La preuve de la propriété immobilière, par Christophe Buffet, Avocat

La preuve de la propriété immobilière, par Christophe Buffet, Avocat

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Probatio diabolica

Comment peut-on prouver que l’on est propriétaire d’un bien immobilier ?

Cette question est beaucoup plus complexe que ce que l’on peut croire et les juristes le savent bien puisque la preuve de la propriété immobilière est qualifiée assez classiquement de probation diabolica, c’est-à-dire de preuve qui dépasse ce que l’homme peut faire, et que seul le diable pourrait apporter.

La preuve de la propriété immobilière est libre.

Il faut en premier lieu poser le principe selon lequel cette preuve est libre. Cela signifie qu’il n’y a pas de formalisme particulier pour apporter cette preuve. Le Code civil ne prévoit d’ailleurs aucune disposition sur ce sujet précis.

Ce principe de liberté de la preuve est rappelé les quatre arrêts suivants.

1) « Attendu que Mme X... fait grief à l’arrêt attaqué (Bastia, 17 octobre 1986) d’avoir reconnu les consorts Y... propriétaires du canal traversant ses parcelles, alors, selon le moyen, " qu’en admettant que les consorts Y... puissent suppléer aux carences de leurs titres par des attestations, la cour d’appel a violé l’article 1341 du Code civil " ;


Mais attendu que les modes de preuve de la propriété immobilière étant libres, la cour d’appel, devant laquelle aucun titre commun n’était invoqué, n’a violé aucun texte dès lors que la preuve d’un arrangement entre le demandeur initial et ses co-indivisaires, pour lui reconnaître la propriété exclusive du bien comprenant le canal, pouvait être faite par la production d’attestations.
 »

2) « Attendu que Dominique et Diane X... sont décédés respectivement en 1907 et 1915, laissant pour héritiers, chacun pour un tiers, leurs trois enfants : a) Marie-Claire, épouse Y..., elle-même décédée en 1907 laissant sa fille, Jeanne, épouse Z..., laquelle est décédée laissant sa fille Lucienne épouse A..., b) Jean-Paul lequel est lui-même décédé en 1951 laissant, d’une part, son fils Jérôme, issu d’une première union lequel a eu, lui-même quatre enfants, Paul, Michel, Anne-Marie et Maryse, d’autre part, quatre autres enfants, Diane, Dominique (décédée depuis), Antoinette et Marie-Madeleine, issus d’une seconde union, c) Paul-Marie, lequel a eu deux enfants, Antoinette (décédée sans enfant) et Paul-Dominique lequel a eu neuf enfants (Jean-Paul, Simon, Paul-Marie, Toussaint, Claire-Marie, Barbara, Jeanne-Paule, Noëlle et Suzanne (cette dernière décédée) ; qu’il dépendait des successions de Dominique et Diane X... diverses parcelles sises à Cuttoli-Corticchiato ; que, par testament notarié, Jean-Paul X... a pris la disposition suivante : "Jérôme X... mon fils issu de mon premier mariage (avec B... Marie) prendra tous mes biens immeubles divis et indivis situés sur le territoire de la commune de Cuttoli-Corticchiato" ;

Sur le premier moyen, tel qu’exposé au mémoire en demande et annexé au présent arrêt :

Attendu que M. Paul X..., Mme Anne-Marie X..., Mme Maryse C..., épouse D..., et M. Michel X... (les consorts X...) font grief à l’arrêt attaqué (Bastia, 24 décembre 2002), confirmatif de ce chef, d’avoir ordonné la licitation des seules parcelles situées sur la commune de Cuttoli-Corticchiatto, cadastrées A 23, A 184 et A 512 ;


Attendu d’une part, que les modes de preuve de la propriété immobilière étant libres, d’autre part, que la valeur probante des indications du cadastre étant déterminées souverainement par les juridictions du fond, c’est en vertu de son pouvoir souverain d’appréciation que la cour d’appel a décidé que des documents cadastraux étaient insuffisants pour établir la preuve de la propriété revendiquée ; que le moyen ne peut être accueilli
 ;

3) « Sur le pourvoi formé par M. Jean Marc Y..., demeurant 3 500 Km route de Balata, Voie n° 5, 97200 Fort-de-France, en cassation d’un arrêt rendu le 28 avril 1995 par la cour d’appel de Fort-de-France (1re chambre civile), au profit de Mme Nathalie, Bernadette X..., demeurant ..., défenderesse à la cassation ;

Le demandeur invoque, à l’appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;

LA COUR, composée selon l’article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l’organisation judiciaire, en l’audience publique du 23 avril 1997, où étaient présents : M. Beauvois, président, Mme Di Marino, conseiller rapporteur, Mlle Fossereau, conseiller doyen, M. Weber, avocat général, Mme Pacanowski, greffier de chambre ;

Sur le rapport de Mme Di Marino, conseiller, les observations de la SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, avocat de M. Y..., de Me Hennuyer, avocat de Mme X..., les conclusions de M. Weber, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Sur le moyen unique, ci-après annexé :


Attendu que la preuve de la propriété immobilière étant libre
, la cour d’appel, qui s’est fondée sur un document d’arpentage concrétisant le partage en neuf lots, signé par tous les héritiers de M. Basile X..., à l’exception de Michel, Louis et Sylviane X... et les attestations de ces trois héritiers approuvant l’attribution en pleine propriété du lot 905 à leur soeur Nathalie, a, sans dénaturation de l’attestation de Mme Sylviane X... dont elle a souverainement interprété les termes imprécis, légalement justifié sa décision. »

4)

« Attendu qu’ayant relevé, par motifs adoptés, que les titres respectifs des parties faisaient ressortir l’excédent cadastré de la propriété des consorts B..., par rapport aux indications de leurs actes, et le déficit corrélatif de la propriété de M. Y..., la cour d’appel, qui a souverainement retenu que la numérotation cadastrale sur le titre de ce dernier procédait d’une erreur, a, sans avoir à constater l’existence d’un écrit concernant un échange de parcelles, la preuve de la propriété immobilière étant libre, légalement justifié sa décision. »

Pas de preuve officielle par un livre foncier

En second lieu, si on peut imaginer un système où la preuve de la propriété immobilière serait apportée par l’inscription de chaque propriété au nom d’un propriétaire dans un registre officiel, système qui existe dans certains pays, cela n’est pas le système français, sauf dans le droit local d’Alsace et de Moselle.

Qui doit prouver qu’il est propriétaire ?

C’est la question de la charge de la preuve.

Par principe, et par application de l’article 1315 du Code civil, c’est celui qui invoque un droit de propriété sur un bien immobilier qui doit apporter la preuve de cette propriété

Le titre de propriété est-il la preuve absolue ?

Par titre de propriété, on entend l’acte écrit qui a conféré la propriété : acte de vente, acte de donation, testament, échange, partage d’une succession, jugement ...

Ce titre de propriété n’est pas un moyen de preuve absolue.

Il entraîne simplement une présomption de propriété, qui peut être combattue.

Autrement dit la preuve contraire peut être apportée.

Il y a lieu de préciser d’ailleurs le droit français pose le principe du caractère inopposable des contrats à ceux qui n’y ont pas été parties (article 1165 du Code civil), de sorte que ces contrats sont inopposables au tiers autrement que comme des indices.

Quels sont les éléments de preuve qui peuvent être invoqués ?

Pour les tribunaux, la preuve peut être faite par des indices divers.

Le cadastre

Il n’a valeur que de simple renseignement, et notamment ne peut prévaloir sur la possession acquisitive, c’est-à-dire l’usucapion. il ne prévaut pas sur les titres de propriété.

"Attendu qu’ayant retenu, à bon droit, que le cadastre n’était qu’un indice dans la preuve du droit de propriété et constaté que l’analyse de titres communs, éclairée par la lecture d’actes concomitants, permettait de comprendre l’emplacement des parcelles concernées et que la thèse émise dans une lettre de M. X... du 11 janvier 1991 selon laquelle les consorts Y... auraient obtenu de M. Z... "quelques années" après son acquisition, l’autorisation de passer sur son terrain pour accéder à la route du Dolmen, n’était qu’une hypothèse, étayée par aucun écrit ni aucun témoignage, la cour d’appel, abstraction faite d’un motif surabondant, a répondu aux conclusions et souverainement retenu les éléments de possession en faveur des consorts Y..."

"Mais attendu, qu’appréciant souverainement la portée des titres produits par chacune des parties, la cour d’appel a, sans violer les règles de la preuve et en faisant justement prévaloir l’acte de donation-partage des consorts Y... sur la présomption pouvant résulter des mentions cadastrales, légalement justifié sa décision de ce chef."

Le paiement des impôts fonciers

Il constitue un indice.

Les traces physiques des terrains
Ce sont les éléments de fait et la configuration des lieux qui sont autant d’indices de la propriété.

Le titre de propriété

C’est l’indice qui est examiné en premier lieu.

L’indice le plus efficace : la possession

Le moyen de preuve roi la possession acquisitive c’est-à-dire l’usucapion.

C’est l’effet de la prescription acquisitive et qui permet aux possesseurs de devenir propriétaire de l’immeuble ou titulaire d’un droit réel immobilier.

La prescription est en effet un moyen d’acquérir la propriété selon l’article 712 du Code civil.

Les conflits entre les différents indices et éléments de preuve

On distingue classiquement les cas suivants :

La possession contre la possession

Autrement dit, les deux plaideurs opposent chacun à l’autre des faits de possession. Dans ce cas le tribunal devra apprécier quelle est la possession qui est la mieux caractérisée, c’est-à-dire celle qui sera la plus significative.

"Attendu qu’ayant relevé que les consorts X... établissaient avoir occupé les parcelles litigieuses sur lesquelles ils avaient accompli depuis plus de cinquante ans avec leurs auteurs des actes tels la construction, l’habitation, la culture, l’élevage et l’exploitation au vu et au su de tous et que les enfants de Mme Isida Y..., aïeule des consorts Z..., qui s’était installée sur une partie du terrain avec l’autorisation de l’auteur des consorts X..., en étaient partis sachant que ce n’était pas la leur, la cour d’appel, qui a souverainement retenu que le permis de construire accordé à M. Miguel Z... le 9 avril 1991 n’était pas une pièce de nature à établir que sa possession s’appuyait sur des actes matériels présentant les caractères utiles et que l’existence de plusieurs maisons sur les parcelles litigieuses n’empêchait pas les consorts X... d’avoir prescrit, par eux et leurs auteurs, dés lors qu’il n’était pas démontré qu’une autre possession utile venait contredire la leur, a, sans inverser la charge de la preuve, légalement justifié sa décision."


La possession contre le titre

Autrement dit l’un des plaideurs oppose la possession à l’autre, qui lui oppose un titre.

On considère que le titre antérieur à la possession prévaut sur celle-ci. Ceci bien entendu sous l’hypothèse où l’usucapion est acquise. Inversement si c’est la possession qui est antérieure au titre c’est elle qui prévaudra.

Le titre contre le titre

On suppose qu’aucune des parties ne se prévaut d’actes de possession.

Si l’une des parties se prévaut d’actes de possession, elle l’emporte, en vertu de l’adage latin in pari causa melior est possidentis.

Si les deux parties se prévalent d’un titre émanant d’un même auteur, c’est celui qui aura publié le premier son acte aux hypothèques qui sera préféré.

Si aucun n’a publié son acte, c’est le titre le plus ancien ayant une date certaine qui prévaudra.

Si les deux parties se prévalent d’un acte de deux auteurs différents, le tribunal retiendra le titre qui rendra la propriété la plus vraisemblable.

Christophe BUFFET

Avocat spécialiste en droit immobilier et en droit public

christophe.buffet chez gmail.com

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