Le rôle de l’avocat dans le cadre de l’audition libre.

Par Alain Bollé, Avocat.

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La personne entendue sous le statut de l’audition libre peut être assistée d’un avocat, qui peut lui prodiguer des conseils pendant toute la durée de l’interrogatoire. Par ailleurs, à l’issue de l’audition, cet avocat a la faculté de poser des questions ou de produire des observations écrites.

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Hors les cas où la loi en dispose autrement, les infractions peuvent être établies par tout mode de preuve et le juge décide d’après son intime conviction . L’un des modes de preuve est le recueil d’informations ou d’explications, par le témoignage et l’aveu.

Le droit pénal français connait trois formes d’enquête (préliminaire, flagrant délit ou sur commission rogatoire) permettant de recueillir des explications auprès des victimes ou des auteurs d’infractions. Les enquêteurs de la police ou de la gendarmerie nationales, officiers de police judiciaire, peuvent entendre les victimes , les témoins d’une infraction et placer le présumé auteur sous le régime de l’audition libre ou de la garde à vue.

La plainte est l’acte par lequel la partie qui s’estime lésée par la commission d’une infraction porte les faits à la connaissance du procureur de la République directement ou par l’intermédiaire d’un service de police ou de gendarmerie. L’audition de témoin permet à l’officier de police judiciaire d’appeler et d’entendre toutes les personnes susceptibles de fournir des renseignements sur les faits. L’audition libre s’applique lorsqu’une personne parait impliquée dans une affaire et répond à une convocation pour se rendre dans les locaux du commissariat ou de gendarmerie par ses propres moyens pour que ses explications puissent être recueillies. La garde à vue est une mesure privative de liberté prise lors d’une enquête judiciaire à l’encontre d’une personne suspectée d’avoir commis une infraction.

L’article 61-1 du Code de procédure pénale, lorsque l’infraction est un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement, permet à la personne d’être assistée au cours de son audition ou de sa confrontation par un avocat. Il ressort de cet article que l’avocat peut intervenir tout au long de la mesure, dans une première étape en prodiguant des conseils à la personne entendue sous le statut de l’audition libre, puis dans une seconde étape, et à l’issue de l’interrogatoire, en posant des questions ou en déposant des observations écrites.

I. La possibilité pour l’avocat de dispenser des conseils.

L’article 412 du Code de procédure pénale, contenant des dispositions communes à toutes les juridictions dispose « La mission d’assistance en justice emporte pouvoir et devoir de conseiller la partie et de présenter sa défense sans l’obliger ».

Le conseil juridique consiste donc à apporter des connaissances du droit aux particuliers, aux entreprises ou aux organismes publics. Il les prévient des dangers juridiques et propose des solutions et des conseils sur des procédures à mettre en œuvre.

1.1. Le rôle de l’avocat au cours de l’interrogatoire.

Préalablement, il convient de déterminer si la mesure subie, statut de l’audition libre ou garde à vue, est pertinente. Dans le premier cas la mesure est prise à l’égard d’une personne contre laquelle il existe des raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction, et dans le second cas à l’encontre d’une personne contre laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement. Elle est maintenue à la disposition des enquêteurs.

La différence est posée par l’article 62-2 du Code de procédure pénale, qui en substance précise que la mesure de garde à vue doit être prise pour permettre l’exécution d’investigations impliquant la présence ou la participation de la personne, permettant sa présentation devant le procureur de la République, empêchant qu’il puisse modifier les preuves ou indices matériels, qu’il ne fasse pression sur des tiers ou qu’il se concerte avec des coauteurs ou complices. Le but étant de garantir la mise en œuvre de ces mesures destinées à faire cesser le crime ou le délit. A contrario, lorsque ces conditions ne sont pas réunies et qu’il existe à l’encontre d’une personne des raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction, celle-ci doit être entendue en audition libre.

L’avocat, au cours de la première étape peut dispenser des conseils, sans poser de questions, à la personne subissant la mesure en application de l’article 412 du Code de procédure pénale « La mission d’assistance en justice emporte pouvoir et devoir de conseiller la partie et de présenter sa défense sans l’obliger ».

L’avocat peut conseiller son client en lui apportant des connaissances juridiques, notamment sur ce qu’il doit être dit pour ne pas aggraver son cas. Il s’agit pour l’avocat de vérifier si la qualification de l’infraction, dans ses éléments constitutifs, est caractérisée. Par ailleurs, il doit prévenir son client sur les dangers juridiques, cette information est souvent prodiguée en amont lors d’une réunion préparatoire pour l’informer sur les peines principales et complémentaires encourues. Enfin, au cours de l’interrogatoire, l’avocat peut prodiguer à son client des conseils personnalisés.

L’officier de police judiciaire informe la personne entendue en audition libre de sa possibilité de se taire de faire des déclarations ou de répondre aux questions . Il semble préférable de conseiller au client de répondre aux questions et d’éviter de faire des déclarations spontanées. Par contre, dans certains cas, il peut être important de l’inviter à se taire, notamment lorsque l’enquêteur exerce des pressions psychologiques ou lorsque l’officier de police judiciaire fait manifestement preuve d’impartialité, prenant fait et cause pour la victime ou encore lorsqu’il tente de l’influencer.

Il est également très important de s’assurer que la personne interrogée comprenne bien la question qui lui est posée par l’enquêteur, l’avocat, dans le cadre de son conseil doit s’en assurer. En effet, l’enquêteur peut employer des termes qui ne sont pas familiers à la personne entendue et celui-ci par crainte de passer pour un inculte ou parce qu’il est influencé peut donner l’impression de comprendre. De même qu’il peut être important de conseiller son client d’expliquer plus précisément sa participation en cas de pluralité d’auteurs ou de complices.

1.2. Le rôle de l’avocat à la fin de l’interrogatoire.

A la fin de son audition, l’avocat doit inciter son client à relire le procès-verbal d’audition avant de le signer.
Il est impératif que la personne entendue relise le procès-verbal pour vérifier qu’il y a eu une retranscription exacte de ses propos, il doit comprendre ce qui est mentionné. L’enquêteur, par souci de cohérence du texte et de la sémantique, peut interpréter les propos de la personne entendue et les retranscrire dans des termes qu’il juge plus approprié. Lors de la relecture, la personne entendue doit se focaliser sur le fond et non sur les fautes d’orthographe ou de frappe qui présentent bien moins d’intérêt pour la suite de l’affaire. En effet, ce qui est mentionné dans le procès-verbal d’audition peut être utilisé par la suite, notamment lorsque la personne entendue revient sur ses déclarations parce qu’il estime qu’elles ne reflètent pas ce qu’il a voulu dire lors de son premier interrogatoire. Lors de la lecture de sa déposition, il ne doit donc pas hésiter à faire modifier certains termes de sa déclaration.

Après la relecture du procès-verbal qui constitue une étape importante, il peut être signé. Attention, il n’est pas possible de modifier son contenu après sa signature. Pour cette raison, lorsque des éléments portés dans le procès-verbal d’audition sont erronés et si l’enquêteur refuse d’apporter les modifications demandées, ce document ne doit pas être signé. Un nouveau procès-verbal devra alors être rédigé pour compléter ou corriger le premier. L’article 61 du Code de procédure pénale précise que les personnes entendues procèdent elles-mêmes à la lecture du procès-verbal, qu’elles peuvent y faire consigner leurs observations et y apposer leur signature. Si elles déclarent ne pas savoir lire, lecture leur en est faite par l’officier de police judiciaire préalablement à la signature. En cas de refus de signer le procès-verbal, mention en est faite sur celui-ci.

La personne entendue doit apporter une attention toute particulière sur la rédaction des questions posées par l’enquêteur et des réponses retranscrites. Il n’est pas nécessaire lorsque la question n’est pas suffisamment précise d’y apporter absolument une réponse, surtout lorsque les faits sont anciens et que sa mémoire est défaillante. Les questions et les réponses doivent apparaitre clairement dans le procès-verbal .

II. La possibilité donnée à l’avocat de poser des questions et de faire des observations.

L’article 61-1 du Code de procédure pénale, ne permet pas à l’avocat de poser des questions ou de faire des observations au cours de l’interrogatoire, il doit attendre la fin de cette investigation et procéder sur l’invitation de l’officier de police judiciaire.

2.1. L’avocat peut poser des questions.

Aux termes de l’article 63-4-3 du Code de procédure pénale, à l’issue de chaque audition ou confrontation à laquelle il assiste, l’avocat peut poser des questions. L’officier ou l’agent de police judiciaire ne peut s’opposer aux questions que si celles-ci sont de nature à nuire au bon déroulement de l’enquête. Mention de ce refus est portée au procès-verbal.
Généralement, l’audition de la personne entendue en audition libre est décomposée en trois phases, les éléments de personnalité, la demande d’explications sur les faits et la présentation des éléments recueillis par l’enquêteur.

La phase de personnalité répond aux exigences de l’article 132-19 du Code pénal « Le tribunal doit spécialement motiver sa décision, au regard des faits de l’espèce et de la personnalité de leur auteur ainsi que de sa situation matérielle, familiale et sociale ». Il est donc indispensable que l’autorité judiciaire soit précisément éclairée sur ces éléments. Cette phase regroupe tous les éléments relatifs à l’identification personnelle et familiale, à la situation patrimoniale et aux antécédents. S’agissant du premier point, le conseil est rarement nécessaire, sauf peut être à inciter son client à relater une existence difficile. Par contre, il peut être utile de l’inviter à compléter ses explications sur ses difficultés financières et qu’il précise la nature de ses condamnations, en cas d’antécédents.

La demande d’explications sur les faits constitue le cœur de l’interrogatoire. Dans cette phase l’enquêteur tente d’instaurer un climat de confiance. Son but est d’inciter la personne interrogée à passer aux aveux. En pratique, il essaie d’enserrer le suspect dans un filet en l’interrogeant sur les seuls éléments connus par ce dernier ou sous le prétexte de recueillir des renseignements. Il le laisse parler pour pouvoir ensuite le mettre en face de ses contradictions. Il évite de l’interrompre, de lui couper la parole, se contente d’enregistrer ses déclarations sans faire de commentaire. A chaque question posée, l’interrogateur souligne les contradictions relevées, fait ressortir la mauvaise foi du suspect pour l’accabler du poids de ses mensonges. Au cours de cette phase, l’interrogateur se garde bien de dévoiler au suspect les éléments en sa possession (indices relevés, preuves rassemblées, témoignages recueillis...).

La troisième phase consiste à présenter les charges accumulées les unes après les autres et en commençant par les moins importantes. L’interrogé doit avoir l’impression en raison des éléments réunis à son encontre qu’il est préférable de passer aux aveux.

S’agissant des deux dernières phases, le conseil donné à l’interrogé doit l’inciter à s’expliquer sur les éléments présentés par l’enquêteur, que se soit dans ses explications ou lors de la présentation des éléments à charge.

2.2. L’avocat peut faire des observations écrites.

Selon l’article 63-4-3 du Code de procédure pénale : « A l’issue de chaque entretien avec la personne gardée à vue et de chaque audition ou confrontation à laquelle il a assisté, l’avocat peut présenter des observations écrites dans lesquelles il peut consigner les questions refusées en application du deuxième alinéa. Celles-ci sont jointes à la procédure. L’avocat peut adresser ses observations, ou copie de celles-ci, au procureur de la République pendant la durée de la garde à vue ».

Outre, des observations écrites sur le refus des questions posées par l’avocat, ces observations présentes un intérêt dans deux autres domaines. Le premier est celui du respect des droits pour la personne entendue, le second permet de présenter ses arguments sur la véritable qualification des faits.
L’avocat étant le garant de l’application des droits au bénéfice de la personne entendue, il est légitime qu’il fasse des observations lors d’un refus, par le policier, de poser des questions pour rétablir la réalité des faits. Ce refus pourrait s’apparenter à une volonté d’investiguer à charge.

L’article 61-1 prévoit la notification, par l’officier de police judiciaire, à la personne entendue de ses droits, notamment la connaissance et la qualification des faits, la date et le lieu présumés de l’infraction qu’elle est soupçonnée avoir commise, la possibilité de quitter à tout moment les locaux où elle est entendue, le cas échéant d’être assistée par un interprète, du droit de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire, d’être assistée par un avocat et de bénéficier de conseils juridiques. Il est important lorsque l’un des droits n’a pas été respecté d’en informer l’autorité judiciaire en lui transmettant des observations écrites.

Par ailleurs, l’assistance doit permettre, lorsque les faits ne sont pas caractéristiques d’une infraction pénale, de présenter des observations. Il ne suffit pas de mentionner que les faits relatés ne constituent pas une infraction, mais de reprendre un par un les éléments constitutifs de l’infraction pour démontrer l’infirmation.
Les observations écrites sont versées au dossier constitué par les enquêteurs, cependant, il peut être utile d’en transmettre une copie à l’autorité judiciaire. D’un point de vue pratique, après la rédaction des observations écrites, des photographies peuvent être prises (en utilisant son téléphone portable) pour en conserver un exemplaire.

A l’issue de l’audition libre, l’officier de police judiciaire demande des instructions au procureur de la République qui seul dispose de la prérogative de la suite à donner à l’affaire et donc de décider du sort de la personne entendue en audition libre. Le magistrat peut classer sans suite le dossier, dans ce cas la personne ne sera pas convoquée devant le tribunal correctionnel, il peut décider de son renvoi devant la juridiction de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité en cas d’aveux ou devant le tribunal correctionnel.

Alain Bollé, avocat spécialiste en droit,
Barreau du Val d’Oise,
Membre fondateur du cercle K2.

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