1. Actualités juridiques récentes dans le domaine de l’énergie au sein de l’UE : l’accord de solidarité énergétique avec l’Ukraine et la Moldavie.
Fin octobre 2024, la Roumanie a adopté sa première stratégie énergétique depuis dix-sept ans (2024-2035), faisant du stockage de l’énergie une priorité et envisageant « une transition progressive des centrales électriques au charbon vers le gaz naturel, plus propre, à court terme, et vers l’énergie nucléaire à moyen et à long terme » (EURACTIV Roumanie, 22/11/2024) [1].
Le 29 octobre 2024, l’ENTSO-E, l’European Network of Transmission System Operators for Electricity, a décidé d’augmenter l’exportation d’électricité vers l’Ukraine et la Moldavie, anticipant un large déficit pour ces pays durant l’hiver 2024-2025 [2]. Comme le titre le Figaro le 19 septembre 2024, « Énergie : l’Europe va aider l’Ukraine à maintenir la lumière allumée cet hiver », mais sans prendre la peine d’expliquer que, pour ce faire, l’Europe va éteindre le chauffage et couper l’eau chaude à des dizaines de milliers de Roumains, car c’est la Roumanie qui fournit une très grande partie de l’énergie à l’Ukraine et à la Moldavie, au détriment de sa propre population. En outre, pour soutenir la sécurité énergétique de la Moldavie, trois lignes de haute tension seront construites entre la Moldavie et la Roumanie en 2025, 2027 et 2031, ce qui laisse craindre le pire pour la population roumaine déjà si éprouvée par le manque de chauffage et d’eau chaude depuis deux ans [3].
Début avril 2024 la Moldavie, plongée dans une grave crise énergétique depuis la guerre en Ukraine, avait raccordé son électricité à la Roumanie (RFI 10/04/2024) [4], alors que les Roumains souffraient déjà cruellement à cause de l’absence du chauffage et de l’eau chaude dans leurs logements depuis deux ans. Bizarrement, la presse internationale ne parle pas de la détresse énergétique et sanitaire des habitants des villes roumaines, qui sont pourtant des citoyens européens et ont des droits qui devraient être respectés. Pourquoi les Roumains doivent-ils tomber malades à cause du froid dans leurs logements et du manque d’hygiène adéquate produit par l’absence d’eau chaude alors que le droit des citoyens européens interdit les discriminations fondées sur la nationalité [5] ?
L’énergie de la Roumanie est exportée vers l’Ukraine et la Moldavie et les autorités roumaines semblent prêtes à sacrifier leur propre population, selon ce qui est rapporté dans la presse spécialisée :
a) « Sur le marché de gros local de l’électricité, le premier contrat de commerce bilatéral à terme pour l’exportation d’électricité de la Roumanie vers l’Ukraine depuis près de deux ans a été officiellement signalé, à un moment où le pays voisin, qui a perdu pas moins de 9 000 MW de centrales électriques installées cette année en raison des attaques de la Fédération de Russie, est contraint d’importer de plus en plus d’Europe à des niveaux sans précédent » (Profit.ro, 18 juillet 2024) [6].
b) « Les gestionnaires de réseaux de transport (GRT) d’Europe continentale ont accepté d’augmenter la limite de capacité d’exportation d’électricité de près de 25% vers la République de Moldavie et l’Ukraine pour les mois d’hiver. Cette augmentation significative de la capacité d’exportation d’électricité est un autre signe du soutien fort et de la solidarité de la communauté des GRT européens avec les peuples d’Ukraine et de Moldavie ». Les deux pays ont interconnecté leurs systèmes énergétiques avec le système européen peu après le début de l’invasion russe de l’Ukraine en février 2022 » (Europa Libera Moldova, 29 octobre 2024) [7].
c) « Dernières nouvelles : l’Ukraine et la Moldavie obtiennent une augmentation hivernale de la capacité d’importation d’énergie des voisins de l’UE, y compris la Roumanie. Zelenski est intervenu personnellement » (Profit.ro, 29 octobre 2024) [8].
d) « La Roumanie et la Hongrie ont fourni près de 60% des importations d’électricité de l’Ukraine en juin, qui a doublé ses volumes importés pour atteindre un niveau record ce mois-ci, suite aux bombardements russes qui ont affecté le système national. C’est probablement l’une des principales raisons, avec la canicule qui s’est installée et la sécheresse qui a affecté la production hydroélectrique, pour lesquelles les marchés spot de Bucarest, Budapest et des Balkans ont été les plus chers d’Europe, les prix de la région étant pratiquement déconnectés de ceux de l’ouest du continent, d’après l’analyse de Profit.ro. » « Graphiques : L’Ukraine a importé une quantité record d’électricité, la plus élevée depuis 10 ans. La Roumanie et la Hongrie ont couvert 60% des importations de Kiev. Quelles sont les conséquences maintenant » (Profit.ro, 11 juillet 2024) [9].
Ainsi, « l’Europe de l’électricité sous le signe de la solidarité » signifie pour l’instant des conditions de vie indécentes et des prix exorbitants pour les citoyens roumains.
2. L’exemple du 2ᵉ arrondissement de Bucarest.
Les habitants du 2e arrondissement de Bucarest n’ont ni chauffage ni eau chaude depuis plus d’un mois. Ils habitent dans des immeubles raccordés au système centralisé de distribution de chauffage et d’eau chaude. Ces immeubles sont majoritaires à Bucarest, hérités de l’époque communiste, ressemblant aux barres d’HLM ; peu de personnes peuvent se permettre aujourd’hui d’avoir une chaudière individuelle ou une centrale d’appartement, qui restent chers sur le marché roumain. Cet été le 2e arrondissement de Bucarest est resté sans eau chaude pendant deux mois. En 2023 les coupures prolongées de chauffage et d’eau chaude qui avaient débuté en octobre avaient duré tout l’hiver. Les autorités sont au courant, pourtant rien n’est fait pour éviter les conditions de logement indécentes et la mise en danger de la santé et de la vie des contribuables. La mairie du 2e arrondissement décline toute responsabilité, alors que le Code administratif de 2019 place la fourniture des utilités publiques comme l’eau chaude et le chauffage parmi les attributions des mairies d’arrondissement. La mairie de Bucarest donne comme prétexte des pannes et des défaillances soi-disant dues à l’ancienneté du réseau de distribution d’eau qui ferait que les tuyaux se cassent et doivent être remplacées (mais de l’eau glacée continue à couler dans les tuyaux de d’eau chaude et les habitants doivent la payer depuis deux ans au prix de l’eau froide). La compagnie municipale de distribution d’énergie modifie les dates de mise en fonction à chaque fois que le délai indiqué précédemment s’est écoulé, comme s’ils jouaient au chat et à la souris : le nouveau délai de « mise en fonction » de la distribution du chauffage et de l’eau chaude est aujourd’hui février 2025 ! Les habitants du 2e arrondissement se sentent discriminés par rapport aux habitants d’autres quartiers qui disposent de chauffage et d’eau chaude. Ils pensent que la vraie raison est politique : obligée par l’UE, la Roumanie a signé l’accord de distribution d’énergie vers l’Ukraine et la Moldavie, et la quantité d’énergie que les Roumains doivent envoyer vient d’être fortement augmentée dans un nouvel accord signé à la fin du mois d’octobre, selon les articles de la presse de spécialité roumaine. Qui plus est, lorsque les habitants du 2e arrondissement ont essayé de trouver un avocat pour agir en justice contre la compagnie municipale de distribution d’énergie, aucun cabinet d’avocats n’a accepté l’affaire car c’est trop politique. C’est une situation dramatique pour des milliers de familles, pour des personnes malades, des personnes âgées, des personnes handicapées, des enfants. Faire installer une chaudière ou une centrale thermique d’appartement reste très cher pour la majorité des Roumains : le prix d’achat et de montage peut aller de 500 euros (pour des produits de piètre qualité) jusqu’à plus de 4 000 euros. En outre, les petits appartements n’ont pas assez de place pour permettre l’emplacement d’une chaudière dans la salle de bains, ayant été construits avant 1989 et n’ayant pas été prévus pour fonctionner avec une chaudière individuelle/un cumulus individuel.
3. Le droit au logement décent.
3.1. Cadre français et international.
Le droit à un logement décent, c’est-à-dire à un logement avec eau chaude et chauffage, est protégé par la loi dans de nombreux États membres de l’UE, dont la France - « Lutte contre l’habitat indigne : règles sanitaires d’hygiène et de salubrité » [10] -, mais aussi des États européens comme la Grande-Bretagne [11].
Le Parlement européen a recommandé en 2021 que le droit à un logement décent devienne un droit fondamental européen [12]. La Confédération européenne des syndicats (CES) a adopté le 15 octobre 2024 une résolution sur le droit à un logement adéquat, décent et abordable [13].
Le réseau interdisciplinaire d’associations, de juristes et d’universitaires Housing Rights Watch a lancé en juin 2024 un appel adressé à l’UE et à ses États membres leur demandant de respecter et promouvoir le droit à un logement convenable en Europe [14].
Le rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à un logement convenable souligne les éléments obligatoires et nécessaires qui font partie de la définition d’un logement décent, parmi lesquels l’existence d’eau chaude et de chauffage [15].
L’eau chaude est indispensable à l’hygiène des enfants ; l’UNICEF, le Fonds des Nations Unies pour l’enfance, montre l’importance de l’hygiène dans la défense des droits des enfants et la protection de leur vie et de leur avenir :
« Une bonne hygiène est essentielle pour prévenir la propagation des maladies infectieuses et permettre aux enfants de vivre longtemps et en bonne santé. Cela signifie également qu’ils ne manquent pas l’école, ce qui se traduit par de meilleurs résultats scolaires. Pour les familles, une bonne hygiène est synonyme d’absence de maladie et donc de réduction des coûts de santé. Dans certains contextes, l’hygiène contribue également à assurer le statut social d’une famille et à maintenir la confiance en soi des individus » [16].
3.2. La problématique en droit roumain.
3.2.1. L’absence d’un terme pour nommer la protection : « logement décent ».
Le terme-concept juridique « logement décent » n’existe pas dans le droit roumain. Le terme « decent » est en roumain un emprunt au français, synonyme des adjectifs « poli », « respectueux », « pudique », « honorable », et ne fait référence qu’à la bienséance, étant retrouvé dans des expressions comme « langage décent », « comportement décent ». Le roumain moderne, forgé avec des mots français à partir du XIXe siècle lorsque l’État roumain moderne a été créé sous le signe de la France, n’a pas emprunté le syntagme juridique français « logement décent », sans doute trop récent.
Il ne serait pourtant pas inenvisageable qu’un terme-concept formé sur le modèle du français « logement décent » entre dans le droit et le langage juridique roumains, étant donné le terme récent « pantouflage », orthographié et prononcé à la française, que le roumain juridique a emprunté au français en 2012 :
« En roumain le nom masculin « pantouflage » est entré directement dans le langage juridique législatif grâce à une décision du gouvernement relative à la stratégie nationale de lutte contre la corruption datant du 20 mars 2012, renforcée par une autre décision du gouvernement portant sur la même stratégie de lutte contre la corruption, entrée en vigueur le 23 août 2016. A noter que, dans la définition donnée dans le document d’information émis par le Ministère roumain de la Justice, le pantouflage apparaît comme une procédure connotée positivement et qui « vise la règlementation de certaines interdictions concernant la migration du personnel du secteur public vers le secteur privé », le but du pantouflage roumain étant « la nécessité de maintenir la confiance du public, tout particulièrement pendant les périodes de changement, qui apparaissent lors de la migration des fonctionnaires publics vers le secteur privé » (Ministerul Justiţiei, 2020) » (Veleanu 2024) [17].
En 2002 la France adoptait le décret n°2002-120 du 30 janvier 2002 relatif aux caractéristiques du logement décent pris pour l’application de l’article 187 de la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains, afin d’assurer la sécurité physique et la santé des locataires. La Roumanie n’a pas encore franchi le pas et devrait peut-être commencer à y réfléchir. Il serait souhaitable que les juristes roumains ainsi que la société civile se penchent d’urgence sur cette question primordiale pour la santé et la sécurité des Roumains et préparent une loi portant sur le logement décent qui protégerait la population en détresse énergétique, quelle qu’en soit la cause. Suivre la voie française à partir du Décret n°2002-120 du 30 janvier 2002 serait peut-être la solution la plus rapide, vu l’urgence de la situation dramatique dans laquelle se trouvent des dizaines de milliers d’habitants urbains actuellement, qui se préparent à passer encore un hiver sans chauffage et sans eau chaude.
Dans la Stratégie Nationale du logement du 29 juin 2022 pour la période 2022-2050 [18] le gouvernement roumain précise que des mesures seront adoptées pour améliorer la qualité des conditions de logement pour les catégories ayant de revenus réduits et vulnérables. Pourtant, l’absence d’eau chaude et de chauffage pendant l’hiver n’a pas été combattue depuis 2022 par les autorités roumaines et de nombreuses personnes et familles aux revenus modestes et vulnérables souffrent en hiver dans des conditions de vie indécentes depuis deux ans dans les villes roumaines comme Bucarest, capitale du pays [19] et Timisoara, élue Capitale culturelle européenne en 2023 [20].
Le texte de la Stratégie Nationale du logement du 29 juin 2022 pour la période 2022-2050 emploie l’adjectif « decent » dans les expressions « obținerea unui loc de muncă decent », « l’obtention d’un emploi décent », « un trai decent », « des conditions de vie décentes », sans qu’il soit proprement défini.
Néanmoins, cela peut présager d’une éventuelle implantation du néologisme sémantique et juridique sous des formes telles « condiţii de locuire decentă », « conditions de logement décentes », « locuinţă decentă », « logement décent » dans le discours juridique roumain. D’autant plus que les syntagmes « locuinţă decentă », « logement décent », et « locuirea sigura și decentă », « le fait d’être logé dans des conditions sûres et décentes », sont déjà utilisés par la société civile, comme, par exemple, dans l’expression « nevoia de locuințe decente din România », « le besoin de logements décents en Roumanie », utilisé par l’ONG Habitat for Humanity Roumanie et la Fondation BricoDépôt [21] et la phrase « Locuirea sigura și decentă... Un îndepărtat deziderat pentru mulți români... », « habiter dans des conditions sûres et décentes… un lointain désideratum pour beaucoup de Roumains » employé sur la page Facebook de la Fondation Parada [22]. En 2017 la Ligue des associations de propriétaires d’habitat roumains avait proposé sans succès, que le droit à un logement décent soit inscrit dans la Constitution roumaine [23].
3.2.2. Des textes et des défaillances.
A ce jour, la Roumanie est signataire de la Charte sociale européenne révisée (STE n° 163), adoptée en 1996 et qui compte parmi les nouveaux droits qui y sont énumérés le droit au logement et le droit à la protection contre la pauvreté et l’exclusion sociale ; ses amendements portent sur le renforcement du principe de non-discrimination, une meilleure protection de la maternité et protection sociale des mères, une meilleure protection sociale, juridique et économique des enfants au travail et en dehors du travail et une meilleure protection des personnes handicapées [24]. Par le fait de ne pas assurer l’eau chaude et le chauffage en hiver dans les immeubles urbains raccordés au système de distribution de l’énergie centralisé, l’État roumain ne respecte pas le Charte sociale européenne révisée de 1996.
La Constitution roumaine (Art. 1 alin (3) și Art. 47, alin (1)) consacre l’obligation de la Roumanie en tant qu’état social de prendre des mesures de développement économique et de protection sociale de nature à assurer aux citoyens un niveau de vie décent. Ne pas fournir de l’eau chaude et du chauffage dans les immeubles raccordés au système centralisé de distribution de l’énergie est un manque à l’obligation de l’État envers ses citoyens.
Le Code administratif du 03.07.2019 (Art.129 (7) lettres d), n)) exprime clairement l’obligation des mairies d’arrondissement de prendre les mesures nécessaires pour s’assurer que les habitants de l’arrondissement ont accès aux services publics, y compris le chauffage et l’eau chaude [25]. Les mairies d’arrondissement qui ignorent les plaintes et la détresse des habitants ne respectent pas la loi, tout en faisant preuve d’un manque d’empathie flagrant.
La loi n° 51/2006 sur les services d’utilité publique communautaires définit clairement, au Chap. I Dispositions générales Art. 1 alinéa 2, les services communautaires publics d’intérêt local et les énumère aux lettres a) et d) : « (2) Au sens de la présente loi, les services communautaires des services publics, ci-après dénommés services publics, sont définis comme l’ensemble des activités réglementées par la présente loi et par des lois spéciales, qui assurent la satisfaction des besoins essentiels d’utilité et d’intérêt public général à caractère social des communautés locales, en ce qui concerne : a) l’approvisionnement en eau ; [...] d) l’approvisionnement en chauffage centralisé » [26]. Les mairies d’arrondissement à Bucarest qui n’assurent pas l’eau chaude et le chauffage dans les immeubles raccordés au système centralisé se retrouvent ainsi hors la loi.
La loi dite du « logement » no.114/1996 [27] ne fait aucune référence aux caractéristiques obligatoires d’une logement décent.
La loi no.116 du 15 mars 2002 portant sur la prévention et la lutte contre la marginalisation sociale [28] ne mentionne non plus les notions de « logement décent », « logement salubre », mais exprime à son art. 25 l’obligation des conseils locaux-autorités administratives qui gèrent les arrondissements de la ville de Bucarest-, d’assurer, pour les personnes et les familles marginalisées, les services publics de première nécessité : eau, énergie électrique, gaz naturel, chauffage centralisé. Les droits des personnes et familles marginalisées des milliers d’immeubles bucarestois restées pendant des mois sans chauffage ni eau chaude ne sont pas respectés par les conseils locaux.
La loi no. 448/2006 pour la protection et la promotion des droits des personnes avec handicap (Loi 448/2006) [29] prévoit que les personnes handicapées ont droit au logement sans préciser les caractéristiques obligatoires de ce logement ni l’accès au chauffage et à l’eau chaude.
La loi no.272/2004 portant sur la protection et la promotion des droits de l’enfant [30] mentionne que « les nécessités essentielles de repos, préparation des repas, éducation et hygiène » doivent être assurées dans les appartements et des maisons de type familial qui sont des services de type résidentiel où les enfants séparés de leurs parents par la loi, temporairement ou définitivement, sont protégés, élevés et soignés.
3.3. A la recherche d’une solution.
A la lumière de cette présentation des faits et du contexte juridique, politique et linguistique, il devient évident qu’il s’agit d’un problème à plusieurs caractéristiques -politique/droit de l’UE, juridique/violation des droits, jurilinguistique/judiciarisation et administratif- qui peut être résolu politiquement et administrativement.
3.3.1. L’aspect politique/droit de l’UE.
La renégociation urgente, sans attendre le mois de mars 2025, de l’accord sur les exportations d’énergie vers l’Ukraine et la Moldavie est l’étape politique indispensable pour limiter ou annuler les quantités d’énergie données à l’Ukraine et à la Moldavie au détriment de la population roumaine. La situation dramatique dans laquelle se trouvent aujourd’hui des dizaines de milliers de Roumains, dont de nombreux enfants, malades, personnes âgées, personnes handicapées, qui n’ont pas accès à l’eau chaude et au chauffage cet hiver, ne peut plus durer sans une violation flagrante des droits de l’homme et des droits des citoyens européens. Un courrier d’appel à l’aide a été transmis aux députés européens et français afin d’attirer leur attention sur le besoin urgent d’assurer les besoins énergétiques des citoyens de la Roumanie, état membre de l’UE depuis 2007.
3.3.2. L’aspect juridique/violation des droits.
Cette situation viole le droit à un logement décent ainsi que les droits inscrits dans la Constitution roumaine - le droit à la protection de la santé, le droit à la vie et à l’intégrité physique et mentale, le droit à la protection des enfants et des jeunes, le droit à la protection des personnes handicapées, le droit à un niveau de vie décent - l’État est tenu de prendre des mesures de développement économique et de protection sociale, afin d’assurer un niveau de vie décent à ses citoyens. L’absence continue de chauffage et d’eau chaude dans les appartements pendant de très longues périodes a d’autres conséquences, entraînant la détérioration des appartements et des immeubles et la paupérisation des quartiers, ce qui provoque des problèmes de santé pour les habitants ainsi que d’autres dangers. L’inaction des autorités équivaut à une non-assistance aux personnes en danger et à une mise en danger d’autrui. L’État roumain ne peut plus continuer à mettre en péril la vie, la santé et la sécurité de ses citoyens, car il est de son devoir de protéger sa population.
Si l’État n’est pas en mesure d’assurer des conditions de vie sûres et décentes à ses citoyens, l’évolution du droit international propose aujourd’hui d’étendre le concept de « responsabilité de protéger » (R2P) traditionnellement associé aux situations de conflit armé, à des situations qui n’impliquent pas de conflit militaire mais qui peuvent être définies comme mettant en danger la vie et la sécurité des citoyens, comme par exemple l’accès à l’eau (« R2P and H2O Generating Water Security Through the Principle of Responsibility to Protect », Karin Myrdal, Uppsala University, September 2022), et nous pouvons supposer l’accès à l’eau chaude et au chauffage. Bien entendu, l’application de ce concept implique l’intervention de la communauté internationale pour assurer la sécurité des citoyens, ce qui représenterait une situation extrême et indésirable en Roumanie, un État membre de l’UE. L’Union européenne ne peut accepter de mettre en danger les citoyens d’un État membre et de favoriser d’autres États tiers au détriment d’un État membre. Les principes européens - respect de la dignité humaine, liberté, démocratie et égalité, État de droit, respect des droits de l’homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités - ne doivent pas être violés par des accords qui mettent en péril la population d’un État membre de l’UE.
3.3.3. L’aspect administratif.
En attendant la limitation ou l’annulation de l’exportation d’énergie qui met en danger la santé et la vie des citoyens roumains, une solution administrative et non-discriminatoire pourrait être la mise en place sous la forme d’un système de rotation pour s’assurer que ce ne sont pas toujours les mêmes immeubles d’appartements qui sont privés d’eau chaude et de chauffage ; par exemple, un système hebdomadaire selon lequel les immeubles qui n’ont pas de chauffage et d’eau chaude pendant la semaine A auront de l’eau chaude et du chauffage pendant la semaine B.
3.3.4. L’aspect jurilinguistique/judiciarisation.
Enfin, la rédaction urgente d’un projet de loi portant sur le « logement décent » et l’introduction dans le discours juridique et dans le droit roumain d’un terme-concept juridique équivalent au terme-concept français « logement décent » constituerait un pas décisif vers la garantie de la protection des personnes qui aujourd’hui vivent dans des immeubles sans chauffage ni eau chaude dans les villes roumaines. La judiciarisation des syntagmes roumains précités « locuinţă decentă », « logement décent », et « locuirea sigură și decentă », « habiter dans des conditions sûres et décentes », déjà employés par la société civile roumaine, marquera, ainsi, un renforcement de la francophonie juridique en Roumanie.
Au niveau de l’Union européenne le besoin urgent se fait sentir d’une harmonisation législative dans le domaine du « logement décent ». Ainsi, le 4 octobre 2023, dans son discours « Decent Housing For All », « Un logement décent pour tous », prononcé au Parlement européen, Nicolas Schmit, commissaire à l’emploi et aux droits sociaux, a souligné le fait que les citoyens européens rencontrent bien des difficultés dans leur recherche d’un logement décent et à un prix abordable, ainsi que les disparités existantes entre les états membres de l’UE : « Nous avons besoin d’une approche politique holistique englobant des considérations économiques, sociales et financières, portant sur la disponibilité, l’accessibilité financière et l’adéquation » [31]. Vu la situation grave des citoyens roumains vivant dans des conditions indécentes et insalubres dans leurs propres appartements à cause de la limitation de la fourniture énergétique depuis deux ans, une démarche législative au niveau européen s’impose sur le thème du « logement décent » afin de garantir aux citoyens de tous les états membres la fourniture constante, ininterrompue du chauffage et de l’eau chaude. Ainsi, le syntagme « logement décent » (EN « decent housing », RO « locuinţă decentă », etc.) devrait devenir un terme juridique en droit européen et faire l’objet d’une règlementation spécifique.