Le Parlement a définitivement adopté dimanche 25 juillet 2021 le projet de loi relatif à la gestion de la crise sanitaire.
Ce texte impose l’obligation vaccinale pour les soignants. Il organise aussi strictement le régime du placement à l’isolement pendant 10 jours pour toute personne contaminée.
Jusqu’à maintenant seules les personnes entrant sur le territoire étaient visées par une mesure d’isolement.
Enfin et surtout ce projet de loi contient une mesure phare : l’extension du fameux passe sanitaire.
Le Conseil Constitutionnel a inscrit à son agenda sa décision le 5 août prochain laquelle devrait permettre de lever un grand nombre de flous juridiques dont ceux notamment incompatibles avec la mise en œuvre du passe sanitaire s’agissant de ses conséquences sur le contrat de travail.
1. Qu’est-ce que le passe sanitaire ?
Il s’agit d’un justificatif papier ou numérique présentant soit :
Le résultat négatif d’un examen de dépistage virologique de Covid-19 d’une durée de validité de 48h pour un test antigénique et de 72h pour un test PCR ;
Le statut vaccinal dont le schéma est dit complet au bout de :
• 7 jours après la seconde injection pour les vaccins à double injection (Pfizer, Moderna et Astra Zeneca) ;
• 4 semaines après l’injection unique du vaccin Janssen produit par Johnson and Johnson ;
• 7 jours après l’injection unique aux personnes ayant eu un antécédent de covid.
Depuis le 27 mai 2021, toutes les personnes vaccinées, y compris celles l’ayant été avant le 3 mai, peuvent récupérer leur attestation de vaccination sur le « portail patient » de l’Assurance Maladie ;
Le certificat de rétablissement à la suite d’une contamination par le virus SARS-COV-2. Il s’agit du résultat d’un test RT-PCR positif attestant du rétablissement suite à infection à la Covid-19, datant d’au moins 11 jours et de moins de 6 mois.
En cas de contre-indication médicale, faisant obstacle à la vaccination, un décret pris après avis de la Haute Autorité de Santé précisera le contenu du document papier ou numérique à présenter et les cas de contre-indication prévus.
Les justificatifs peuvent être présentés sous format papier ou numérique, enregistré sur l’application modèle « TousAntiCovid » ou tout autre support numérique au choix de la personne concernée.
Cette présentation du passe sanitaire est réalisée sous une forme ne permettant pas aux personnes habilitées ou aux services autorisés à en assurer le contrôle, de connaître la nature du document, ni les données qu’il contient.
La lecture des justificatifs par les personnes habilitées est réalisée au moyen d’une application « TousAntiCovidVérif » mise en œuvre par les Agences Régionales de Santé (ARS). Elle permet à ces personnes de lire les noms, prénoms et date de naissance de la personne concernée par le justificatif, ainsi que le passe sanitaire à proprement parler.
2. Quel est le nouveau champ d’application du passe sanitaire ?
Rappelons que le passe sanitaire est apparu (sans donner son nom) avec l’article 1er de la loi n°2021-689 du 31 mai 2021 « relative à la gestion de la sortie de la crise sanitaire ».
Ainsi, depuis le 9 juin 2021, toutes les personnes de 11 ans et plus doivent présenter le passe sanitaire pour notamment :
Se déplacer en provenance ou à destination du territoire hexagonal, de la corse et des DOM-TOM ;
Accéder aux salles de concert, cinéma, théâtre ;
Fréquenter une exposition, foire salon temporaire ;
Assister à un événement culturel, sportif, ludique, festif, organisé dans un espace public autre que les parcs zoologiques, d’attractions et à thème.
Toutefois, sur la période du 9 juin au 21 juillet, le pass-sanitaire était exigé dans les seuls lieux où la capacité d’accueil dépassait 1 000 personnes.
Ainsi jusqu’au 21 juillet dernier, il était par exemple possible de se rendre dans un théâtre ou un cinéma quelque soit sa capacité d’accueil sans présenter le pass-sanitaire. Le respect de la distanciation sociale et des gestes barrières suffisait, port du masque compris.
Mais depuis le 21 juillet, la jauge de 1 000 personnes a été abaissée à 50 personnes rendant ainsi obligatoire la présentation du passe sanitaire quasiment systématique dans tous les lieux culturels, abaissant alors immanquablement, du jour au lendemain, leur fréquentation.
Voici la liste des activités de loisirs avant l’extension du passe sanitaire voté le 25 juillet 2021. Elle est fixée par le décret n°2021-955 du 19 juillet 2021 :
Les salles d’auditions, de conférence, de projection, de réunions ;
Les chapiteaux, tentes et structures ;
Les salles de concerts et de spectacles ;
Les cinémas ;
Les festivals (assis et debout) ;
Les évènements sportifs clos et couverts ;
Les établissements de plein air ;
Les salles de jeux, escape-games, casinos ;
Les lieux de culte lorsqu’ils accueillent des activités culturelles et non culturelles ;
Les foires et salons ;
Les parcs zoologiques, les parcs d’attractions et les cirques ;
Les musées et salles d’exposition temporaire ;
Les bibliothèques (sauf celles universitaires et spécialisées) ;
Les manifestations culturelles organisées dans les établissements d’enseignement supérieur ;
Les fêtes foraines comptant plus de 30 stands ou attractions ;
Tout événement culturel, sportif, ludique ou festif, organisé dans l’espace public susceptible de donner lieu à un contrôle de l’accès des personnes ;
Les navires et bateaux de croisière avec hébergement ;
Les discothèques, clubs et bars dansants.
Le projet de loi voté dans la nuit du 25 au 26 juillet, après passage en commission mixte paritaire, a largement étendu le contrôle du passe sanitaire qui, à cette occasion a francisé son nom en s’affublant d’un « e ».
L’existence d’une capacité d’accueil a disparu. De son côté, l’âge minimum requis est passé de 11 à 12 ans.
La liste des activités visées par le passe sanitaire s’est considérablement allongée.
Sont désormais concernés, quelle que soit leur capacité d’accueil :
Les activités de loisirs (cf décret n°2021-955 du 19 juillet 2021) auxquelles s’ajoutent désormais :
Les activités de restauration commerciale ou de débits de boissons. Mais ne sont pas concernés les lieux de restauration collective (cantine d’entreprise), les lieux de vente à emporter de plats préparés. A noter aussi que n’est pas concernée la restauration routière assurée au bénéfice exclusif des professionnels du transport routier dans le cadre de leur activité professionnelle.
De la même manière, l’activité de restauration ferroviaire : il s’agit du service de restauration à bord des trains circulant sur les lignes du réseau ferré national ;
Les foires, séminaires et salons professionnels ;
Les services et établissements de santé, sociaux et médico-sociaux : le passe sanitaire sera obligatoire pour les personnes accueillies pour des soins programmés et pour les personnes accompagnant ou rendant visite aux personnes accueillies dans ces services et établissements. Toutefois, en cas d’urgence, le passe sanitaire ne sera pas exigé pour le patient ni son accompagnant ;
Les déplacements de longue distance par transport public sur le territoire national, sauf en cas d’urgence. Sont donc visés les voyages en bus, cars, TGV, TER, avions et sous réserve du décret à venir pas le co-voiturage puisqu’il s’agit de transport privé ;
Les grands magasins et centres commerciaux désignés par décision du préfet. Mais seuls les lieux qui dépassent un seuil défini par décret seront concernés et dans des conditions qui devraient garantir l’accès des personnes aux biens et produits de première nécessité et aux transports. La notion de « bassin de vie » a d’ailleurs été utilisée par Monsieur Gabriel Attal porte-parole du gouvernement lors de la présentation du projet de loi lundi 26 juillet 2021.
Depuis, le gouvernement réfléchit aux conditions d’accès aux 400 centres commerciaux de plus de 20 000 m2 implantés sur l’hexagone.
3. A quelle date sera applicable le passe sanitaire ?
Dès la promulgation du texte de loi, le passe sanitaire sera exigé pour toute personne accédant à l’une des activités de son champ d’application. Toutefois la promulgation par le président de la république est retardée depuis une semaine.
La raison est sa suspension suite aux saisines le 26 juillet 2021 du Conseil Constitutionnel par le Premier Ministre et par 74 députés issus des groupes Gauche démocrate et républicaine, la France insoumise, Socialistes et apparentés et Libertés et Territoires.
Ces députés estiment que certaines dispositions « en raison de leur caractère disproportionné [sont] manifestement contraires à plusieurs droits et libertés que la Constitution garantit ».
Observons qu’à compter du 30 août 2021, le passe sanitaire s’impose plus largement à ceux qui interviennent dans les lieux et événements couverts par le champ d’application.
Sont visés par exemple les salariés qui pour les besoins de leurs fonctions :
Effectuent, des déplacements de longue distance ;
Fréquentent des cafés et/ou restaurants ;
Se rendent à des séminaires, foires, salons professionnels ;
Effectuent régulièrement des tâches dans les locaux où travaillent des personnes soumises à l’obligation vaccinale mais sans y être assujetti (salarié non soignant : cas du livreur, du personnel extérieur de maintenance, sécurité, délégués médicaux...).
Pour eux, à cette date, l’obligation du passe sanitaire n’existera que « si la gravité des risques de contamination en lien avec l’exercice des activités qui y sont pratiquées le justifie, au regard notamment de la densité de la population observée ou prévue ».
Immanquablement, cette disposition pose, par son manque évident de précision, un vrai problème d’interprétation et risque d’encourir l’inconstitutionnalité.
En effet, selon ce texte une entreprise ne devrait soumettre son salarié à l’obligation du passe sanitaire que si son intervention dans le lieu (soumis pour le public au passe sanitaire ) se heurte à la gravité des risques de contamination.
Comment en tant que salariée, la même personne pourrait ne pas être soumise au passe sanitaire, tout en y étant soumise en qualité de cliente ?
Au surplus, qui est légitime à estimer la gravité des risques de contamination ? L’employeur ? Le responsable de l’établissement ou de l’évènement ? Le salarié ? Le préfet ? L’ARS ?
Enfin comment mesurer « la densité de population observée ou prévue » ?
Or, pour qu’une règle soit applicable, il faut nécessairement qu’elle soit comprise donc claire et précise.
Soulignons que les jeunes âgés de 12 ans et plus et de moins de 18 ans ne seront soumis à l’obligation du passe sanitaire qu’à compter du 30 septembre 2021. Ceci pour leur laisser le temps de se faire vacciner. A cette occasion, il convient de préciser que pour élargir la couverture vaccinale de la population, la majorité vaccinale contre la covid-19 a été abaissée de 18 à 16 ans. Et, s’agissant des mineurs âgés de 12 ans et plus, l’autorisation d’un seul parent est requise.
Date d’entrée en vigueur du passe sanitaire :
• A compter de la promulgation de la loi à l’issue de l’examen de sa constitutionnalité par le Conseil Constitutionnel ; vraisemblablement entre le 6 et le 8 août 2021 pour le public fréquentant les activités listées ;
• A compter du 30 septembre 2021 pour les mineurs de 12 ans et plus ;
• A compter du 30 août 2021 pour les salariés des secteurs concernés et les intervenants
• En tout état de cause, jusqu’au 15 novembre 2021 et au-delà si prorogation de l’état d’urgence sanitaire.
4. Le recours devant le Conseil Constitutionnel.
Voté au parlement le 25 juillet 2021, l’ensemble du projet définitif de la loi fait l’objet d’un recours depuis le 26 juillet 2021 devant le Conseil Constitutionnel.
L’article 61 alinéa 2 de la Constitution de 1958 organise un contrôle de constitutionnalité dit a priori des lois ordinaires.
Les parlementaires visent particulièrement le passe sanitaire qui selon eux comporterait une atteinte au principe d’égalité.
Selon eux, compte-tenu des délais fixés, de la quantité de doses de vaccin en stocks et des livraisons prévues, il ne serait pas possible à toute la population concernée souhaitant se faire vacciner de bénéficier des doses vaccinales prescrites avant l’entrée en vigueur du passe sanitaire.
Ils dénoncent aussi entre autres, une atteinte à la liberté d’aller et venir constituée par la nécessité de présenter le passe sanitaire pour voyager sur de longues distances.
La saisine des juges de la rue de Montpensier est intervenue dans le délai de 15 jours à compter du vote par le Parlement. Passé ce délai, le texte de loi est promulgué en l’état.
Le Conseil Constitutionnel au vue de la procédure d’urgence utilisée par le gouvernement (Art. 61 al. 3 de la Constitution) doit se prononcer dans les 8 jours de la saisine au lieu du délai habituel d’un mois.
La décision du Conseil Constitutionnel sera rendue le 5 août. Elle sera publiée au Journal Officiel. Aucun recours n’est possible.
La procédure est écrite et inquisitoriale. Le texte de la saisine depuis 1983 et les observations du Secrétaire Général du Gouvernement depuis 1984 sont publiés au Journal Officiel.
Quatre types de décisions s’offrent désormais au Conseil Constitutionnel :
Conformité ou non-conformité à la Constitution ;
Conformité sous réserve d’interprétation ;
Partiellement contraire à la Constitution ;
Intégralement contraire à la Constitution.
En cas d’invalidation partielle, le Conseil Constitutionnel peut décider que la disposition invalidée est inséparable de l’ensemble de la loi, en ce cas, celle-ci, comme en cas d’invalidation totale, ne peut être promulguée.
Dans le cas contraire, le Président de la République peut soit la promulguer (tronquée des articles inconstitutionnels) soit demander en application de l’article 10 de la Constitution, une nouvelle délibération au Parlement.
5. Quelles sont les conséquences du passe sanitaire sur le contrat de travail ?
Le texte de loi prévoit des sanctions allant jusqu’à la suspension du contrat de travail et l’interruption de la rémunération du salarié jusqu’au 15 novembre 2021.
A cette date, sauf prolongation de l’état d’urgence sanitaire, le passe sanitaire pourrait prendre fin.
Le Sénat a écarté le motif spécifique de licenciement que l’Assemblée Nationale avait à l’issue d’un délai de 2 mois de suspension. Pour autant, le texte actuel n’interdisant pas le licenciement, celui-ci reste donc soumis au droit commun du licenciement actuellement applicable. De facto un vide juridique béant s’est ouvert. Le Conseil Constitutionnel devrait pointer là encore les manques de précision.
Explication : A compter du 30 août, sont soumis à l’obligation du passe sanitaire tous les salariés qui pour les besoins de leurs fonctions :
Effectuent, des déplacements de longue distance ;
Fréquentent des cafés et/ou restaurants ;
Se rendent à des séminaires, foires, salons professionnels ;
Effectuent régulièrement des tâches régulières dans les locaux où travaillent des personnes soumises à l’obligation vaccinale mais sans y être assujetti. Le salarié concerné n’est donc pas un soignant (il s’agit par exemple du livreur, du personnel extérieur de maintenance, de sécurité, d’entretien, des délégués médicaux, des consultants extérieurs, comptables informatiques ...).
Il appartient à leur employeur de vérifier l’existence de leur passe sanitaire.
La procédure est la suivante :
En l’absence du passe sanitaire, le salarié peut, avec l’accord de son employeur poser des congés.
Ensuite, le salarié se voit notifier par tout moyen la suspension de son contrat de travail avec interruption du versement de sa rémunération aussi longtemps qu’il n’aura pas présenté le passe sanitaire obligatoire jusqu’au 15 novembre 2021.
A ce jour, la date limite pour exiger la passe sanitaire est le 15 novembre 2021, date à laquelle devraient prendre fin le passe sanitaire et la loi d’état d’urgence sanitaire. Toutefois, un nouveau renouvellement est déjà sur la table de l’exécutif.
En tout état de cause, si la suspension dure plus de 3 jours, l’employeur doit convoquer le salarié à un entretien pour examiner avec lui les moyens de régulariser sa situation, notamment les possibilités d’affectation temporaire, le cas échéant temporaire au sein de l’entreprise sur un autre poste non soumis à cette obligation.
La possibilité prévue par le texte actuel d’affecter temporairement le salarié sur un autre poste autorise donc à penser que tous les postes de la même entreprise ne seraient pas visés par le passe sanitaire.
L’interrogation aussi étonnante soit elle est de mise.
Enfin, le texte rompt le principe d’ordre public d’égalité entre salariés sous CDD et salariés sous CDI.
En effet, les salariés sous CDD sans passe sanitaire encourent la rupture de leur contrat de travail à l’initiative de leur employeur et sans dommages et intérêts. Pour eux le Parlement a créé un motif spécifique de rupture. Le CDD ne peut dans l’actuel code du travail se rompre que d’un commun accord ou pour faute grave.
Autant d’insécurités juridiques qui rendent plus impatient de connaitre la décision du Conseil du Constitutionnel.