Procès de Monique Olivier : la Vérité et la vérité judiciaire sont-elles compatibles ?

Par Martine Bouccara, Avocate.

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Ce que vous allez lire ici :

Le procès de Monique Olivier soulève la question de la compatibilité entre la vérité et la vérité judiciaire. Bien que la recherche de la vérité soit essentielle dans la procédure pénale, il reste souvent des zones d'ombre. La vérité dépend de la bonne volonté de l'accusé(e).
Description rédigée par l'IA du Village

On apprend encore et toujours – à raison – aux étudiants en Droit et aux jeunes Avocats français, que le but de la Justice pénale est la recherche de la manifestation de la Vérité.
Mais aucune définition de la manifestation de la vérité ne figure nulle part.
Seuls les moyens pour y parvenir sont listés, et leurs modalités organisées par la Loi : perquisitions, saisies, transports sur les lieux, prélèvements biologiques, etc.

Rien de surprenant jusque-là ; la vérité prend autant de visages distincts que les affaires pénales sont différentes, il ne faut donc pas la définir, mais il faut y parvenir !

-

Le Président de la Cour d’Assises en application de l’article 310 du Code de Procédure Pénale dispose « en son honneur et sa conscience » (sic) des pouvoirs les plus larges, sans limites en fait, pour parvenir à la manifestation de la vérité.

C’est bien ce qui a été fait dans le procès de Mme Olivier. L’instruction à l’audience a permis, durant trois semaines entières, d’examiner les preuves, d’entendre des experts, le tout dans le cadre d’un débat contradictoire.

Et pourtant, des voix s’expriment après pratiquement tous les procès criminels pour dire que toute la vérité n’a pas été mise à jour.

Y aurait-il une différence entre la vérité judiciaire et La vérité ?
Oui !

Tous les professionnels du Droit la savent.

Pour commencer, s’il fallait connaître toute la vérité pour condamner des accusés, on ne pourrait condamner quasiment personne, ce qui ne serait pas non plus la solution idéale.
Comme je l’ai expliqué dans un de mes précédents articles (Les « zones d’ombre » du procès de Monique Olivier. Par Martine Bouccara, Avocate.), presque tous les procès d’Assises connaissent des zones d’ombre. Cela ne les empêche pas de se tenir d’un bout à l’autre, jusqu’à la construction finale d’une décision judiciaire qui établit une vérité judiciaire indispensable à l’Ordre Public et aux victimes.
Mais pour ces dernières, la vérité judiciaire - si elle est nécessaire - n’est pas toujours suffisante.

On comprend bien les frustrations des parents de victimes qui ne savent toujours pas ou sont les corps de leurs enfants, ni jusqu’au moindre détail comment se sont passées les dernières heures de vie de leurs proches.

Mais la recherche légitime, et ô combien humaine, de cette vérité intégrale et absolue, se heurte à plusieurs facteurs assez fréquents en matière criminelle :

  • L’absence de personnes impliquées dans le box en est un des principaux :
    Michel Fourniret a emporté ses secrets dans la tombe, et a laissé le champ libre à Madame Olivier pour dire maintenant ce qu’elle voulait sans pouvoir être démentie à l’audience par son ex-mari. Ce qui ne signifie pas nécessairement qu’elle ment, je le précise.
  • La culture des “cold cases” a traversé l’atlantique, mais pas la procédure pénale américaine.
  • En France, nous vivons dans un système de type inquisitoire. C’est ainsi.

La procédure pénale américaine, qui elle est de type accusatoire, permet aux Avocats d’interroger aussi longtemps qu’ils le veulent un ou une accusée sans intervention du juge (ou de façon très exceptionnelle).
Mais, rappelons-le, dans le système américain, les familles des victimes n’auraient pas pu se constituer parties civiles ni être représentées à l’audience criminelle par des avocats comme le permet le système judiciaire français.

Il faut admettre qu’aucun des deux systèmes n’est parfait. Rien n’est jamais parfait.

Mon point de vue est que c’est de la personnalité du ou des accusés dont dépend in fine la manifestation de LA vérité, au-delà de la vérité judiciaire qui peut s’établir avec ou sans leur entière collaboration.

Et selon moi, Madame Monique Olivier est une personne velléitaire :

  • Elle aurait voulu, dû, libérer Estelle, mais elle ne l’a pas fait et elle ne sait pas pourquoi…
  • Elle voudrait dire où se trouvent les lieux toujours inconnus où se trouvent les corps des victimes mais, elle ne sait pas (vrai ou faux ? car elle se souvient de détails très précis qui remontent à la même période que ses difficultés mnésiques. On parlera de mémoire sélective ?)

Avoir des intentions fugitives ne suffit pas, encore faut-il prendre des décisions, et elles n’ont, hélas, pas été prises au moment où elles auraient été si utiles.

Je ne pense pas que d’interroger davantage, ou d’une manière différente cette accusée, aurait changé la donne de ce procès.

Elle a avoué tous les faits qui lui étaient reprochés, il ne faudrait pas l’oublier, car c’est un pas de sa part vers la vérité que tous ne franchissent pas.

Mais le principe de l’aveu ne guérira pas les victimes qui souhaitent que lesdits aveux soient circonstanciés.

C’est difficile à entendre mais, la vérité dépend toujours de la bonne volonté de celui qui seul la détient, parce qu’il ou elle y était !

On compte sur l’empathie des accusés vis-à-vis des victimes, car notre système pénal français est aussi basé sur l’idée d’une nouvelle chance de faire partie à nouveau du groupe social dans son ensemble, ce qui n’exclut pas la répression.

Parfois le miracle judiciaire se produit, et au-delà de la décision qui consacre une vérité judiciaire, deux parties se rapprochent, et j’ai même vu une fois, une seule, un accusé et la famille d’une victime se tomber dans les bras les uns des autres, car tous étaient dans la douleur.

Mais comme chacun sait, les miracles sont exceptionnels, c’est même à cela qu’on les reconnaît.

Martine Bouccara,
Avocate pénaliste française Honoraire,
Avocate au Barreau de New-York,
Diplômée de Criminologie de l’Université de New-York CUNY.

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Discussion en cours :

  • par CARTAULT , Le 3 août à 11:47

    Qu’est ce que la Justice ? Un idéal inaccessible constitué du passé, définitivement passé, que l’on ne peut plus atteindre ? Selon le domaine de science étudiant de substantif il est indispensable d’associer un adjectif qualificatif précis et défini. Traitée par les parties, les avocats, les experts, les magistrats ou les juges, la vérité à rechercher passe par leur prisme de visualisation, leurs capacités cognitives, leurs formations mais aussi leur éducation, culture, "philosophie".

    La vérité, même dite "judiciaire", n’est jamais définitive, soumise aux voies de recours voire très exceptionnellement à la révision.

    Comme le rappelait Maître Henri LECLERC, lors des procès d’assises, à l’endroit des experts de justice mais s’appliquant à toute la chaine de la justice, c’est avant tout la "réalité la plus probable" qu’il convienne de reconstruire.

    Quels que soient les acteurs concernés, imposée au juge, la notion de motivation doit, impérativement et de façon exhaustive, être constituée d’argumentations, contrôlables et vérifiables, référencées aux règles institutionnelles les régissant puis soumises au principe de la réfutation possible. L’absence de "parti pris" souvent invoqué en justice se manifeste déjà en reprenant la citation de Gaston BACHELARD (« La pensée scientifique moderne réclame qu’on résiste à la première réflexion. ./.. Il faut penser contre le cerveau » dans son oeuvre la formation de l’esprit scientifique) malheureusement pas toujours d’application.

    Aux avocats de faire imposer cette stricte application du principe d’égalité des armes, notamment aux enquêteurs et aux experts, que chaque fait soit strictement argumenté et référencé. La "chronophagie" à supporter se rééquilibrera lors des débats aux procès évitant aussi des procédures d’appel ou de pourvoi en cassation.

    Ce travail collectif est intellectuellement contraignant, épuisant et surtout chronophage avec l’inévitable critère associé de coût induit qui reste un facteur limitatif d’approche d’une "impossible vérité".

    En attendant, une possible évolution, c’est avant tout par l’usage d’un vocabulaire catégorique transposé en accessibilité à tous, en conservant sa justesse institutionnelle et par une obligation, pas tant de motivation qui reste artificielle, que d’argumentation contrôlable et vérifiable, strictement référencée aux règles applicables, que ce delta entre la vérité "judiciaire" et celle supposable pourra devenir supportable par les victimes. Pour cela il est à citer Michel SERRES dans "le contrats naturel" "Plus encore qu’une langue commune, le débat exige que les interlocuteurs usent des mêmes mots dans un sens au moins voisin, au mieux identique. Dit ou non-dit, intervient un contrat préalable sur un code commun."

    Merci

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