Accident de service et maladie professionnelle du fonctionnaire : préjudices indemnisables et procédure applicable.

Par Charles Carluis, Avocat.

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Explorer : # accident de service # maladie professionnelle # indemnisation # procédure administrative

Le fonctionnaire victime d’un accident de service ou d’une maladie professionnelle est en droit d’obtenir une réparation complémentaire de ses préjudices à caractère personnel distincts de ceux relatifs à l’intégrité physique, en l’absence même de faute de son employeur.

Précisions sur les préjudices indemnisables et la procédure applicable.
Article actualisé par son auteur en janvier 2025.

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I/ Le principe de la réparation complémentaire de l’accident de service ou de la maladie professionnelle.

Il résulte d’une jurisprudence administrative constante régulièrement réaffirmée par le Conseil d’Etat (CE, 27/07/2022, n°451756) et appliquée par les juges du fond (CAA Lyon, 27/10/2022, n°21LY04182) que tout agent public, victime d’un accident ou d’une maladie reconnue comme imputable au service, est en droit d’obtenir de son employeur public :
- Soit, même en l’absence de faute de celui-ci, une indemnité complémentaire à l’éventuelle rente viagère d’invalidité à laquelle il pourrait prétendre, destinée à réparer ses préjudices personnels ainsi que, le cas échéant, ses préjudices patrimoniaux d’une autre nature que ceux indemnisés par cette rente ou cette allocation ;
- Soit, dans le cas où l’accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de cette collectivité, l’agent est en droit d’obtenir la réparation intégrale de l’ensemble de son préjudice.

Dans cette dernière hypothèse, il convient de faire la démonstration d’une faute commise dans l’organisation ou le fonctionnement du service (A titre d’ex. TA Lille, 29/11/2022, n°1902406).

Un agent contractuel de droit public peut demander au juge administratif la réparation par son employeur du préjudice que lui a causé l’accident du travail dont il a été victime, dans la mesure où ce préjudice n’est pas réparé par application du Code de la sécurité sociale, lorsque cet accident est dû à la faute intentionnelle de cet employeur ou de l’un de ses préposés (Réc. CAA Bordeaux, 30/11/2022, n°20BX02612). A la différence de l’agent titulaire, l’agent contractuel ne peut donc se prévaloir d’un régime de responsabilité sans faute.

II/ Les préjudices indemnisables : hypothèse de la responsabilité sans faute.

Dès lors que l’accident ou la maladie est reconnue imputable au service, l’agent est fondé à obtenir réparation des préjudices patrimoniaux d’une autre nature que ses pertes de revenus et son incidence professionnelle ainsi que de ses préjudices personnels sur le fondement de la responsabilité sans faute (responsabilité de plein droit sans faute prouvée). Hors les hypothèses d’irrecevabilité (tardiveté et/ou défaut de liaison du contentieux, voir infra) et de prescription (infra égal.), le principe de responsabilité de l’employeur public est acquis, de sorte que la discussion est limitée au quantum de l’indemnisation.

Les préjudices, qui seront évalués dans le cadre d’une expertise judiciaire (voir infra), sont de deux ordres (patrimoniaux / extrapatrimoniaux) et peuvent être distingués entre les préjudices temporaires et définitifs (avant / après consolidation de l’état de santé).

La date de consolidation de l’état de santé d’un agent correspond au moment auquel l’état de santé peut être considéré comme définitivement stabilisé (Par ex. TA Lyon, 07/10/2022, n°2105095).

Les principaux préjudices patrimoniaux :

- Assistance par tierce personne (avant/après consolidation) :
Ce poste correspond à l’aide périodique nécessaire pour que la victime puisse accomplir les actes de la vie quotidienne, préserver sa sécurité et sa dignité, suppléer sa perte d’autonomie (toilette, habillage, ménage, courses, repas, se lever/coucher, ...).

La circonstance que l’aide a été ou pourrait être apportée par un membre de la famille ou un proche de la victime est indifférente pour fixer le montant de l’indemnisation.

L’expert évalue la nécessité d’une telle aide à raison d’un nombre d’heures par jour ou semaine pour les périodes antérieure et, le cas échéant, postérieure à la consolidation.

La jurisprudence retient une indemnisation sur la base d’un taux horaire moyen de 13 euros tenant compte du salaire minimum interprofessionnel de croissance au cours de la période considérée, augmenté des charges sociales et majoré pour tenir compte des congés payés et du travail les jours fériés et le dimanche, soit 412 jours sur une année.

L’indemnisation de l’assistance par tierce personne pour les périodes antérieure à la consolidation et, le cas échéant, courant jusqu’au jugement, est réalisée sous forme de capital.

Pour la période postérieure au jugement, dans l’hypothèse où l’état de santé de l’agent rendrait nécessaire une telle assistance à vie, il appartient au juge de décider si leur réparation doit prendre la forme du versement d’un capital ou d’une rente selon que l’un ou l’autre de ces modes d’indemnisation assure à la victime, dans les circonstances de l’espèce, la réparation la plus équitable.

- Frais de logement adapté (par ex. si l’état de santé le justifie, aménagement de la salle de bain avec installation d’une rampe et fourniture d’un siège de bain).

- Frais de véhicule adapté (par ex. si l’état de santé le nécessite, équipement du véhicule aménagé avec embrayage automatique environ 2 500 euros, indemnité pouvant être majorée compte tenu de l’âge de l’agent et de la fréquence de renouvellement d’un véhicule).

- Frais d’avocat exposés dans le cadre de la procédure de référé-expertise et pour l’établissement de la demande préalable indemnitaire.

Les principaux préjudices extrapatrimoniaux :

-  Déficit fonctionnel temporaire (DFT) (avant consolidation) :
Le poste de préjudice de déficit fonctionnel temporaire, qui répare la perte de qualité de vie de la victime et des joies usuelles de la vie courante pendant la maladie traumatique avant sa consolidation, intègre le préjudice sexuel et le préjudice d’agrément subis pendant cette période et comprend les troubles dans les conditions d’existence.

L’évaluation des troubles dans les conditions d’existence tient compte de la durée de l’incapacité temporaire, du taux de cette incapacité (totale ou partielle), des conditions plus ou moins pénibles de cette incapacité, ce qui implique notamment de prendre en compte à ce titre les interventions chirurgicales subies, les périodes d’hospitalisation et d’immobilisation.

Les experts distinguent 4 niveaux d’incapacité partielle : le niveau I correspond à 10%, le niveau II correspond à 25%, le niveau III correspond à 50% et le niveau IV à 75%. Si une victime est atteinte d’un déficit fonctionnel permanent (voir infra), le taux du déficit fonctionnel temporaire partiel jusqu’à la consolidation est nécessairement égal ou supérieur au taux du déficit fonctionnel permanent.

- Souffrances endurées (avant consolidation) :
Les souffrances, tant physiques que morales, endurées par l’agent sont évaluées par l’expert sur une échelle de 1 (douleur d’intensité légère) à 7 (douleur très intense).

Le montant variera en fonction de cette évaluation et des circonstances propres à chaque cas particulier.

- Préjudice esthétique temporaire (avant consolidation, par ex. le port d’attelles, ...) et permanent (après consolidation, par ex. altération de la gestuelle, présence de cicatrices, ...) :
Ils sont également évalués par l’expert sur une échelle de 1 à 7.

- Déficit fonctionnel permanent (DFP) (après consolidation) :
Le déficit fonctionnel permanent (ou perte fonctionnelle totale) est entendu comme l’ensemble des préjudices à caractère personnel liés à la perte de la qualité de la vie, aux douleurs permanentes et aux troubles ressentis par la victime dans ses conditions d’existence personnelles, familiales et sociales.

Il est évalué par l’expert sur la base d’un pourcentage (détermination d’un taux d’IPP).

Le montant de l’indemnisation variera en fonction du taux d’IPP et de l’âge de l’agent à la date de consolidation (un taux important de DFP et le jeune âge de la victime justifieront une indemnisation plus élevée).

A titre d’exemple, un agent conservant, après consolidation de son état de santé à l’âge de 57 ans, une perte fonctionnelle totale évaluée à 45% s’est vu octroyer la somme de 122 175 euros, en application du référentiel indicatif des cours d’appel (TA Grenoble, 11/10/2022, n°2005651).

- Préjudice d’agrément :

Le préjudice d’agrément est un préjudice permanent résultant de l’impossibilité de poursuivre certaines activités sportives et de loisirs après la consolidation du dommage.

L’agent doit être confronté à l’impossibilité permanente de pratiquer de telles activités (un mode de vie sportif et le jeune âge de la victime justifieront une indemnisation plus élevée).

Le conjoint et les enfants de l’agent victime, en qualité de victimes indirectes, peuvent solliciter la réparation de leur propre préjudice moral, à condition d’en justifier et de lier le contentieux (voir infra).

Par ailleurs, si l’agent décède avant d’avoir lui-même introduit une action en réparation, son droit, entré dans son patrimoine avant son décès, est transmis à ses héritiers qui peuvent demander à être indemnisés des préjudices personnels subis par celui-ci.

III/ La procédure.

L’agent doit simplement justifier de l’existence d’une décision reconnaissant l’imputabilité au service de son accident ou de sa maladie, devenue définitive à l’expiration du délai de retrait de quatre mois.

La prescription est de quatre ans, et commence à courir à compter du 1er janvier de l’année suivant celle au cours de laquelle l’état de santé de l’agent est consolidé (CE, 05/12/2014, n°354211). Par exemple, l’agent dont l’état de santé est déclaré consolidé le 1er juillet 2022 pourra demander réparation de ses préjudices jusqu’au 31 décembre 2026.

- Première étape : demander la désignation d’un expert aux fins de déterminer et d’évaluer l’ensemble des préjudices consécutifs à l’accident de service ou à la maladie professionnelle.

Dans la perspective d’une éventuelle action indemnitaire, une mesure d’expertise est nécessaire afin de pouvoir déterminer l’étendue des préjudices et de chiffrer les prétentions indemnitaires.

La saisine du juge des référés du tribunal administratif d’une demande d’expertise portant sur l’évaluation des préjudices a pour effet de suspendre le cours de la prescription jusqu’à l’extinction de l’instance de référé : ainsi, la prescription recommence à courir à compter de l’ordonnance désignant l’expert.

Les honoraires de l’expert (en règle générale compris entre 1 000 et 1 500 euros, souvent 1 200 euros TTC) sont mis à la charge de l’agent dans un premier temps, mais l’agent est certain d’en obtenir le remboursement devant le tribunal dans le cadre d’un recours indemnitaire.

- Deuxième étape : l’expertise, moment-clé de la procédure : l’expert évalue l’ensemble des préjudices réparables.

- Troisième étape : la présentation d’une demande préalable indemnitaire à l’administration (par LRAR), susceptible de lier le contentieux : sur la base du rapport d’expertise, l’agent chiffre ses préjudices et sollicite de l’administration le versement d’une somme d’argent. Si cette demande ne doit pas obligatoirement être chiffrée (un requérant peut se borner à demander à l’administration réparation de ses préjudices pour ne chiffrer ses prétentions que devant le juge administratif), elle doit néanmoins exprimer clairement la volonté d’engager la responsabilité de son employeur à raison de la survenance d’un accident de service ou d’une maladie professionnelle et de demander réparation des préjudices en résultant pour lui.

- Quatrième et dernière étape : la saisine du tribunal administratif, qui peut être concomitante à la notification de la demande préalable indemnitaire, sans qu’il soit donc nécessaire d’attendre l’intervention d’une décision négative, expresse ou implicite (c’est-à-dire, dans ce dernier cas, en l’absence de réponse expresse de l’administration à cette demande dans le délai de deux mois).

A cet égard, les termes du second alinéa de l’article R421-1 du Code de justice administrative n’impliquent pas que la condition de recevabilité de la requête tenant à l’existence d’une décision de l’administration s’apprécie à la date de son introduction. Cette condition doit être regardée comme remplie si, à la date à laquelle le juge statue, l’administration a pris une décision, expresse ou implicite, sur une demande formée devant elle (CE, 27/03/2019, n°426472).

Si l’agent fait le choix d’attendre l’intervention d’une décision il devra se montrer vigilant quant au respect des délais de recours contentieux :

Trois hypothèses peuvent être envisagées :

- la décision expresse rejetant sa demande indemnitaire préalable est notifiée par LRAR avec mention des voies et délais de recours : il doit saisir le tribunal administratif dans le délai de deux mois suivant la notification de cette décision.

- la décision expresse lui est notifiée sans mention des voies et délais de recours : le délai de recours contentieux de deux mois ne lui est pas opposable, pas plus que le délai raisonnable d’un an dégagé par la jurisprudence du Conseil d’Etat : l’agent peut saisir le tribunal administratif dans le seul respect de la prescription quadriennale.

- l’administration garde la silence sur cette demande, laissant naître une décision implicite de rejet sans que l’absence de délivrance d’un accusé réception fasse obstacle au déclenchement du délai de recours contentieux dès lors que les dispositions de l’article L112-3 du Code des relations entre le public et l’administration ne sont pas applicables à une demande formée par un agent public auprès de l’administration (par ex. CAA Nantes, 23/12/2022, n°21NT01381) : il appartient donc à l’agent de saisir le tribunal administratif dans le délai de deux mois à compter de l’intervention de cette décision implicite.

Devant le tribunal administratif, l’agent pourra obtenir, en plus de l’indemnité destinée à réparer ses préjudices assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation de ces intérêts, le remboursement, d’une part, des frais d’expertise et, d’autre part, des frais d’avocat (somme comprise entre 1 000 et 1 500 euros).

Un référé-provision peut être exercé en parallèle ou même indépendamment de tout recours au fond, sous réserve du respect de la règle de liaison du contentieux propre à la demande indemnitaire (voir supra).

Si la représentation par un avocat à chacune de ces étapes n’est pas obligatoire, l’accompagnement par un avocat publiciste est néanmoins recommandé pour maximiser les chances de succès, obtenir l’indemnisation la plus favorable et éviter tout écueil procédural.

L’expertise judiciaire n’est pas obligatoire pour faire valoir un droit à indemnisation.

Il est possible, sans expertise judiciaire préalable, d’obtenir l’indemnisation d’un déficit fonctionnel permanent (DFP) sur la base du taux d’incapacité permanente partielle (IPP) retenu par le conseil médical et non contesté par l’administration.

Exemples récents d’indemnisations :

  • 170 000 euros pour l’indemnisation d’un accident de service (TA Rouen, 18/10/2024, n°2205246)
  • 50 000 euros pour l’indemnisation d’une maladie professionnelle "hors tableaux" (pathologie psychique) (TA Besançon, 04/01/2024, n°2300825).

Charles Carluis - avocat droit de la fonction publique
Barreau de Rouen
https://carluis-avocat.fr/
charles.carluis chez gmail.com

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