Notion propice aux fantasmes, elle se situe à la pointe avancée de ce qui est nommé « technologie exponentiel ». Cette poussée prend sa source, entre autres, dans le mouvement d’informatisation de la société et de numérisation intégrale du monde. Ce qui caractérise l’exponentiel, « c’est qu’il marginalise, et annihile à terme, le temps humain de la compréhension et de la réflexion, privant les individus et les sociétés de leur droit d’évaluer les phénomènes et de témoigner ou non de leur assentiment, bref, de celui de décider librement du cours de leurs destins » [1]. Elle semble s’ériger depuis peu, « comme une puissance aléthique, une instance vouée à exposer l’alétheia, la vérité dans le sens défini par la philosophie grecque antique entendu comme le dévoilement, la manifestation de la réalité des phénomènes au-delà de leurs apparences » [2]. Ce pouvoir constitue la caractéristique première de ce qui est nommé « intelligence artificielle ou IA ».
A l’aune de la scission traditionnellement opérée [3], il ne fait l’objet d’aucun doute, l’IA est une chose et non une personne [4].
Elle revêt deux aspects :
- soit elle est incarnée dans une enveloppe corporelle, à l’image du robot [5],
- soit elle est désincarnée [6]. Cette seconde forme apparaît moins perceptible que la première dans l’imaginaire collectif.
Quoi qu’il en soit, l’IA est, en elle-même, immatérielle [7].
Techniquement, l’IA été définie de multiples manières et reste de ce fait un domaine dont il n’est pas facile de circonscrire précisément les contours. Juridiquement, on ne peut se réjouir de l’existence de multiples définitions. Notons que, l’intelligence artificielle, en elle-même, a fait l’objet d’études et discussions dans la doctrine française [8].
Les institutions européennes, elles, se sont intéressées à son appréhension et ont proposé une approche juridique de celle-ci [9]. Malheureusement, cette approche a été largement critiquée [10].
Dans ce contexte, il est intéressant de constater que l’Afrique de l’Ouest, et particulièrement le Bénin, n’est pas resté en marge de ces débats. En effet, des dispositions spécifiques ont été adoptées, même si elles ne visent pas nommément « l’intelligence artificielle », s’appliquent en réalité bien à elle [11].
Cependant, lorsqu’on examine l’ensemble de ces propositions, il n’en ressort pas de définition juridique claire et précise de l’IA. Ainsi, malgré les efforts entrepris tant en Europe qu’en Afrique de l’Ouest (Bénin), il reste encore un défi à relever pour parvenir à une définition juridique universellement acceptée de l’intelligence artificielle ; et comme, il faut une définition cohérente qui permet, à la fois, à tous les acteurs voulant y avoir recours de posséder les mêmes garanties sur le plan juridique [12] et une qualification appropriée de l’IA, nous nous proposons de contribuer à l’instauration d’une définition juridique de l’IA, d’une part. D’autre part, proposer, malgré les quelques définitions techniques existantes, une définition technique sui generis de l’IA, en tout cas, pour le moins digeste, et saisissable à laquelle les « mordus de l’IA », et pas que, pourront aussi se référer pour conduire leurs réflexions quelles qu’elles soient.
Le terme « intelligence artificielle ou IA ».
Il est bon de garder à l’esprit que, la dénomination « IA » est discutable car, comme relevé précédemment, « elle représente des architectures dénuées de corps, elle ne représente que des machines de calcul dont la fonction se cantonne au seul traitement de flux informationnels et aussi parce qu’il n’existe pas d’intelligence qui vive isolée, enfermée dans ses propres logiques ».
Est-ce donc un abus de langage que d’user du terme « intelligence artificielle » ? En tout cas, l’Union européenne semble répondre par l’affirmative. Elle lui préfère l’expression « systèmes d’intelligence artificielle » [13].
Il convient de rappeler à propos qu’il s’agit d’une science en pleine évolution [14] constamment sujette à l’innovation. Il n’existe donc pas « une intelligence artificielle » mais bien « des » systèmes basés sur les techniques dites de l’intelligence artificielle. D’où l’expression utilisée par l’Union Européenne. N’empêche que, pour des raisons de commodités, nous utiliserons le terme « IA » qui doit néanmoins être entendu comme « SIA ou systèmes d’intelligence artificielle ».
Les niveaux de l’intelligence artificielle.
Dans l’état actuel, il est possible de repérer deux niveaux de l’intelligence artificielle (IA).
Le premier est dénommé « IA faible » et renvoie à un simple programme qui exécute ce qu’on lui a appris à faire dans un domaine limité.
Le second niveau dit « IA forte » caractérise une situation où « la machine serait consciente d’être dotée de sentiments qui surpasserait l’intelligence humaine » [15].
L’IA forte relève, pour l’instant, de la science-fiction. L’IA faible est l’intelligence artificielle la plus répandue aujourd’hui. Non seulement, mais aussi en tenant compte de ses capacités raisonnablement prévisibles, c’est sur ce niveau d’intelligence artificielle que nous nous focaliserons.
Proposition de définition juridique de l’intelligence artificielle.
Il est essentiel de souligner que la nature complexe et en constante évolution de l’intelligence artificielle rend difficile une définition juridique précise et immuable. N’empêche, une proposition sera faite, et n’est autre que celle formulée par Monsieur Alexandre Vial. Ce dernier propose de définir l’IA, juridiquement, de la manière suivante : l’IA un système logiciel fonctionnant sur la base d’algorithmes [16] qui repose sur la collecte et l’utilisation de données, « et capable d’apprentissage de manière partiellement ou totalement autonome » [17]. Non seulement mais aussi « de prendre une décision de manière partiellement ou totalement autonome, à partir de son apprentissage et du traitement de données » [18].
Cette proposition, en ce qui nous concerne, a pour but de fournir un cadre général pour comprendre l’IA du point de vue juridique, et n’est pas exempte d’ajustements.
Définition technique de l’intelligence artificielle.
L’IA, outre le fait de renvoyer à une discipline scientifique, désigne un système [19] logiciel [20] regorgeant un corpus de données ou d’informations structurées ou non structurées collectées par l’humain, et capable de les analyser, interpréter, en extraire les plus essentielles, les traiter puis soumettre la/les meilleures actions à prendre, à l’image du cerveau humain. Est ainsi définie, techniquement, l’IA. Cette définition doit être appréhendée comme revêtant les deux critères représentatifs de la définition technique de l’IA, à savoir : l’agent logiciel [21] intelligent (qui renvoie au système logiciel ainsi que ses aptitudes), et les bases de données [22] (appelées ici corpus de données ou d’informations) qui forment une véritable mémoire du système [23] et sans lesquelles un système d’intelligence artificielle perd fortement en capacité comme le relève Alexandre Vial [24]. Elles désignent « un recueil d’œuvres, de données ou d’autres éléments indépendants, disposés de manière systématique ou méthodique et individuellement accessibles par des moyens électroniques ou d’une autre manière » [25].
L’IA dont il est ici question englobe actuellement plusieurs sous-domaines qui permettent aussi, techniquement, de l’imaginer plus facilement.
Nous n’aborderons ici que deux.
Ce sont :
- Le traitement des images. Il s’agit pour le système ou logiciel de reconnaitre ce qu’il « voit » en utilisant des informations à partir d’images. Si par exemple, le système a été entrainé à reconnaitre les caractéristiques physiques d’un chien et que nous lui présentons un chien, il saura intégrer toutes les images de chiens dans une même catégorie [26].
- Le traitement du langage naturel : Dans ce cadre, le système ou logiciel permet à l’ordinateur, quand il y est intégré, de comprendre, interpréter, et manipuler le langage humain. Le système peut comprendre quand nous lui parlons ou quand nous lui écrivons et peut répondre de manière utile et raisonnée grâce à l’analyse des données auxquelles il a accès. [27] C’est le cas des nombreux chatbots utilisés sur les plateformes numériques.
In fine, actons fermement qu’il existe une très grande variété d’algorithmes, de modèles et de techniques, d’apprentissage automatique, de bases de données [28]. Il est donc important de prendre en compte l’ensemble de ces éléments techniques lorsqu’il est envisagé de s’atteler à définir « l’intelligence artificielle », non plus en tant qu’un ensemble de méthodes et de techniques, mais bien du point de vue juridique.
Discussions en cours :
Excellente définition !
Tentative intéressante mais, comment dire ? peut-on définir ce qui n’existe pas ?
l’IA est un concept marketing vide de sens sous un angle scientifique.
On ne comprend pas le fonctionnement de l’intelligence humaine ! alors comment parler d’intelligence artificielle ?
il s’agit d’un ensemble d’algorithmes spécialisés :
L’apprentissage repose sur l’extraction, à partir d’un jeu de données, tel que de nombreuses décisions de jurisprudence, de règles déterminés selon leur degré d’occurrence. Si une règle se vérifie un grand nombre de fois, alors il existe une probabilité pour qu’elle soit vraie.
Ainsi, c’est la vérité que recherchent ces algorithmes. Vérité du mot, de l’expression, du mouvement etc... vérité à partir de laquelle on prend des décisions : s’arrêter, tourner à droite, qualifier une image, décider un parcours d’études supérieures ...
Cela reste une approche probabiliste.
Comme la non vérité apparente n’est pas majoritaire en nombre, sa survenue probable est faible, mais elle arrivera et souvent de façon catastrophique. on cite l’exemple de cette élève qui a 18.20 de moyenne, spécialisée en mathématiques, mention très bien au bac, mais qui se voit refuser sa demande d’études supérieures sans aucune explication
Ces outils poseront inévitablement une difficulté majeure dans la mise en œuvre des dispositions des articles L311-3-1 du code des relations entre le public et l’administration :
Article L311-3-1
Création LOI n°2016-1321 du 7 octobre 2016 - art. 4
Sous réserve de l’application du 2° de l’article L. 311-5, une décision individuelle prise sur le fondement d’un traitement algorithmique comporte une mention explicite en informant l’intéressé. Les règles définissant ce traitement ainsi que les principales caractéristiques de sa mise en œuvre sont communiquées par l’administration à l’intéressé s’il en fait la demande.
(légifrance)
et :
Article R311-3-1-2
Création Décret n°2017-330 du 14 mars 2017 - art. 1
L’administration communique à la personne faisant l’objet d’une décision individuelle prise sur le fondement d’un traitement algorithmique, à la demande de celle-ci, sous une forme intelligible et sous réserve de ne pas porter atteinte à des secrets protégés par la loi, les informations suivantes :
1° Le degré et le mode de contribution du traitement algorithmique à la prise de décision ;
2° Les données traitées et leurs sources ;
3° Les paramètres de traitement et, le cas échéant, leur pondération, appliqués à la situation de l’intéressé ;
4° Les opérations effectuées par le traitement.
Comment l’administration va-t-elle répondre à d’éventuelles questions légitimes ?