Résiliation judiciaire du contrat de travail : manquements un jour, manquements toujours ? Par Etienne de Villepin, Avocat.

Résiliation judiciaire du contrat de travail : manquements un jour, manquements toujours ?

Par Etienne de Villepin, Avocat.

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Explorer : # résiliation judiciaire # prescription # harcèlement moral # contrat de travail

L’action en résiliation judiciaire du contrat de travail est-elle soumise à une prescription ?
Cass.soc 27 septembre 2023 n°21-25.973.

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Par arrêt du 27 septembre 2023 (n°21-25.973), la Cour de cassation confirme que les juges, face à une demande de résiliation judiciaire, doivent examiner l’ensemble des faits et les griefs invoqués par le salarié, quelle que soit leur ancienneté.
Cette temporalité avait déjà été invoquée par la Cour de cassation dans un arrêt en 2021 (Cass soc 30 juin 2021, 19-18.533) dont tous les commentateurs n’avaient semble-t-il pas pris la mesure.

Dans cette affaire de 2021, il était reproché à la cour d’appel d’avoir simplement constaté la prescription des faits invoqués antérieurement à la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail, sans prendre en considération les faits s’étant déroulés postérieurement à sa demande de résiliation judiciaire (mise à l’écart, suppression des boîtes mails…) d’où le : « examiner l’ensemble des faits et des griefs invoqués par le salarié quelle que soit leur ancienneté ».

L’avis de l’Avocat général rappelait d’ailleurs :

« En effet, si l’ancienneté du manquement n’exclut pas, en elle-même, toute imputabilité de la rupture à l’employeur (…) il n’apparaît pas possible que puissent être invoqués à l’appui d’une demande de résiliation judiciaire des faits qui ne pourraient plus être sanctionnés en raison du délai de prescription ayant atteint l’action les concernant ».

La cour d’appel de renvoi a d’ailleurs pu rectifier l’omission en prenant en considération les faits postérieurs à la demande de résiliation :

« Il a été établi que Madame [L] avait été victime de harcèlement moral au sein de l’entreprise et que ce harcèlement moral a perduré après la saisine par la salariée du conseil de prud’hommes le 18 août 2015.
Ce manquement grave justifie la rupture du contrat de travail de Madame [L] aux torts de la société BT France
 » (Versailles, 15e chambre, 22 septembre 2022, n° 21/02759).

Dans l’affaire jugée le 27 septembre 2023, la Cour de cassation ne semble pas exclure l’application de la prescription biennale de l’article L1471-1 du Code du travail.

En l’espèce, il s’agissait d’une salariée qui n’avait pas bénéficié d’une visite de reprise après un classement en invalidité en 2009 dont l’employeur était par ailleurs informé.
Elle a saisi le conseil de prud’hommes en 2015 pour demander la résiliation judiciaire de son contrat de travail.

La cour d’appel va constater la prescription.

La Cour de cassation, de façon un peu énigmatique, casse l’arrêt :

«  En statuant ainsi, alors qu’elle devait examiner le bien-fondé de la demande de résiliation judiciaire, peu important la date des griefs invoqués au soutien de cette demande, la cour d’appel a violé le texte susvisé  ».

Est-ce à dire qu’un salarié pourrait invoquer des faits graves largement prescrits pour que soit reçue sa demande de résiliation judiciaire ?

Rien n’est moins sûr.

En effet, en matière de prescription, la date des faits est un élément pratiquement accessoire.

C’est, en effet, la connaissance exacte et complète des faits qui amorce le délai de prescription :

« Toute action portant sur l’exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit » (Article L1471-1 du Code du travail).

On sait qu’en matière disciplinaire la prescription opposable à l’employeur (L1332-4 du Code du travail) a pour point de départ le jour où l’agissement fautif est clairement identifié, c’est-à-dire au jour où l’employeur a une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l’ampleur des faits reprochés au salarié, par exemple après enquête ou découverte fortuite lors d’un contrôle.

On sait aussi que depuis les terribles arrêts du 13 septembre 2023 et notamment celui rendu sur le pourvoi n° 22-10.529 en matière de congés payés que la prescription triennale en matière de rémunération ne débute « que lorsque l’employeur a mis son salarié en mesure d’exercer celui-ci (son droit) en temps utile ».

Ainsi, le simple constat du temps passé ne permet pas de conclure à la prescription.

Dans l’arrêt du 27 septembre 2023 (n°21-25.973) la Cour de cassation semble reprocher à la cour d’appel d’avoir simplement constaté le temps qui passe :

« En statuant ainsi, alors qu’elle devait examiner le bien-fondé de la demande de résiliation judiciaire, peu important la date des griefs invoqués au soutien de cette demande, la cour d’appel a violé le texte susvisé ».

Ainsi se pose la question de savoir si la Cour de cassation écarte simplement le principe légal de la prescription de l’article L1471-1 du Code du travail ou si elle invite la cour d’appel de renvoi à examiner la date à laquelle le salarié a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit, à savoir la demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail.

A suivre …

Etienne de Villepin
Avocat au Barreau d’Aix-en-Provence
cabinet chez villepin-associes.com

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