La loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 porte « réforme de la prescription en matière civile ».
Elle est directement issue des travaux menés par M. Philippe Malaurie sous l’égide de M. Pierre Catala portant proposition de réforme du droit des obligations et de la prescription.
Au-delà des vœux de simplification et de dépoussiérage de la loi, cette réforme nous semble surtout accroître encore un peu plus le nécessaire recours au professionnel du droit, tant en amont (conseil) qu’en aval (contentieux) de la survenance des difficultés.
De vaste ampleur, nous avons choisi de nous intéresser ici à la seule partie de la réforme, déjà importante, consacrée au titre XX du Livre II du Code civil intitulé « De la prescription extinctive », et de mettre en lumière certains points saillants de cette réforme.
1. Sur le délai et le point de départ de la prescription
Les auteurs de la réforme mettent volontiers en avant la réduction de 30 à 5 ans du délai de prescription de l’action de droit commun.
Toutefois, il nous semble que la généralisation de la jurisprudence relative au report du point de départ de la prescription et l’instauration d’un délai « couperet » de 20 ans constituent en pratique, les nouveaux réflexes que doivent acquérir les avocats.
L’article 2224 nouveau du Code civil prévoit ainsi que « les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ».
Sauf à ce que la jurisprudence vienne fortement limiter l’application de cette disposition, on peut s’attendre à ce que, dans de nombreuses actions judiciaires, ce soit désormais la connaissance de l’atteinte à un droit qui constitue le point de départ du délai de prescription de 5 ans. L’analogie est forte avec la jurisprudence concernant l’infraction d’abus de bien social, dont on s’accorde pour dire que la jurisprudence l’a rendue matériellement « imprescriptible ».
Le report du point de départ de la prescription devrait avoir vocation à jouer dans de très nombreux cas, le délai de 5 ans ne constituant aucune garantie d’extinction du risque juridique pour les professionnels.
Seul le délai « couperet » de 20 ans, prévu à l’article 2232 nouveau du Code civil, qui éteint toute action nonobstant report, suspension ou interruption du délai de prescription, permet de mettre fin définitivement à l’action en justice.
Or la question de la prescription est intimement liée à celle de la preuve. Il nous semble qu’un prestataire diligent devra en conséquence conserver les preuves nécessaires à la mise en place d’une défense efficace durant 20 ans.
Les documents relatifs, par exemple, aux conditions de négociation, de signature ou d’exécution d’un contrat, ou encore ceux relatifs à la construction ou la mise en place d’un bien ou d’un service doivent donc impérativement faire l’objet d’une solution d’archivage durant cette période.
Seule, en effet, l’expiration de ce délai de 20 ans apporte aux professionnels la garantie qu’aucun litige ne pourra être introduit à l’occasion de leur activité.
Dès lors, ne pourrait t-on résumer cette réforme en indiquant qu’elle a abaissé, non de 30 à 5 ans, mais bien de 30 à 20 ans, le délai de prescription ?
En ce qui concerne l’existence de délais particuliers, la réforme prévoit, schématiquement :
Action en réparation d’un dommage corporel : 10 ans à compter de la date de consolidation du dommage initial ou aggravé (article 2226 nouveau du Code civil)
Action du professionnel à l’encontre du consommateur : 2 ans (article L. 137-2 nouveau alinéa 2 du Code de la consommation) NB : l’action du consommateur à l’encontre du professionnel reste soumis au délai de droit commun de 5 ans
NB : Ces deux actions devraient normalement être elles aussi soumises au « couperet » de 20 ans prévu par l’article 2232 nouveau du Code civil
Action réelle immobilière : 30 ans (article 2227 nouveau du Code civil)
Action en réparation des dommages causés à l’environnement par les installations, travaux, ouvrages et activités régis par le Code de l’environnement : 30 ans (article L. 152-1 nouveau du Code de l’environnement)
Exécution des décisions de justice : 10 ans (article 3-1 nouveau de la loi du 9 juillet 1991 sur les procédures civiles d’exécution)
2. Sur les cas de suspension et d’interruption du délai de prescription
L’arrivé du terme du délai « couperet » de 20 ans ferme la porte à l’action en justice du plaignant, nonobstant report, suspension ou interruption. Durant 20 ans, le délai de prescription peut donc faire l’objet soit d’une suspension soit d’une interruption.
Tout d’abord, nous notons que l’interversion de délai, qui permettait de bénéficier du délai de droit commun de 30 ans au lieu du délai plus court prévu par la loi, dans certains cas spécifique, n’ai pas mentionner dans la loi et que les travaux parlementaires montrent que ce mécanisme a été jugé trop complexe et trop incertain.
Le mécanisme apparaissait pourtant fort utile en jurisprudence, par exemple dans le cas de l’action en vice caché soumise à un bref délai. L’assignation en référé-expertise permettait ainsi de contourner l’exigence du bref délai en bénéficiant, après celle-ci, du délai de droit commun de 30 ans pour agir au fond. Le mécanisme était encore utile lorsqu’une dette avait l’objet d’une reconnaissance par son débiteur.
Cette jurisprudence se trouve aujourd’hui très sérieusement remise en question.
Ensuite, nous notons que, les deux termes de suspension et d’interruption son défini très classiquement par la nouvelle loi. Ainsi, la suspension est, selon l’article 2230 nouveau du Code civil, celle qui « arrête temporairement le cours sans effacer le délai déjà couru », tandis que l’interruption est, selon l’article 2231 nouveau du Code civil, celle qui « efface le délai de prescription acquis (et) fait courir un nouveau délai de même durée que l’ancien ».
En dehors des cas habituels, deux nouveaux cas de suspension auront très certainement un effet pratique important :
Tout d’abord, l’article 2238 nouveau du Code civil prévoit la suspension du délai de prescription lorsque les parties conviennent de recourir à la médiation ou la conciliation.
Les négociations des parties, dès lors qu’elles prennent une forme un peu aboutie, pourraient donc suspendre la prescription. L’accord écrit des parties, bien que non exigée par le texte, apparaît utile sur le terrain de la preuve puisque l’existence de négociation par le biais du témoignage des conseils, à l’instar du droit allemand, est impossible au regard des obligations de confidentialité auxquelles sont astreints les avocats français.
Selon le texte, la négociation qui suspend la prescription doit avoir été convenue entre les parties « après la survenance du litige ». On ne comprend pas bien pourquoi une négociation qui aurait été prévue directement dans le contrat ne suspendrait pas elle aussi le délai de prescription. La jurisprudence, par le biais de l’interprétation, corrigera peut-être cette différence (apparente) de régime.
Ensuite, l’article 2239 nouveau du Code civil prévoit que « la prescription est également suspendue lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d’instruction présentée avant tout procès ».
Ce sont bien entendu les mesures d’instruction dites « in futurum », prévues par l’article 145 du Code de procédure civile, qui sont visées par cette disposition.
Cette réforme permet donc de mettre fin à l’absurde situation du plaideur qui, ayant demandé et obtenu la nomination d’un expert par le biais d’un article 145, se trouve contraint, sans même attendre le résultat de ladite expertise, ce qui peut parfois prendre un certain temps, de saisir le juge au fond pour éviter de voir son action prescrite.
Pour ce qui est des cas d’interruption, deux dispositions nous semble devoir attirer l’attention.
Le mécanisme de l’un des cas d’interruption du délai est particulièrement à signaler. L’article 2241 nouveau du Code civil, conformément à la jurisprudence, prévoit que la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription. L’article 2243 nouveau du Code civil, quant à lui, prévoit que cette interruption se trouve « non avenue » si la demande est définitivement rejetée.
Ainsi, à l’approche de la fin du délai de prescription, qui peut d’ailleurs être très court, il existe un danger certain à saisir les juridictions en référé. L’échec de cette procédure aboutira la prescription de l’action au fond, ces deux procédures se trouvant liées malgré leurs finalités distinctes. Resterait bien entendu une hypothétique « passerelle » ordonnée par le Juge des référé, née de la pratique prétorienne du Tribunal de grande instance de Paris, en espérant que l’argument de la prescription de l’action au fond puisse l’émouvoir. Le plaideur sera néanmoins dès lors soumis au bon vouloir du magistrat, le refus de cette « passerelle » étant une décision insusceptible de recours.
La réforme a par ailleurs prévu un nouveau cas intéressant d’interruption du délai, à l’article 2241 nouveau alinéa 2 du Code civil. La solution selon laquelle la demande en justice portée devant une juridiction incompétente interrompt le délai de prescription est classique. Mais la loi ajoute à ce cas celui de « l’annulation de l’acte de saisine de la juridiction par l’effet d’un vice de procédure ». En matière de droit de la presse, où les nullités de l’assignation sont courantes et protectrices de la liberté d’expression, nul doute qu’un plaideur mettra en avant cet argument. Les juridictions feront-elles primer cette nouvelle disposition ou feront-elles, comme cela est usuel en la matière, prévaloir le caractère spécial de la loi du 29 juillet 1881 pour ne pas faire application de cette nouvelle disposition ?
3. Sur les possibilités d’aménagement conventionnel du délai de prescription
Nous notons tout d’abord que, sitôt offerte, la possibilité pour les parties de modifier par avance les délais de prescription, prévue à l’article 2254 nouveau du Code civil, est immédiatement exclue dans un grand nombre de cas.
L’alinéa 3 du texte prévoit que les dispositions de l’article 2254 « ne sont pas applicables aux actions en paiement ou en répétition des salaires, arrérages de rente, pensions alimentaires, loyers, fermages, charges locatives, intérêts des sommes prêtées et, généralement, aux actions en paiement de tout ce qui est payable par années ou à des termes périodiques plus courts ».
Ensuite, cette possibilité est exclue, par des textes spécifiques, dans les contrats d’assurance, ainsi que dans tous les contrats soumis au Code de la consommation, afin de protéger la partie dite « faible ».
Dans les autres situations, qui devraient finalement correspondre au cas déjà rencontré en pratique, à l’instar des contrats complexes comportant de nombreuses parties impliquées dans une opération d’envergure, la liberté des parties se trouve encadrée par le délai minimum de 1 an et celui maximum de 10 ans.
Pour mémoire, rappelons que les parties étaient jusqu’à présent libre de réduire le délai, mais pas de dépasser le délai légal. C’est donc la possibilité d’allonger, au-delà du délai légal et jusqu’à 10 ans, la durée de la prescription qui constitue la nouvelle liberté des opérateurs. Cette liberté est en effet restreinte par la réforme puisque désormais il est impossible de réduire le délai de prescription à moins d’un an. Dès lors, quid des contrats prévoyant aujourd’hui la réduction à un délai plus faible, de 6 mois par exemple ?
Par ailleurs, comme la souligné M. le professeur Stoffel-Munck, la loi reste muette sur un certain nombre de questions qui ne manqueront pas de se poser aux rédacteurs de contrat. Peut-on prévoir conventionnellement le point de départ de la prescription, afin d’éviter la surprise du mécanisme de report de la prescription, généralisé par l’article 2224 nouveau du Code civil ? Peut-on aménager conventionnellement des durées de prescription différentes selon les parties, à l’instar de ce qu’introduit la réforme elle-même en droit de la consommation ?
Enfin, la convention peut-elle porter sur la matière délictuelle, comme les praticiens ne manqueront pas de l’imaginer dans certains ensembles où les parties se trouvent aussi liées par contrat ? Ainsi, par exemple, sera t-il licite de régir l’action en responsabilité délictuelle qui pourrait être mise en œuvre par des membres d’une copropriété, d’une galerie commercial ou encore d’un club sportif ?
4. Sur la prise en considération des relations privées internationales
D’un point de vue internationaliste, cette réforme à deux implications.
D’abord, l’article 2221 nouveau du Code civil prévoit que la prescription extinctive est soumise à la loi régissant le droit qu’elle affecte. Une solution différente aurait été surprenante puisqu’il s’agit de celle prévue par l’article 10 de la Convention de Rome de 1980, qui prime sur le droit interne français et se trouve confortée par le projet de Règlement communautaire « Rome I » chargé de remplacer la convention.
Cette disposition est néanmoins intéressante en ce que la solution se trouve, de manière claire, définitivement adopté en droit international privé en ce qui concerne la prescription de toutes les actions autres que contractuelles, telles par exemple les actions de nature délictuelles ou possessoires.
Cette solution nous semble d’ailleurs souhaitable puisque, à défaut, si la prescription se trouvait soumise à la loi de procédure, c’est-à-dire à la loi du for saisi, les parties pourraient opérer un véritable « forum shopping » entre les différents fors compétents et sélectionner celui où l’action envisagée n’est pas encore prescrite. Cette solution participe donc d’un renforcement de l’autorité de la loi en rendant plus difficile de contourner les régimes de prescription prévus par les Etats Membres de l’Union.
Toutefois, et dans un constat plus général bien que relié à cette même optique, on constatera avec regret l’absence de concertation avec les autres Etats Membres de l’Union européenne. Cette concertation aurait pourtant fait avancer la création de « l’espace commun de liberté, de sécurité et de justice », qui constitue l’un des objectifs de l’Union. La durée est ainsi de 10 ans en Italie, en Suisse, en Suède et en Finlande, de six ans au Royaume-Uni et de trois ans en Allemagne.
Alors que la France assume actuellement la présidence de l’Union, cette réforme aurait peut-être pu faire l’objet d’une inscription à l’ordre du jour des chantiers de notre pays plutôt que d’une réforme séparée.
Barthélemy LEMIALE
Avocat à la Cour
Cabinet LUSSAN & Associés