Quelles sont les règles à respecter pour conclure un marché public sous le seuil de 40 000 euros HT ? Par Hervé Kobo, Avocat.

Quelles sont les règles à respecter pour conclure un marché public sous le seuil de 40 000 euros HT ?

Par Hervé Kobo, Avocat.

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Explorer : # marchés publics # seuils financiers # transparence

Ce que vous allez lire ici :

Les marchés publics sous le seuil de 40~000 euros HT doivent respecter les principes de la commande publique, tels que la liberté d'accès, l'égalité de traitement et la transparence. Il est essentiel de respecter les règles, car une interprétation erronée peut entraîner des risques contentieux et pénaux.
Description rédigée par l'IA du Village

En pratique, de nombreux contrats peuvent être conclus par les collectivités et entreprises publiques avec un besoin estimé n’excédant pas le seuil de 40 000 euros hors taxes (HT). Dans ce cas, l’expression « contrat de gré à gré » a pu régulièrement être utilisée, sous entendant un contrat conclu sans être soumis aux règles de la commande publique.
Toutefois, la commande publique est un domaine régi par un cadre juridique strict, où chaque action doit être en adéquation avec des principes établis pour assurer équité, transparence et efficience dans l’utilisation des fonds publics.
Même pour des marchés de faible envergure, tels que ceux ne dépassant pas le seuil de 40 000 euros HT, une rigueur particulière est exigée.

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Bien qu’exemptés de certaines formalités telles qu’une procédure de publicité et de mise en concurrence préalable, les marchés publics sous le seuil de 40 000 euros HT ne sont pas pour autant dénués de contraintes [1].

Ils doivent impérativement s’inscrire dans le respect des grands principes de la commande publique, à savoir liberté d’accès, égalité de traitement ou non-discrimination et transparence [2].

Ces principes fondamentaux comprennent notamment :

  • l’obligation de répondre de manière adéquate et pertinente au besoin identifié préalablement ;
  • l’impératif de bon usage des deniers publics, en choisissant l’offre la plus efficiente et non une offre artificiellement élevée ;
  • et la nécessité de prévenir toute attribution systématique à un même prestataire en présence d’alternatives viables.

Par ailleurs, tout marché conclu sans publicité ni mise en concurrence préalable au-dessus du seuil de 25 000 euros HT et dont le besoin estimé n’excède pas le seuil de 40 000 euros HT, doit faire l’objet d’une publication des données essentielles au cours du premier trimestre de chaque année, sur le support du choix de l’acheteur, dans une liste des marchés conclus l’année précédente [3].

En effet, dans ce cas, l’acheteur n’est pas tenu de publier les données essentielles sur le portail national des données ouvertes conformément à l’arrêté du 22 décembre 2022 relatif aux données essentielles des marchés publics applicable aux marchés dont le montant estimé est égal ou supérieur à 40 000 euros HT.

Les données essentielles publiées portent notamment sur le contenu du contrat, l’exécution du marché, l’éventuelle modification du contrat ainsi que sur, lorsqu’il y en a eu une, la procédure de passation du marché.

En l’absence de procédure de mise en concurrence et de mesures de publicité préalables, l’acheteur peut par exemple indiquer « sans objet » sur la procédure de passation du marché.

Au moins deux autres règles de base doivent être signalées.

D’abord, au-dessus du seuil de 5 000 euros HT, l’acheteur doit effectuer les vérifications relatives au travail dissimulé prévues à l’article R8222-1 du Code du travail [4].

Ensuite, à compter du seuil de 600 euros toutes taxes comprises (TTC), le sous-traitant du cocontractant de l’administration a droit au paiement direct par l’acheteur [5].

Un écrit est-il toujours nécessaire ?

En principe, un marché public est un contrat écrit.

Toutefois, sous le seuil de 25 000 euros HT, il est possible de conclure un contrat oral [6].

Au-delà du seuil de 25 000 euros HT, chaque marché est nécessairement conclu par écrit.

Cela ne signifie pas qu’un contrat doit être conclu en bonne et due forme, mais qu’un écrit quel qu’il soit doit formaliser le marché.

Autrement dit, dans le cas où le besoin estimé est supérieur à 25 000 euros HT, le marché public ne peut être oral, il doit nécessairement faire l’objet d’une trace écrite quelle qu’en soit la forme.

L’absence d’écrit peut porter préjudice non seulement à l’acheteur mais aussi au cocontractant de l’administration.

En effet, l’absence illégale d’un écrit dans le cadre d’une relation contractuelle vieille de plus de quinze ans et qui constituerait une faute de l’acheteur ne permet pas à un cocontractant d’obtenir une indemnisation en cas de résiliation pour motif d’intérêt général visant à une remise en concurrence [7].

Quels sont les écueils d’une interprétation erronée des textes ?

La liberté procédurale offerte pour les marchés en deçà du seuil des 40 000 euros HT peut se révéler être un piège lorsqu’on adopte une lecture superficielle des textes.

Une interprétation isolée de l’article R2122-8 du code de la commande publique, sans prendre en compte l’article L3, peut induire en erreur et mener à des pratiques d’achats automatiques, dépourvues de la diligence requise.

Il est crucial de distinguer l’absence de formalisme de la liberté absolue.

En effet, un risque contentieux existe, notamment en référé initié par des concurrents de l’opérateur privilégié.

De même, un risque pénal existe en cas de non-respect systématique voire ponctuel de ces règles, dès le premier euro [8].

Il convient donc de tracer objectivement les achats et de déterminer l’opérateur économique adéquat avec des justifications suffisantes.

Un acheteur avisé doit établir des analyses comparatives pertinentes des différents opérateurs présents sur le marché.

Si ces préconisations sont respectées, la juridiction administrative admet que le marché puisse être conclu sans procédure de publicité et de mise en concurrence dès lors qu’elle constate que le montant estimé du besoin est inférieur à 40 000 euros HT et qu’il ressort des pièces du dossier que l’offre de l’attributaire apparaît pertinente [9].

Pour aller plus loin, les recommandations des Chambres régionales des comptes (CRC) offrent des illustrations concrètes de la finesse requise dans l’application de ces règles.

La CRC Provence-Alpes-Côte d’Azur notamment souligne que les notes internes du directeur général de la société d’aménagement régional sont susceptibles d’induire en erreur l’acheteur dès lors qu’elles indiquent sans autre précision qu’en cas d’estimation du besoin de fournitures ou services inférieure à 5 000 euros HT, la demande d’achat est effectuée directement sans demander aucun devis.

Il en allait de même lors du contrôle des comptes de l’entreprise publique locale en cause, pour les besoins de travaux inférieurs à 15 000 euros HT.

Mais la CRC précise que ces indications doivent être complétées afin de mettre en place un processus qui permet de ne pas contracter systématiquement avec le même opérateur économique lorsqu’il existe une pluralité d’offres susceptibles de répondre au besoin [10].

Pour autant, et s’il a été jugé qu’en cas de doute, il convient de choisir la procédure la plus stricte [11], il n’est pas non plus nécessaire de toujours choisir une procédure formalisée lorsque cela ne se justifie pas.

Par exemple, la CRC de La Réunion souligne qu’une commune ne doit pas choisir systématiquement une procédure formalisée (c’est-à-dire la procédure la plus stricte) au-delà du seuil de 5 000 euros HT, et la publicité nécessaire pour 90 000 euros HT lorsque le marché dépasse le seuil de 40 000 euros HT mais n’atteint pas 90 000 euros HT.

En effet, la CRC précise que la commune perd ainsi en réactivité avec des délais de consultation anormalement longs.

La CRC de La Réunion précise donc que la commune pourrait améliorer son processus d’achat et alléger ses procédures tout en respectant l’obligation de ne pas contracter systématiquement avec les mêmes opérateurs.

Selon la CRC, la commune pourrait le faire par exemple avec un référencement des fournisseurs potentiels pour les petits achats, ainsi qu’un suivi de ces derniers en phase d’exécution [12].

La pratique de la demande de trois devis est-elle recommandée ?

Lorsque les connaissances sur les pratiques du marché sont limitées, la Direction des affaires juridiques (DAJ) du ministère de l’Économie et des Finances conseille de solliciter des devis auprès de fournisseurs ou de prestataires de services.

Lorsqu’il fait appel à cette technique d’achat pour mieux maîtriser son marché sous le seuil de mise en concurrence, l’acheteur doit se comporter comme un « particulier avisé » [13].

Cette recommandation, bien que non inscrite dans la loi, sert à éclairer le pouvoir adjudicateur sur le contexte du marché concurrentiel dans lequel s’inscrit son besoin.

Cependant, cette pratique n’est pas exempte d’ambiguïté et doit être utilisée avec discernement.

Notamment, il est de coutume de demander trois devis, mais il ne s’agit en aucun cas d’une règle impérative puisqu’elle n’est inscrite dans aucun texte et ne constitue pas une mesure de publicité [14].

Par exemple, deux, quatre ou davantage de devis peuvent être demandés, l’important étant uniquement de mieux connaître le contexte du marché concurrentiel.

Un rapport d’observations d’une CRC sur la sollicitation de devis révèle que cette démarche doit être adaptée à chaque contexte spécifique, en privilégiant parfois l’information orale permettant d’éclairer l’acheteur sur les prix pratiqués pour éviter des coûts superflus et des démarches inappropriées [15].

Comment calculer le dépassement du seuil de 40 000 euros HT ?

Conclure un marché sans procédure de mise en concurrence préalable sous le seuil de 40 000 euros HT nécessite une maîtrise précise de la computation des seuils, une tâche souvent complexe qui requiert une connaissance approfondie des nomenclatures et un suivi méticuleux des dépenses.

Il est important de prendre en compte la valeur estimée du besoin sur une année, et non la valeur estimée du marché.

Si la valeur estimée du marché est inférieure à 40 000 euros HT mais la valeur estimée du besoin supérieure à 40 000 euros HT, alors il est nécessaire de mettre en œuvre une procédure de mise en concurrence dite « adaptée » a minima.

La procédure adaptée est la procédure de mise en concurrence la moins contraignante, l’acheteur la détermine librement dans le respect des principes de la commande publique, et il met en place une publicité qu’il estime appropriée.

Les rapports des CRC soulignent les difficultés rencontrées par les entités publiques dans la gestion de leurs achats sous le seuil des 40 000 euros HT et l’importance d’une démarche rigoureuse pour éviter le contournement des règles de la commande publique.

À noter que ce seuil de 40 000 euros HT était auparavant de 25 000 euros HT [16].

À noter également que ce seuil s’élève à 100 000 euros HT jusqu’au 31 décembre 2024 pour les marchés de travaux [17] et de manière pérenne pour les marchés innovants [18].

Pour ces deux types de marchés, les mêmes conseils évoqués dans cet article pour le seuil de 40 000 euros HT s’appliquent sous le seuil de 100 000 euros HT.

Comment communiquer sur ces marchés ?

Devant la complexité des règles régissant la commande publique, il est primordial pour les acteurs du secteur de développer des compétences en communication afin d’expliquer avec clarté et précision les obligations et les enjeux liés aux marchés publics.

Cette communication efficace est essentielle pour éviter les malentendus et assurer la compréhension des principes fondamentaux par tous les interlocuteurs, y compris pour les marchés de moindre importance.

En somme, la commande publique, même dans ses aspects les plus élémentaires, exige une attention soutenue et une compréhension approfondie des règles en vigueur.

Il est impératif de ne pas se laisser séduire par la simplicité apparente et de veiller à une application rigoureuse des principes fondamentaux pour assurer une gestion transparente et efficace des ressources publiques.

En cas de doute, consulter un avocat peut se révéler particulièrement utile.

Hervé Kobo, Avocat au barreau de Paris et Docteur en droit public
Avocat à impact chez Hervé Kobo Avocat https://www.hka-avocat.com/
Collaborateur libéral chez Genesis Avocats
Enseignant-chercheur chez CY Cergy Paris Université

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Notes de l'article:

[1Article R2122-8 du Code de la commande publique.

[2Article L3 du même code.

[3Article R2196-1 du Code de la commande publique.

[4Article R8222-1 du Code du travail.

[5Articles L2193-10 et R2193-10 du Code de la commande publique.

[6Article R2112-1 du Code de la commande publique.

[7CAA Toulouse, 19 décembre 2023, n° 22TL00721.

[8Notamment article 432-14 du Code pénal ; Cass.crim.17 février 2016, n° 15-85.363, au Bulletin ; Chambres régionales des comptes (CRC) de Bretagne, 22 novembre 2023, Rapport d’observations définitives, Association Diwan.

[9TA Marseille, 21 septembre 2023, n° 2104454.

[10Article R2122-8 du CCP ; CRC Provence-Alpes-Côte d’Azur, 13 janvier 2023, Rapport d’observations définitives, Société d’aménagement régional du Canal de Provence.

[11CE, avis, Section de l’administration, 22 janvier 2019, Avis relatif aux conditions de réalisation de passerelles innovantes sur la Seine, n° 396221.

[12CRC La Réunion, 4 août 2021, Rapport d’observations définitives, Cne de St-André.

[13Fiche technique : Quelles règles appliquer pour les marchés publics répondant à un besoin dont la valeur est inférieure à 40 000 euros HT ?, 2020.

[14CRC d’Île-de-France, 26 novembre 2020, Rapport d’observations définitives, Institut Le Val Mandé.

[15CRC Provence-Alpes-Côte d’Azur, 8 mars 2022, Rapport d’observations définitives, Cté de Cnes de Rhône Crussol ; voir aussi Réponse ministérielle à la question n° 19417, JO Sénat 4 février 2021.

[16Il a été relevé par le décret n° 2019-1344 du 12 décembre 2018.

[17Décret n° 2022-1683 du 28 décembre 2022.

[18Voir à cet égard cet article sur les marchés innovants.

"Ce que vous allez lire ici". La présentation de cet article et seulement celle-ci a été générée automatiquement par l'intelligence artificielle du Village de la Justice. Elle n'engage pas l'auteur et n'a vocation qu'à présenter les grandes lignes de l'article pour une meilleure appréhension de l'article par les lecteurs. Elle ne dispense pas d'une lecture complète.

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  • Bonjour, très bon article, mais peut-être est-il important de préciser et d’appuyer sur un point qui fait toute la différence et qui est très mal appréhendé de nos acheteurs.
    Demander "3 devis" et attribuer le marché public au moins cher = procédure adaptée, et dans la grande majorité des cas tel que c’est réalisé chez nos acheteurs = illégalité totale.
    Les acheteurs rétorquent souvent que la trésorerie, des financeurs, voire même des élus, réclament ces "3 devis".
    Mais les acheteurs doivent impérativement comprendre qu’il ne s’agit que de "3 devis" utilisés dans un cadre de sourçage et surtout pas dans un contexte de mise en concurrence.
    Les financeurs et élus veulent apprécier l’estimation du besoin au moment du choix de la procédure de passation et des obligations de publicité, en apprécier la sincérité et la justesse mais au moment de l’étape préparation et non à l’étape passation.
    Les 3" devis" ne pourront en aucun cas faire l’objet d’une mise en concurrence ou d’une pré mise en concurrence entre eux, sauf à prévoir une procédure adaptée légitime.

  • Dernière réponse : 5 mars 2024 à 23:44
    par Christelle Dupoux , Le 16 février 2024 à 19:55

    Une synthèse très claire, précise et très intéressante de la conduite à adopter pour être dans les clous. Merci !

    • par Hervé KOBO , Le 5 mars 2024 à 23:44

      Merci beaucoup Christèle pour votre commentaire et d’avoir transmis cet article autour de vous !
      Au plaisir d’échanger avec vous sur cette question ou sur d’autres !

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