Réussite au concours et refus de nomination : état de la jurisprudence.

Par Laurent Stouffs, Avocat.

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Explorer : # refus de nomination # concours de la fonction publique # enquête administrative

L’Administration peut légalement refuser de procéder à la nomination d’un candidat ayant satisfait aux épreuves d’un concours d’accès à la Fonction publique au motif que celui-ci ne présenterait pas les garanties requises pour exercer les fonctions convoitées.

Pour autant, le pouvoir d’appréciation de l’Administration n’est pas sans limite : elle ne saurait en effet se fonder sur des faits trop anciens pour refuser d’agréer un candidat et doit prendre en compte le comportement ultérieur de l’intéressé.

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1. Un candidat ayant satisfait aux épreuves d’un concours d’accès à la fonction publique ne dispose pas, de ce fait, d’un droit à être nommé au poste convoité.

L’article L. 114-1 du Code de la sécurité intérieure prévoit en effet expressément que :

« I. Les décisions administratives de recrutement, d’affectation, de titularisation, d’autorisation, d’agrément ou d’habilitation, prévues par des dispositions législatives ou réglementaires, concernant soit les emplois publics participant à l’exercice des missions de souveraineté de l’État, soit les emplois publics ou privés relevant du domaine de la sécurité ou de la défense […] peuvent être précédées d’enquêtes administratives destinées à vérifier que le comportement des personnes physiques ou morales intéressées n’est pas incompatible avec l’exercice des fonctions ou des missions envisagées. »

L’administration peut ainsi refuser de procéder à une telle nomination si le comportement du candidat est de nature à établir que ce dernier ne présente pas les garanties requises pour exercer les fonctions pour lesquelles il postule [1].

À titre d’exemple, un préfet est fondé à refuser d’agréer une candidature aux fonctions de gardien de la paix de la Police nationale d’une personne ayant pourtant réussi le concours au motif que « l’actualisation de l’enquête de moralité ainsi que le rapport de synthèse font état de la liaison de [la requérante] avec un "dealer de cocaïne notoire", déjà arrêté et incarcéré en Espagne en 2004 », ces « différents rapports » faisant par ailleurs « également état de ce qu’elle a exhibé sa carte professionnelle, le 29 juillet 2008, afin d’accéder à l’entrée d’une boite de nuit échangiste située à Agde, en compagnie de deux personnes défavorablement connues des services de police » [2].

Cette décision de refus de nomination ne présentant pas le caractère d’une sanction, il a par ailleurs été jugé qu’elle ne porte en soi aucune atteinte au principe de la présomption d’innocence dès lors qu’elle « n’entraîn[e] aucune conséquence quant à la qualification pénale des faits invoqués et ne se pronon[ce] pas sur la culpabilité de l’intéressé » [3].

2. Pour autant, l’administration ne saurait se fonder sur des faits trop anciens pour refuser d’agréer un candidat et doit prendre en compte son comportement ultérieur.

C’est ce qu’a rappelé la cour administrative d’appel de Bordeaux aux termes d’un arrêt n° 18BX03781 du 9 juillet 2020.

En l’espèce, le requérant avait été déclaré admis au concours de recrutement de gardien de la paix par une décision du 11 août 2016.

Toutefois, par une nouvelle décision du 10 novembre suivant, le préfet de la Réunion a refusé d’agréer sa candidature aux fonctions de gardien de la paix, en raison du « résultat défavorable de l’enquête administrative du service départemental du renseignement territorial ».

L’enquête faisait en effet état de ce que le candidat avait été « poursuivi pour des faits datant de 2009 d’abus de confiance alors qu’il était caissier de station-service, consistant en un détournement d’une carte de paiement d’essence appartenant à une société et condamné à une peine de 3 mois d’emprisonnement avec sursis, puis pour des faits datant de 2011 de vol d’un caddie dans un supermarché et condamné à une amende de 400 euros ».

Pour annuler la décision du préfet, la cour a relevé, d’une part, que « ces faits sont anciens, n’ont pas donné lieu à une inscription au bulletin n° 2 de son casier judiciaire », le requérant ayant en outre « obtenu l’effacement de ces mentions du fichier "Traitement des Antécédents Judiciaires" de la procureure de la République de Meaux qui a souligné ses efforts sérieux de réinsertion ».

Les juges d’appel ont constaté d’autre part que, « depuis 2011, aucun élément d’appréciation défavorable à M. A..., qui a obtenu un diplôme universitaire et un rang de classement honorable au concours de gardien de la paix, n’a été relevé », l’intéressé, « qui est agent des services hospitaliers », produisant à cet égard « des attestations favorables des médecins avec lesquels il travaille et de son employeur ».

Aux termes de cette motivation, la cour administrative d’appel de Bordeaux en a conclu que, « dans les circonstances de l’espèce, le préfet de La Réunion n’a pu légalement estimer que le comportement de M. A... n’était pas compatible avec les garanties exigées d’un candidat à une nomination dans l’emploi de gardien de la paix ».

3. Le pouvoir d’appréciation de l’administration n’est donc pas sans limite.

Seuls des faits d’une gravité suffisante et ne présentant pas un caractère trop ancien sont de nature à justifier légalement un refus de nomination, l’administration devant en outre dument tenir compte du comportement ultérieur du candidat.

Le juge de l’excès de pouvoir, à qui à qui il incombe « de vérifier que le refus d’agrément d’une candidature est fondé sur des faits matériellement exacts et de nature à le justifier légalement » [4] exerce sur ce point un contrôle vigilant [5].

Laurent Stouffs,
Avocat au Barreau de Paris
avocatstouffs.com

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Notes de l'article:

[1CE, 10 juin 1991, n° 107853, publié au Recueil, s’agissant d’un agent de l’administration pénitentiaire ; v. également par ex., s’agissant de candidats au concours de gardiens de la paix : CAA Nantes, 16 avril 2018, n° 16NT03952 ; CAA Nancy, 4 mai 1999, n° 95NC01668.

[2CAA Bordeaux, 23 décembre 2013, n° 12BX02052.

[3CAA Douai, 14 mars 2006, n° 04DA00207.

[4CE, 29 décembre 1995, n° 139222.

[5Voir également, pour un exemple. d’annulation du fait du caractère trop ancien des faits reprochés et du comportement ultérieur de l’intéressé : CAA Lyon, 14 juin 2016, n° 14LY01738.

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  • par Justine , Le 9 novembre 2022 à 21:55

    Que se passe t’il après que la cours enjoigne la préfecture à délivrer l’agrément ? L’administration est elle tenue de donner un poste au candidat, malgré le temps qu’aura duré le contentieux ?

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