La promotion d’étudiants en médecine 2020-2021 allait donc essuyer les plâtres de la réforme (en même temps qu’elle subissait une première année universitaire en période de pandémie mondiale).
Si de nombreuses difficultés ont accompagné cette année de transition (par ex. la question de la transparence et l’information des étudiants quant aux modalités d’évaluation des nouveaux parcours et notamment des L.AS, ou encore de l’information préalable sur le nombre de places ouvertes dans les différents cursus, qui devait être faite sur les sites internet des universités avant le 31 mars 2020 et qui n’auront été votées en règle générale qu’à partir de février 2021), c’est la question principale du nombre (insuffisant) de places accordées aux étudiants inscrits dans ces nouveaux parcours qui a cristallisé pour cette première année les contestations et oppositions des étudiants et associations.
Les primo-inscrits (en PASS et en L.AS) concourraient aux côtés des redoublants de l’année passée (encore inscrits pour une dernière année en PACES [1]) et constataient assez largement que le nombre de places pour lesquelles ils concourraient était dérisoire par rapport aux places des PACES.
Deux actions concordantes ont alors été menées par les étudiants (soutenus par leurs parents) : la première devant le Conseil d’Etat à l’encontre de la fixation du nombre de places pour les PACES, relevant du Ministre (I) (III de l’article 6 du décret du 4 novembre 2019), la seconde devant les diverses juridictions territorialement compétentes suivant les universités contestées dans la fixation du nombre de places pour les PASS/L.AS (II).
I- L’action devant le Conseil d’Etat.
Si le 1ᵉʳ juin 2021 le juge des référés [2] avait rejeté les demandes des associations PASS/L.AS, au fond, le Conseil d’Etat a, le 8 juillet 2021 [3], sanctionné les Universités qui n’avaient pas fourni suffisamment d’effort pour ouvrir leurs capacités d’accueil CA - équivalent à l’ancien numerus clausus - NC).
En effet, pour rappel, la première année d’application de la réforme (2021/2022) les Universités avaient quelques mois seulement pour organiser deux nouvelles voies d’accès aux parcours de santé (PASS et L.AS) et surtout organiser la cohabitation de ces nouvelles voies d’accès qui ne permettent plus le redoublement avec la dernière année de PACES composée notamment de redoublants.
Le Conseil d’Etat avait alors constaté que les PACES représentaient 30% des candidats totaux et que le nombre de places qui leur était prévu représentait 48.3%.
Ce nombre de place avait été fixé de façon à permettre aux PACES de bénéficier d’un taux de réussite proche de celui des 3 années précédentes.
Les CA pour les PASS L.AS avaient été fixées (plus ou moins…) en essayant d’attribuer un taux de réussite similaire aux étudiants de PACES primo-inscrits (passant le concours pour la première fois).
Pour autant, force est de constater que ces taux de réussite diffèrent substantiellement puisque le Conseil d’Etat rappelle que ce taux était de 23.1% pour les Bisontins et de 7.8% pour les Bordelais.
Le Conseil d’Etat ne pouvait dès lors que constater un avantage donné aux PACES.
Donnant alors à l’étude d’impact de la loi, une force « contraignante » étonnante, qui prévoyait une augmentation lors de cette première année (pour couvrir la cohabitation PASS/L.AS - PACES) de 20% du NC habituel, le Conseil d’Etat a alors enjoint à certaines universités d’augmenter les CA.
Ces universités sanctionnées étaient : Aix-Marseille, Antilles, Bordeaux, Dijon, Caen, Clermont-Ferrand, Lille, Nancy, Montpellier, Poitiers, Rouen, Saint-Etienne, Strasbourg, Toulouse et Tours.
Cette décision au fond du Conseil d’Etat (après seulement 43 jours d’instruction) amenant à des injonctions (« obligations » nous dit l’arrêt) prononcées à l’encontre d’universités qui n’étaient pas parties à l’instance, a mis fin à l’ensemble des contentieux de l’année de transition.
II- Les actions locales.
Dans le même temps, de nombreuses associations PASS L.AS locales avaient agi, par la voie du référé-suspension, en contestation des CA votées par les conseils d’administration.
A notre connaissance, 13 ordonnances ont été rendues [4].
Le fondement de l’ensemble des actions était similaire pourtant dans 6 situations [5], le juge a suspendu les CA alors que dans les 7 autres situations le juge rejetait les actions [6].
Il est alors utile de rappeler qu’in fine, le Conseil d’Etat a sanctionné plusieurs universités [7].
Il est aussi utile de noter que si les motivations amenant les différents juges des référés à suspendre les délibérations sont concordantes (outre le fait de tous retenir l’urgence) : le caractère « résiduel » des CA accordées aux PASS/L.AS par rapport aux places des PACES, la motivation des décisions de rejet diffère.
En effet, les juges de d’Orléans et Lyon n’ont pas retenu l’urgence, le juge de Nantes n’a pas identifié d’irrégularité (avec une motivation étayée) et le juge de Bordeaux a retenu la même position sans l’expliciter.
- Quant aux rejets :
- Deux ordonnances de rejet ont fait l’objet d’une cassation devant le Conseil d’Etat qui a annulé les ordonnances de Bordeaux et Lyon [8].
S’agissant de Bordeaux, le Conseil d’Etat a effectivement constaté l’irrégularité des CA de l’université. Il est alors particulièrement surprenant de relever qu’au fond le juge a constaté un désistement qui n’existait pas (tribunal administratif Bordeaux, 1ᵉʳ septembre 2021, 2102182). En effet, si les dispositions de l’article R612-5-2 permettent de constater le désistement au fond en cas de rejet de la requête fondée sur l’article L521-1 du CJA), le juge ne peut le faire lorsqu’il est exercé un recours en cassation, ce qui était le cas en l’espèce.
S’agissant de Lyon, le Conseil d’Etat a sanctionné le juge des référés qui avait analysé la condition d’urgence sous l’angle de l’intérêt à agir, mais surtout, le Conseil d’Etat a considéré que « le prononcé d’une suspension de l’exécution de la délibération contestée n’était pas de nature à empêcher la poursuite du processus de sélection des étudiants candidats à l’admission en deuxième année des études de santé ». - A Marseille, les premières CA votées le 16 mars 2021 ont fait l’objet, le 30 avril 2021, d’une suspension.
Le juge avait alors considéré que les CA des PASS/L.AS (380 places) présentaient un caractère résiduel par rapport aux places accordées au PACES (tribunal administratif Marseille, 2103155, 30 avril 2021).
Le 10 mai 2021 l’université a voté de nouvelles CA, identiques (380 places).
L’association reprenant son raisonnement a, à nouveau, contesté cette délibération.
Cette fois-ci le juge, le 1ᵉʳ juin 2021 (tribunal administratif Marseille, 1ᵉʳ juin 2021, 2104255), a rejeté ce raisonnement.
Comme rappelé plus avant, c’est finalement le Conseil d’Etat, par le biais de son arrêt au fond, qui a contredit ce changement de position du juge des référés marseillais, obligeant l’université de Marseille à augmenter ses CA.
- Deux ordonnances de rejet ont fait l’objet d’une cassation devant le Conseil d’Etat qui a annulé les ordonnances de Bordeaux et Lyon [8].
- Sur les actions au fond :
La messe ayant été dite par le Conseil d’Etat en début juillet 2021, la grande majorité des associations PASS/L.AS n’ont pas souhaité soutenir l’action au fond pendant plusieurs années.
L’association de Bordeaux a été forcée par le juge à se désister (comme vu précédemment).
L’association de Tours ayant obtenu gain de cause par l’obligation imposée par le Conseil d’Etat, seule l’association de Besançon a obtenu une décision au fond.
Celle-ci [9] est porteuse d’importants rappels quant aux critères et conditions de fixation des CA puisque le jugement annulera la fixation des CA par l’université en considérant que ceux-ci ne semblent pas avoir été définis selon les besoins du territoire et en fonction des objectifs pluriannuels.
III- Ce qu’il faut en retenir.
Bien que les associations et étudiants soient attentifs au respect des principes d’égalité et aux conditions de concours, personne ne semble vraiment s’intéresser aux délibérations fixant le nombre de places pour lesquelles concourir.
Tous les contentieux actuels sont tournés vers la contestation de rejet de candidature et pas sur les deux actes administratifs antérieurs qui conditionnent particulièrement le concours :
- Le vote des CA
- Le vote des Modalités de Contrôle des Connaissances et Compétences (MCCC).
Pourtant, aux chaises musicales, s’il convient d’écouter la musique, il faut aussi être attentif au nombre de chaises restantes et aux chemins pour y arriver !
Nous ne pouvons alors que sensibiliser les étudiants, les parents et les associations à être attentifs à ces deux actes et notamment aux MCCC.
Il y a pour ces deux cadres, et au regard de l’impérieuse nécessité des besoins du territoire, très certainement quelque chose à creuser. Concernant les MCCC, nous vous renvoyons vers un prochain article à paraitre (dans l’attente de la publication avant le 30 juin 2024 du décret imposé par le Conseil d’Etat [10].
Sur les CA, pour rappel, les dispositions de l’article L631-1 du Code de l’éducation rappellent que :
- Les CA (l’ex NC) sont fixées par les Universités
- Que ces CA ne sont pas fixées librement mais selon deux paramètres :
- Les besoins de santé du territoire et le texte rajoute « en priorité »
- Les capacités de formation
- S’il n’est pas donné plus d’explications quant aux capacités de formation (comprenez le nombre de places dans les amphis, le nombre d’enseignants et les moyens financiers et administratifs dont peuvent (veulent) se doter les universités), il est rappelé que les besoins du territoire sont appréciés avec l’ARS sur la base des objectifs nationaux pluriannuels.
- Ces objectifs nationaux sont établis par l’Etat « pour répondre aux besoins du système de santé, réduire les inégalités territoriales d’accès aux soins et permettre l’insertion professionnelle des étudiants »
L’article R631-1-6 précise que ces objectifs nationaux arrêtés par les deux Ministres compétents sur la question (enseignement supérieur et santé) sont proposés par une conférence nationale.
Il est ajouté : « Les objectifs nationaux pluriannuels sont définis par université, pour chacune des formations de médecine, de pharmacie, d’odontologie ou de maïeutique, pour une durée de cinq ans ».
Dès lors, une partie importante de l’avenir des étudiants en santé ne se joue pas uniquement lors de la présentation aux deux tentatives et conditions de ces candidatures mais aussi très certainement en amont lors de la définition :
- D’une part, des objectifs pluriannuels (locaux et nationaux), tous les 5 ans :
Sur ce point, à noter que la dernière fixation des objectifs nationaux a été faite par l’arrêté du 13 septembre 2021 définissant les objectifs nationaux pluriannuels de professionnels de santé à former pour la période 2021-2025.
A notre connaissance, aucun nouveau projet de définition de ces objectifs pour la période 2025-2030 n’a été présenté.
Un défaut du gouvernement à anticiper suffisamment ne pourra qu’illustrer l’impossibilité à poursuivre et mettre en œuvre une réforme qui se voulait ambitieuse et protectrice tant des intérêts des étudiants que des besoins sociaux.
Or, dans la mesure où les universités définissent les CA sur la base de ces objectifs et dans la mesure où les CA doivent être définies (et publiées) avant l’ouverture de Parcoursup, force est de constater que le 30 mai 2025, soit dans un peu moins d’un an, les universités auront dû fixer ces CA.
Dans un souci de transparence, plusieurs universités n’attendent pas le dernier moment pour informer les candidats quant au nombre de places.
Ainsi, par exemple en décembre 2023 l’Université d’Angers votait les CA pour la rentrée de septembre 2025. Ainsi très certainement en décembre 2024 elle devrait envisager de voter celles pour 2026. Or, comment pourrait-elle régulièrement voter de telles CA si les objectifs nationaux pluriannuels demeurent inconnus ?
Le tribunal administratif de Paris [11] a par ailleurs précisé que le manquement à la bonne et utile information des étudiants quant aux CA entachait les délibérations.
- D’autre part, lors de la fixation des CA :
Or, il est utile de rappeler que ces CA sont votées par les Conseils d’Administration des universités et que ce vote doit être réalisé avant le 30 mai de l’année universitaire qui précède puisque les CA doivent être indiquées sur Parcoursup (Art. 1ᵉʳ de l’arrêté du 4 novembre 2019 relatif à l’accès aux formations de médecine, de pharmacie, d’odontologie et de maïeutique).
Par ailleurs, s’agissant d’un acte administratif réglementaire, et en « l’absence de dispositions prescrivant une formalité de publicité déterminée, les actes à caractère réglementaire du conseil d’administration d’une université sont opposables aux tiers à compter de la date de leur affichage sur des emplacements dédiés des locaux de cet établissement et permettant de répondre aux exigences d’information des tiers, ou, afin d’assurer une publicité adéquate de ces derniers, de celle de leur mise en ligne, dans des conditions garantissant sa fiabilité, sur le site internet de cette personne publique » [12].
Dès lors, « Mieux vaut prévenir que guérir », surtout lorsqu’il est très (trop) tard pour guérir…