Le RIC, solution ou mirage à la crise de la démocratie représentative.

Par Arnaud Touati et Aubry Lebouar, Avocats.

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Explorer : # démocratie directe # référendum d'initiative citoyenne (ric) # crise de la démocratie représentative # participation électorale

La crise des Gilets Jaunes a permis de mettre en lumière des revendications très diverses. L’une des revendications phares qui ressort de cet océan de mécontentement est sans nul doute le Référendum d’Initiative Citoyenne ou RIC. Trois lettres (R.I.C) inscrites sur des pancartes aussi jaunes que les gilets des manifestants, qui représentent pour beaucoup une noble manière de redéfinir notre démocratie.

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Le RIC est certainement une proposition majeure et centrale, parce qu’elle reformerait profondément un instrument incontournable de la Cinquième République : le référendum.
Pour autant, cette proposition de votation populaire soulève de grands enjeux, à la fois organisationnels et démocratiques. Est-ce un apport considérable ou un instrument impraticable ? Une solution ou un mirage ?

A l’origine, une crise de la démocratie représentative.

Cette demande d’instauration d’une démocratie dite « directe » répond à un malaise grandissant dans la population vis à vis de la classe politique. Une perte de confiance envers les représentants, qui n’appliquent pas le programme pour lequel ils ont été élus.

En d’autres termes, nous assistons à une crise de la démocratie représentative.

Elle se caractérise par plusieurs facteurs, dont notamment l’abstention croissante aux élections de toutes sortes : de l’écrasant taux d’abstention aux européennes de mai 2014 (56,5%), en passant par l’abstention du quart du corps électoral français au second tour des présidentielles de mai 2017, ou encore de manière plus significative encore, par le taux d’abstention record de 57,36% (!) au second tour des législatives de juin 2017.

L’article 3 de la Constitution de 1958, l’un des textes majeurs de l’ordre juridique Français, dispose que « la souveraineté nationale appartient au peuple par ses représentants et par la voie du référendum ».

La souveraineté populaire est en réalité exercée par des représentants élus par moins de la moitié du corps électoral et dont la crédibilité s’est étiolée au cours du temps, du fait d’affaires judiciaires et de leur incapacité à résoudre les problèmes des Français.

Le référendum, outil de démocratie directe, n’a finalement été que très peu mis en œuvre. Pire, certaines occasions pour lesquelles il a été utilisé, sont des initiatives qui n’ont pas abouti au résultat escompté : le respect de la volonté populaire.

L’exemple du référendum de 2005 sur l’Europe en est le plus prégnant, puisque le Traité de Lisbonne de 2007, ratifié sans l’avis du peuple, a repris les principaux éléments de la Constitution européenne proposée par le référendum. Également, le vote organisé par l’Etat mais non-contraignant de Notre-Dame-des-Landes, pose questionnement quant à la volonté de nos dirigeants de se soumettre aux résultats des différentes consultations populaires.

Le référendum, un outil peu usité.

La question de l’utilisation du référendum est en soit paradoxale. Outil généralement plébiscité par la population, nous recensons finalement assez peu de référendums organisés sur le territoire national depuis sa consécration.

Les quatre premiers ont été organisés sous la seule présidence du Général De Gaulle et ils ont été des références en matière de plébiscites. C’est en 1969 que le premier « non » l’a emporté, ce qui a entrainé la démission du Président. Puis, en 1972, le « oui » l’emporte et permet d’élargir la Communauté Européenne. En 1988, une large majorité se dégage pour l’autodétermination de la Nouvelle-Calédonie, malgré une abstention supérieure à 63%. Ensuite, en 1992, le Traité de Maastricht sera accepté par une très courte avance, avec une abstention de 30%. En l’an 2000, malgré une abstention de presque 70%, les français répondent « oui » à l’adoption du quinquennat. Et finalement, le référendum de 2005 aboutira sur un « non » à près de 55% des voix.

Ainsi sur toute l’histoire de la Cinquième République, seulement une dizaine de référendums au niveau national ont eu lieu. Pour autant, l’accès au référendum est plus ouvert qu’auparavant. La réforme constitutionnelle de 2008 a ouvert le référendum à toute demande formulée par un cinquième des parlementaires et un dixième du corps électoral, en application des articles 11 et 61 de la Constitution. Cependant, depuis cette réforme, aucun référendum n’a été organisé.

Au regard de la défiance d’une partie des Français envers nos représentants et de la nécessité actuelle de passer par leur intermédiaire pour en organiser, une partie des Gilets Jaunes souhaite la création d’un référendum entièrement d’origine populaire. Cela permettrait selon eux d’opérer un meilleur contrôle de l’action publique et de proposer des réformes qui ne seraient pas dénaturées par les corps intermédiaires.

Face à la crise : le RIC oui mais lequel ?

Peu de détails sont connus de ce référendum citoyen. Les différents groupes de Gilets Jaunes proposant le RIC ne s’accordent pas entre eux pour dessiner clairement les contours d’une consultation populaire similaire à celles inscrites dans la Constitution de 1958.

Le site « ric-france.fr » propose une consultation « constituante, législative, abrogative et révocatoire ». Au contraire, le site « clic-ric.org » ayant sa propre définition du RIC, affirme que le but de la consultation populaire peut être « ratificatoire », permettant de dénoncer un traité international, « suspensif », afin d’annuler une loi avant son entrée en vigueur, ou encore « convocatoire », afin de convoquer une assemblée d’expert.

Par conséquent, quel type de consultation populaire faut-il choisir ? Aucune des deux précitées n’est officiellement déclarée comme proposition officielle des Gilets Jaunes, alors pourtant que ce ne sont que deux exemples parmi la large variété des RIC proposés.

Si la consultation citoyenne était acceptée, la France serait le premier pays à proposer un tel outil. Les exemples des référendums populaires italiens et californiens ne peuvent en effet porter sur les lois budgétaires et fiscales. Or, il est fort à parier que les Gilets Jaunes ne pourraient accepter que le RIC n’ait pas d’impact sur ces questions-là, au regard de l’origine du mouvement qui est la hausse de la taxe sur les carburants.

Pour sa part, le référendum suisse, modèle affirmé pour beaucoup de Gilets Jaunes, ne permet pas de proposer de nouvelles lois nationales ou de révoquer un élu, bien qu’il donne la possibilité de proposer une réforme de la Constitution à l’issue d’une initiative portée par 100.000 signatures, soit 2 % du corps électoral.

Reste le référendum révocatoire, qui est le moins prisé à l’international. Le seul exemple probant est celui du Venezuela, souvent cité en exemple par Monsieur Mélenchon, par lequel il serait possible de destituer le Président si les opposants parvenaient à réunir quatre millions de signatures. Cependant, aucun pays, pas même la Suisse souvent mentionnée, ne propose un tel panel de mesures concernant le référendum d’initiative citoyen.

Un bouleversement de la hiérarchie des normes.

Les différents RIC proposés par les militants sont tels, que leurs effets pourraient bouleverser le cadre juridique actuel. Il est pourtant primordial de déterminer les modalités d’organisation du RIC. Certains Gilets Jaunes proposent sur leur site de réunir 700.000 signatures pour toutes les finalités possibles. Il semble difficilement concevable de permettre d’organiser aussi facilement un référendum à portée « révocatoire », qui permettrait de révoquer un élu ou un référendum à visée constituante, qui permettrait de modifier aussi facilement la plus importante norme de notre système juridique.

Dans le cas où un tel RIC serait institutionnalisé, cela constituerait un bouleversement de la hiérarchie des normes. La Constitution serait alors aussi facilement modifiable qu’une loi ou qu’un traité.

Pour aller plus loin, la question de la majorité à dégager pour valider la consultation n’est pas non plus précisée. La votation populaire en Italie nécessite un seuil de 50 % de participation afin de valider le résultat du référendum. Ce garde-fou pourrait avoir pour effet de considérablement diminuer l’impact et la probabilité de réussite du RIC. Seuls les référendums les plus importants seraient validés du point de vue de la participation.

A titre d’illustration, les Français ne se sentent pas tous concernés par la totalité des sujets. Nous pouvons prendre comme exemple le référendum du 6 novembre 1988 sur le nouveau statut de la Nouvelle Calédonie. Seuls 36,89 % des Français s’étaient déplacés dans les urnes. Or, selon les standards italiens, la réponse pourtant largement en faveur du nouveau statut n’aurait pas été prise en compte.

Cela forcerait ainsi à baisser ce taux, au risque de contrevenir à l’article 3 de la Constitution selon lequel aucune section du peuple ne peut s’attribuer l’exercice de la souveraineté nationale. Imaginerait-on une réforme en profondeur de la Constitution, portant sur des droits et libertés et impactant l’ensemble des Français, votés par une minorité de la population ? La question de la légitimité des textes votés se poserait alors autant qu’elle n’est pas posée par certains Gilets Jaunes au regard de nos représentants.

Un cache misère à une crise plus profonde ?

Le recours au RIC ne serait-il pas un cache misère pour répondre à la crise de la démocratie représentative ?

La question mérite d’être posée puisque l’instauration d’un RIC ne garantit pas le succès de celui-ci pour répondre aux demandes de justice et de représentativité des Gilets Jaunes.

En effet, au-delà de la question de savoir quel RIC va être organisé, il est possible de douter de la réussite d’un tel outil en tant que force de proposition. Il est en effet plus facile de s’opposer que de proposer. Les référendums tels qu’organisés sous la Cinquième République fonctionnent sur la réponse à une question binaire : oui ou non. Le raisonnement et le principe est éminemment différent de certains types de référendums proposés par les Gilets Jaunes, notamment les référendums préférentiels où les votants choisissent un ordre de priorité ou encore les référendums sous forme de Question à Choix Multiples.

Le référendum de 2005 sur l’acceptation du traité portant Constitution pour l’Europe avait mobilisé à 69,7 % de la population et majoritairement contre le projet. Quel aurait été le résultat d’une consultation composée uniquement de propositions sur l’avenir de l’Europe ? Probablement celui d’une élection européenne telle qu’on le connaît.

Si une majorité peut se rassembler derrière une position par rapport à une question, trouver une solution alternative divise bien davantage. Notons à ce titre que les votations étrangères ne produisent pas de changements conséquents. D’après l’office fédéral de la statistique suisse [1], sur les 215 votations d’initiatives populaires suisses proposées depuis leur création en 1848, à savoir les votations d’initiative purement populaires, seules vingt-deux ont été acceptées, avec une participation en deçà des 50 % du corps électoral en moyenne. Il ne faut pas considérer d’emblée que les RIC auront un succès populaire certain.

Par conséquent, ne faudrait-il pas réfléchir à d’autres moyens de rétablir la légitimité des élus ainsi que leurs décisions vis à vis de la population ?

Le gouvernement réfléchit à instaurer une dose de proportionnelle dans son projet de réforme constitutionnelle. Ce type de scrutin, brièvement instauré sous la cinquième République, a été source d’une instabilité législative forte sous les Républiques précédentes. Les crises des années trente et les troubles de la quatrième République nous le rappellent. Cependant, il est certain que la proportionnelle ouvrirait à certains partis minoritaires les portes du pouvoir législatif. La constitution d’une assemblée citoyenne en parallèle du Parlement, également proposée par les Gilets Jaunes et pratiquée notamment dans l’État d’Oregon aux États-Unis pourrait être discutée. Un contre-pouvoir serait mis en place et composé de personnes tirées au sort. Resterait à déterminer le rôle d’une telle assemblée non élue, consultative comme le Conseil Économique Social et Environnemental (CESE) ou à pouvoir décisionnel conséquent comme le Sénat. D’autres solutions existent en alternative du RIC pour rétablir une notion de démocratie directe en France. Le Grand Débat proposé par le gouvernement devrait être l’occasion de voir ces propositions émerger.

Dans le cadre de ce Grand Débat justement, le gouvernement serait inspiré d’écouter les propositions et les doléances de la population. Si des remontées par les élus s’organisent, les plateformes de démocratie directe fleurissent et permettent de sonder l’avis des Français sur les questions qui les préoccupent. L’exemple de Pollers, plateforme de sondage interactif peut être pris. La société propose aux utilisateurs de lancer des sujets, d’en débattre et de voter sur une proposition, donnant une vision directe de l’avis des utilisateurs. Les Gilets Jaunes se sont d’ailleurs emparés de cet outil maintenant intégré dans la boite à outil de la démocratie directe sur leur site.

Au-delà des initiatives à envisager, une partie de la solution à apporter existerait peut-être déjà, au niveau Européen. Outil largement inconnu du grand public, l’Initiative Citoyenne Européenne (ICE) permet à un million de citoyens européens, répartis dans sept pays différents, de saisir la Commission Européenne sur un sujet voulu. Les projets réunissant le nombre minimum de signatures sont examinés par la commission et les textes proposés sont débattus lors d’une séance d’audition publique devant le Parlement Européen. Cet outil démocratique oblige les instances européennes à répondre officiellement à la question posée par la population, voire de proposer un texte normatif au Parlement Européen.

Si l’ICE ne propose pas de donner force de loi à toute proposition, de la manière dont les Gilets Jaunes le souhaiteraient, elle constitue néanmoins un levier de démocratie directe ouvert aux citoyens européens.

A quelques mois des élections européennes, la question du renforcement de cet outil pourrait être posée pendant la campagne, pour trouver une solution à la crise de légitimité de la démocratie représentative sans bouleverser de manière irraisonnée l’ordre juridique national. C’est probablement le passage obligé pour éviter de poursuivre la phase insurrectionnelle que nous avons connue et qui ne demande qu’à reprendre de plus belle...

Arnaud Touati,
Avocat Associé HASHTAG AVOCATS

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