Les recherches non-interventionnelles ne sont pas des recherches sur la personne, Thomas Roche, Avocat

Les recherches non-interventionnelles ne sont pas des recherches sur la personne, Thomas Roche, Avocat

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Explorer : # recherches non-interventionnelles # données personnelles # cadre juridique # protection des personnes

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Si nous pouvons démontrer que les recherches non-interventionnelles ne sont pas des recherches sur la personne, la proposition de la loi n° 1372 relative aux recherches sur la personne n’a plus lieu d’être.

C’est donc ce que nous allons nous attacher à démontrer en développant des arguments juridiques qui se veulent objectifs.

Monsieur le député Olivier JARDE (entre autres) qui est à l’origine d’une proposition de loi relative aux recherches sur la personne a réalisé un rapport (n°1377) (ci-après le Rapport Jardé) motivant le dépôt de la proposition de loi précitée.

Ce rapport vise à démontrer l’utilité de faire travailler notre représentation nationale, et plus généralement le Parlement et le Gouvernement, sur un texte essentiel et surtout extrêmement urgent dont les objectifs sont de « moderniser et de simplifier le cadre juridique des recherches sur la personne » !

Le rapporteur s’émeut du fait que les recherches observationnelles sont conduites dans un vide juridique : « un pan entier de la recherche clinique, la recherche non interventionnelle, ou observationnelle, c’est-à-dire de cohortes de patients, qui a connu un développement considérable ces dernières années, n’a aujourd’hui aucun cadre législatif ».

Ainsi, le rapport tend à démontrer que les recherches non-interventionnelles sont des recherches sur la personne et qu’il convient de donner un socle commun à l’ensemble de ces recherches. Ce socle commun visant notamment à soumettre l’ensemble de ces recherches à l’avis (ou à l’autorisation, le rapport n’est pas très précis sur ce point) d’un Comité de Protection des Personnes.

Toutefois, les recherches non-interventionnelles ou observationnelles ne sont pas des recherches menées sur la personne et il n’existe aucun vide juridique concernant ces recherches non-interventionnelles.

1. Une recherche non-interventionnelle n’est pas menée sur la personne

Le Rapport JARDE définit assez étrangement les recherches biomédicales en tentant de les restreindre aux recherches susceptibles de porter atteinte au corps humain : « Alors que les recherches biomédicales issues de la loi « Huriet-Sérusclat » se définissaient essentiellement par l’atteinte au corps humain qu’elles occasionnaient (...) »

La définition du terme « recherche biomédicale » est pourtant clair, il s’agit des recherches organisées et pratiquées sur l’être humain en vue du développement des connaissances biologiques ou médicales.

Les recherches biomédicales regroupent plus largement l’ensemble des actes pouvant porter atteinte à une personne et non pas seulement à son corps.

Ainsi, il est couramment admis que certaines enquêtes ou questionnaires peuvent constituer des recherches biomédicales du fait d’une atteinte à l’intégrité psychique (et non physique !) de la personne.

Lorsque l’on évoque les recherches sur la personne, sur l’être humain, il est nécessaire qu’il y ait une véritable intervention sur les personnes se prêtant à de telles recherches. Ces contraintes justifient la mise en place de règles juridiques destinées à assurer leur protection.

Au niveau international, de nombreux textes encadrent les recherches biomédicales ou les essais cliniques.

Intéressons-nous par exemple à la Convention sur les droits de l’Homme et de la Biomédecine ou Convention d’Oviedo adoptée par le Conseil de l’Europe(1) et plus particulièrement à son Protocole additionnel relatif à la recherche biomédicale.

L’article 2 de ce Protocole additionnel précise son champ d’application en mentionnant qu’il s’applique à l’ensemble des activités de recherche dans le domaine de la santé impliquant une intervention sur l’être humain.

Le troisième alinéa précise que le terme « intervention » couvre les interventions physiques et toute autre intervention, dans la mesure où elle implique un risque pour la santé psychique de la personne concernée.

Par voie de conséquence, ce Protocole additionnel ne s’applique pas aux « recherches » qui n’impliquent pas d’intervention sur l’être humain.

Ainsi, lorsque le rapport affirme que « les recherches peu ou pas interventionnelles ne semblent pas présenter de risque particulier pour la santé, elle n’en mettent pas moins à contribution une personne », il est impossible pour autant d’affirmer qu’il s’agit de recherche sur la personne et ce, faute d’intervention particulière.

Dans l’absurde, peut-on affirmer qu’une recherche qui met à contribution des investigateurs est une recherche sur les investigateurs ? Une mise à contribution doit être clairement distinguée d’une intervention.

Le rapport explicatif sur le protocole additionnel à la Convention d’Oviedo, relatif à la recherche biomédicale mentionne également que « le protocole ne couvre pas les études dont le but n’est pas d’acquérir de nouvelles connaissances scientifiques, mais de collecter ou de traiter des informations à des fins purement statistiques, par exemple pour effectuer des audits ou des évaluations du système de santé. »

Le rapport explicatif exclut de fait les études non-interventionnelles qu’il ne qualifie pas de « recherche ».

Au niveau européen, le champ d’application(2) de la directive 2001/20/CE(3) relative à l’application de bonnes pratiques cliniques dans la conduite d’essais cliniques de médicaments ne vise que les essais cliniques effectués sur des êtres humains et exclut expressément les essais non-interventionnels.

Ces essais sont définis(4) comme « les études dans le cadre duquel le ou les médicaments sont prescrits de la manière habituelle conformément aux conditions fixées dans l’autorisation de mise sur le marché (...). Aucune procédure supplémentaire de diagnostic ou de surveillance ne doit être appliquée aux patients et des méthodes épidémiologiques sont utilisées pour analyser les données recueillies ».

Ces études (la directive n’utilise pas le terme « recherche ») consistent simplement à observer des patients sans qu’il ne puisse y avoir une quelconque intervention sur la personne d’où le terme également utilisé d’étude « observationnelle ».

Mais pour quelle raison ces textes internationaux excluent systématiquement les recherches non-interventionnelles des mécanismes de protection offerts aux personnes se prêtant à des recherches en santé ?

Tout simplement pour la bonne raison que ces personnes ne participent pas à des recherches et qu’il n’y pas lieu de leur faire bénéficier d’une quelconque protection et ce, faute d’intervention sur leur personne.

Les études non interventionnelles, à défaut de porter sur des personnes, portent par contre sur des données personnelles. La nuance est de taille et il convient de sortir du Code de la Santé Publique pour découvrir le régime juridique encadrant ces recherches.


2. Une étude non-interventionnelle porte sur des données personnelles

Les études non interventionnelles visent à collecter des informations ou plus exactement des données personnelles de santé, sans aucune intervention sur la personne. Il s’agit uniquement d’observer (étude observationnelle) afin de collecter ces données, et par la suite des méthodes épidémiologiques sont utilisées pour analyser les données recueillies.

Ces études sont-elles conduites dans un vide juridique ?

Comme nous le soulignons précédemment, le rapporteur s’émeut « qu’un pan entier de la recherche clinique, la recherche non interventionnelle, ou observationnelle, c’est-à-dire le suivi de cohortes de patients,(...) n’a aujourd’hui aucun cadre législatif ».

Il est d’ailleurs noté que « l’absence d’autorisations préalables (au lieu d’avis ; nous ne sommes plus à une approximation près !) par un comité de protection des personnes ne permet pas de vérifier l’intérêt scientifique de ces recherches et pénalise les chercheurs français qui veulent publier dans des revues scientifiques internationales car celles-ci exigent l’avis d’un comité d’éthique ».

Comment un rapport parlementaire peut-il contenir de telles inepties ?

Nous tenions à faire état de l’existence d’un régime juridique applicable à l’ensemble des études non-interventionnelles, qui par définition, nécessitent la mise en œuvre de traitements de données personnelles.

Ces dispositions figurent au chapitre IX de la Loi n°78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés et imposent une autorisation préalable pour tout traitement de données à caractère personnel mis en œuvre à des fins de recherche dans le domaine de la santé.

Ces traitements sont autorisés par la Commission Nationale Informatique et Libertés (CNIL), et font l’objet au préalable d’un avis du CCTIRS (Comité consultatif sur le traitement de l’information en matière de recherche dans le domaine de la santé), institué auprès du Ministère chargé de la recherche. Ce Comité fonctionne depuis de nombreuses années et de façon parfaitement efficace.

Or, le CCTIRS est composé « de personnes compétentes en matière de recherche dans le domaine de la santé, d’épidémiologie, de génétique et de biostatistique et qui émettent un avis sur la méthodologie de la recherche au regard des dispositions de la présente loi, la nécessité du recours à des données à caractère personnel et la pertinence de celle-ci par rapport à l’objectif de la recherche ».(5)

Il est donc totalement faux d’affirmer que les recherches actuellement qualifiées de non interventionnelles ne font pas l’objet d’une vérification de leur intérêt scientifique.

Il serait plus juste au contraire d’affirmer que, malheureusement, de nombreux chercheurs souhaitent s’affranchir des règles édictées par la loi Informatique et Libertés (issues de directives européennes) et notamment de l’analyse réalisée par le CCTIRS au motif que ce comité réalise correctement ses missions et qu’il n’hésite pas, le cas échéant, à revoir la méthodologie de certaines études non interventionnelles.

C’est sûr, il serait tellement plus simple de solliciter un CPP « maison », totalement incompétent en terme de protection de données personnelles !

Selon notre analyse, le dispositif actuel est parfaitement adapté, puisqu’au lieu de porter sur la personne, comme certains auteurs tentent désespérément de le démontrer, les recherches non-interventionnelles ou observationnelles ne portent que sur des données médicales récupérées ou collectées, la plupart du temps, au cours ou à l’issue d’actes de soins.

Le rapport annonce également « une grande nouveauté pour les recherches non interventionnelles pour lesquelles aucune mesure d’information n’était jusqu’à présent prévue par les textes » !

Mais que faire de l’article 57 de la Loi Informatique et Libertés ! Cet article prévoit que les personnes auprès desquelles sont recueillies les données à caractère personnel sont individuellement informées :

- de la nature des informations qui sont transmises ;
- de la finalité du traitement des données ;
- des personnes physiques ou morales destinataires des données ;
- du droit d’accès et de rectification qu’elles peuvent utiliser ;
- du droit d’opposition institué également par la loi Informatique et libertés.

Voila l’essentiel des raisons pour lesquelles, il n’y a pas lieu d’engorger encore plus les Comités de protection des personnes avec des études pour lesquelles ils seraient totalement incompétents.

Seule une entité, telle que le CCTIRS, peut intervenir efficacement afin de contrôler l’adéquation entre la méthodologie de l’étude et la protection des données personnelles.

D’ailleurs, un tel contrôle devrait parfaitement suffire pour permettre la publication des résultats obtenus dans le cadre de ces études auprès des soit-disant extraordinaires journaux scientifiques anglo-saxons qui comme nous avons pu le constater dans un article précédent ont pu faire l’objet jusqu’à présent d’une compétence, toute particulière, concernant le contrôle des informations qui leur étaient communiquées.

En résumé :

Le rapport, tout comme la proposition de Loi, reflètent la précipitation avec laquelle ceux-ci ont été discutés et adoptés devant l’Assemblée Nationale. Pour mémoire, la proposition de loi a été déposée le 6 janvier 2009, examinée le 13 janvier 2009 (en 50 minutes !) par la Commission des Affaires Culturelles Familiales et Sociales de l’Assemblée Nationale pour être discutée et adoptée en séance publique le 22 janvier 2009.

Décidément, nous ne comprenons pas les motivations de notre Ministre de la Santé, à l’origine d’un projet de loi ayant largement inspiré cette proposition, de soutenir activement de telles idées et de tels propos totalement erronés.

L’impact d’une telle loi serait considérable pour la France notamment en ce qui concerne la protection des personnes et le bon fonctionnement de l’ensemble du système dont la pierre angulaire reste les Comités de Protection des Personnes dont les missions doivent se limiter aux véritables recherches réalisées sur la personne.

Pourquoi la France souhaite, à contrecourant de l’ensemble des législations européennes et internationales « signifier clairement que ces activités (recherches peu ou non interventionnelles) sont également de la recherche et, d’autre part, que cette recherche se définit avant tout par son sujet d’études, la personne. » ?

D’où provient cette volonté de brouiller les notions, les termes, les standards et de courir le risque de marginaliser encore un peu plus la France, qui l’est déjà avec les recherches visant à évaluer les soins courants ?

La volonté de créer un socle commun à l’ensemble des recherches sur la personne intégrant justement des recherches ne portant pas sur des personnes, mais sur des données personnelles, aura pour conséquence d’amoindrir cette notion et par là-même de banaliser la protection des personnes qui se prêtent aux vraies recherches biomédicales telles qu’elles sont définies au niveau international.

Le droit évolue, s’internationalise, certains diraient se globalise. La France ne peut se permettre d’aller à l’encontre de conventions internationales contraignantes (le jour où nous la ratifierons) telle que la Convention d’Oviedo et ses protocoles additionnels, au risque de voir disparaître un pan entier de son activité économique.

Les recherches biomédicales et encore plus les études non-interventionnelles, qui nécessitent des cohortes extrêmement importantes, sont multicentriques et internationales. Par voie de conséquence, elles exigent une harmonisation des règles légales et réglementaires au niveau international, mais surtout pas une marginalisation de notre réglementation.

Il est urgent que le Ministère de la Santé, par là le Gouvernement, mais également nos Parlementaires prennent conscience que la recherche sur la personne est une activité globalisée et non plus simplement nationale.

Une éventuelle adoption de la proposition de la loi Jardé ou de toute loi ou réglementation franco-française relative aux recherches sur la personne constituerait une véritable catastrophe pour la recherche clinique en France, à là encore, je pèse mes mots !

Thomas Roche, Avocat

1. http://www.coe.int/t/dg3/healthbioe...

2. Article 1

3. JOCE du 1er mai 2001

4. Article 2, b) de la directive 2001/20/CE

5. Art. 54 de la loi Informatique et Libertés

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