En 1978 a eu lieu le procès d’Aix en Provence dans lequel Gisèle Halimi assistait deux jeunes femmes victimes de viol. Gisèle Halimi écrivait sur le traumatisme des victimes : « Je dis et je répète que l’on n’a pas avancé car le viol, ce crime contre les femmes, saccage » ; elle évoquait « cette dévastation du corps, de l’intégrité, de la sexualité ».
Comment prend-on en considération dans notre procédure judiciaire ces femmes et ces enfants blessés psychiquement, « dévastés » comme le disait Gisèle Halimi ?
Comment notre justice a-t-elle évolué depuis 1978 ?
La procédure en elle-même est faite de répétition du récit des faits qui va activer des reviviscences avec des réponses émotionnelles de stress et une grande souffrance psychique, une sensation de danger imminent, réenclenchant les mêmes terreurs que lors des violences.
On voit à certains procès des victimes qui manifestent leur souffrance, pleurent, tremblent, somatisent, sortent de la salle ne pouvant en supporter plus.
Les procès de violences sexuelles sont, plus que pour d’autres infractions, des affaires contestées jusque dans l’existence même de l’agression. Ce sont des dossiers du déni des faits et de l’intention criminelle de la personne mise en cause. Lorsque l’accusé, qui sait qu’il a violé, prétend qu’il n’a absolument rien fait et que l’acte sexuel dénoncé était consenti, il signifie que la victime affabule.
La parole de la victime est mise en doute. Elle est traitée de menteuse, de femme vénale qui agit pour l’argent ou de folle si elle était déjà vulnérable.
Pour la victime de violences sexuelles, c’est une nouvelle souffrance qui amplifie le traumatisme du crime subi.
Le procès Pelicot en a été l’illustration montrant des avocats crier sur la victime (dont la qualité de victime violée dans son sommeil est incontestable), la questionner inutilement sur sa vie intime pour inverser la culpabilité et la présenter comme une exhibitionniste provocatrice, des accusés dire « la victime c’est moi » à quelques mètres de la femme violée… insensibles à la nouvelle souffrance générée par ces pratiques, dans une justice déshumanisée. Gisèle Pelicot s’en est indignée :« J’ai l’impression que la coupable, c’est moi, et que derrière moi, les 50 sont victimes ».
Il y a des stratégies de la défense, des intrusions dans la vie privée ou sexuelle et des dénigrements qui ne se justifient pas et qui ont pour objectif de détruire.
Déjà, Robert Badinter, ancien avocat et Garde des sceaux, qui a amélioré les droits des victimes dans la procédure pénale, avait déclaré : « La victime doit être traitée en justice avec l’humanité que sa souffrance appelle » (Le Monde, Publié le 08 septembre 2007).
Stratégiquement, ce type de défense agressive est contreproductif pour les personnes mises en cause et elle peut entrainer un supplément de peine qui est souvent la conséquence d’une défense inutilement violente, sans remise en cause de l’agresseur, et surtraumatisante pour la victime.
Pour éviter cette surcouche de traumatismes, encore faut-il que les avocats défendent avec modération et humanité et que les magistrats qui dirigent les débats s’emparent de la question de la victimisation secondaire.
Il ne s’agit pas, bien évidemment, de mettre à mal la présomption d’innocence et les droits de la défense mais d’interroger l’équilibre de notre procédure pénale au regard d’un autre principe conventionnel, la protection de la victime, tel que le rappelle la Cour européenne des droits de l’homme.
Elle a jugé qu’un traitement procédural exigeant notamment la répétition d’auditions ainsi que des confrontations, et des démarches d’identification superflues à l’établissement de la vérité est susceptible d’entraîner la qualification « de traitement inhumain et dégradant » par sa victimisation secondaire (7 févr. 2023, B. c. Russie, n° 36328/20), ou encore que le contre interrogatoire de la victime ne doit pas être un moyen d’intimider ou d’humilier (Slovénie, 28 mai 2015).
Aussi, dans un arrêt CEDH contre Italie (27 mai 2021), la Cour a souligné également la nécessité que « les autorités judiciaires évitent de reproduire des stéréotypes sexistes dans les décisions de justice, de minimiser les violences contre le genre et d’exposer les femmes à une victimisation secondaire en utilisant des propos culpabilisants et moralisateurs propres à décourager la confiance des victimes dans la justice ».
La notion de victimisation secondaire et son corollaire, la protection de la victime, sont désormais très présents dans la jurisprudence de la Cour Européenne, et s’appliquent à notre droit français.
La France est en retard. Ainsi, en droit espagnol, belge ou canadien, il est interdit de poser des questions sur des mythes et stéréotypes de genre : le comportement sexuel ou la mauvaise réputation de la victime. Ne sont admises que des questions ciblées et légitimes, ce qui est beaucoup plus respectueux de la dignité et de l’intimité de la victime.
Il est temps qu’avocats, magistrats, politiques éprouvent l’impérieuse nécessité d’améliorer les pratiques judiciaires dans le respect des victimes que notre humanité exige.