souhaitable que chacun d’entre eux interjette appel de l’ordonnance de maintien.

L’audience devant la chambre de l’instruction.

L’article 706-154, alinéa 2, du Code de procédure pénale prévoit classiquement que « l’appelant ne peut prétendre dans ce cadre qu’à la mise à disposition des seules pièces de la procédure se rapportant à la saisie qu’il conteste ». Deux hypothèses sont envisageables : soit l’appelant dispose d’une qualité qui lui a par ailleurs donné l’accès au dossier, mis en examen notamment ; soit il ne dispose pas d’une telle qualité, qu’il soit mis en cause ou tiers à la procédure, ce qui lui interdit de disposer de l’entier dossier. Selon la chambre criminelle de la Cour de cassation, cette limitation de l’accès au dossier est supposée garantir le droit à un recours effectif tout en préservant le secret de l’enquête ou de l’instruction [21].

Doivent ainsi nécessairement être transmis à l’appelant le procès-verbal constatant les opérations de saisie initiale et, le cas échant, la requête du ministère public sollicitant le maintien de celle-ci [22]. Une chambre de l’instruction ne saurait reprocher à l’appelant de ne pas les avoir sollicités pour estimer cette exigence remplie [23]. La chambre criminelle a eu l’occasion de préciser qu’il s’agit là d’un minimum [24]. En tout état de cause, la chambre de l’instruction doit s’assurer que les pièces précisément identifiées sur lesquelles elle se fonde dans ses motifs décisoires doivent avoir été communiquées à l’appelant [25].

Sur le fond, la contestation de l’ordonnance de maintien de saisie pénale des fonds peut consister à soulever, entre autres, les arguments, classiques en matière de saisies pénales spéciales, relatifs à l’absence d’indices de commission de l’infraction [26] ou encore à la violation des principes d’équivalence [27] ou de proportionnalité [28].

La chambre de l’instruction peut confirmer l’ordonnance ou l’infirmer, de manière totale ou partielle. Une confirmation pure et simple a pour effet de faire perdurer la saisie pénale.

L’arrêt de restitution est exécuté par l’AGRASC dans des délais variables et après déduction éventuelle des sommes dues à des créanciers publics.

La requête en restitution.

L’irrecevabilité de l’appel de l’ordonnance ou sa confirmation par la chambre de l’instruction n’ont naturellement pas pour effet de transférer la propriété des fonds, ce qui est la conséquence de la peine de confiscation, ni de faire échec à toute restitution avant la phase de jugement.

Au stade de l’enquête préliminaire ou de l’information judiciaire, les articles 41-4 et 99 du Code de procédure pénale permettent de solliciter la restitution respectivement du procureur de la République et du juge d’instruction. Leur décision sera également susceptible de recours [29]. Il doit non seulement être constaté que la requête ne présente pas de particularité au motif qu’elle concerne une somme d’argent mais qu’en outre, les dispositions applicables sont également celles mobilisables pour solliciter la restitution d’un bien ayant fait l’objet d’une saisie de droit commun.

Quel que soit le moment où la demande est formulée, les juges sont tenus de se prononcer dans un délai raisonnable, y compris donc lorsque leur réponse n’est enserrée dans aucun délai [30].

La requête relative à l’exécution de la saisie.

Aux termes de l’article 706-144, alinéa 1er, du Code de procédure pénale, « le magistrat qui a ordonné ou autorisé la saisie d’un bien ou le juge d’instruction en cas d’ouverture d’une information judiciaire postérieurement à la saisie sont compétents pour statuer sur toutes les requêtes relatives à l’exécution de la saisie ».

Cette disposition a vocation à s’appliquer lorsque la demande n’est pas à proprement parler une requête en restitution fondée sur les critères habituels. Ainsi, selon la chambre criminelle de la Cour de cassation, l’établissement bancaire qui entend contester son obligation de consigner les sommes saisies à son client doit avoir recours à cette procédure [31]. De même, l’article 706-144 du Code de procédure pénale est la disposition applicable lorsque la personne ayant fait l’objet de la saisie veut alerter le magistrat sur la situation financière dans laquelle elle est susceptible de se trouver compte-tenu de la saisie de solde de son compte bancaire [32].

Matthieu Hy
Avocat au Barreau de Paris
www.matthieuhy.com
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Notes de l'article:

[1C.pr.pén., art. 706-148, 706-150, 706-153, 706-158.

[2Crim., 17 avril 2019, n°18-84057.

[3Crim., 10 mars 2021, 20-84.966.

[4Crim., 24 juillet 2019, n°19-80426 ; n°19-80422, Crim., 13 avril 2022, 22-80.954.

[5Crim., 18 septembre 2012, n°12-80.662.

[6C.pr.pén., art.706-154, al.3.

[7Crim., 24 juillet 2019, précité.

[8Crim., 18 septembre 2012, précité.

[9Crim., 1er avril 2020, n°19-85.770.

[10Crim., 7 juin 2017, 16-86.898, Crim., 1er avril 2020, précité.

[11Crim., 17 avril 2019, n°18-84.057.

[12C.pr.pén., art. 706-154, al.2.

[13Crim., 3 février 2016, n°15-83.513.

[14Crim., 19 octobre 2022, n°21-86.652.

[15Crim., 9 juin 2022, n°21-86.360.

[16C.pr.pén., art.706-154, al.2

[17Crim., 20 avril 2022, 21-86.006.

[18C.pr.pén., art.706-154, al.2

[19C.pr.pén., art.706-154, al.2.

[20Sur cette possibilité : Crim., 22 juin 2022, n°21-82.352.

[21Crim., 3 février 2021, 20-84.966.

[22Crim., 24 juin 2020, n°19-84.631.

[23Crim., 24 octobre 2018, n°17-86.199.

[24Crim., 23 novembre 2022, n°22-80.659.

[25Crim. 23 octobre 2019, n°18-87097 ; Crim., 20 novembre 2019, n°19-8422 n°19-80426.

[26Crim., 24 juin 2020, n°19-84.631.

[27Par exemple, Crim., 21 novembre 2018, n°18-83041.

[28Crim., 23 mars 2021, n°20-81.479.

[29C.pr.pén., art.41-4 et 99.

[30Crim., 10 mars 2021, précité.

[31Crim., 19 octobre 2022, précité.

[32Crim., 29 janvier 2020, n°19-84.631.

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