Crimes non résolus, crimes sériels : définitions.
Combien d’affaires non résolues en France ?
L’une des problématiques est que l’on manque de données statistiques en matières de crimes complexes (meurtres, enlèvements, séquestrations, disparitions inquiétantes, viols...). Au niveau national, il n’existe pas de liste nominative de ces affaires. Comme nous l’a dit Jacques Dallest dans un entretien donné à la Rédaction du Village de la Justice : « le ministère de la Justice estime à 280 le nombre d’affaires non résolues en France, pour ma part, j’estime que les chiffres sont plus de l’ordre de 500 dossiers. L’avocat Didier Seban [1] estime quant à lui à plus de 1 000 le nombre d’affaires qui pourraient être définies comme "cold cases" ».
Que sont les crimes non résolus, les crimes sériels, souvent désignés par le terme anglo-saxon de cold cases (littéralement "affaires froides") ?
Comme nous l’expliquait Monsieur Dallest : le langage commun définit le cold case comme un crime de sang et de sexe non élucidé et/ou sériel.
Sur le plan juridique, entrent dans la notion de crimes complexes, les crimes de meurtres, de viol, d’enlèvement ou de séquestration.
Pour le magistrat honoraire, les crimes complexes peuvent s’organiser en 4 catégories :
- première catégorie : ce sont les affaires criminelles en cours.
- deuxième catégorie : ce sont des crimes clôturés définitivement, car prescrits ;
- troisième catégorie, ce sont les crimes classés qui peuvent être ouverts de nouveau, car non prescrits.
- quatrième catégorie : les disparitions inquiétantes.
La genèse et le cadre juridique du Pôle des Crimes Sériels ou Non Élucidés.
Cela fait de nombreuses années que les associations de familles de victimes, des avocats (tels D. Seban et C. Herrmann), des enquêteurs, des magistrats (tel J. Dallest) promeuvent un meilleur traitement des affaires sérielles ou non résolues et incitent à une prise de conscience majeure sur ce sujet tant des institutions judiciaires que de l’État via le ministère de la Justice.
Ce long combat a été entendu, en voici les principales étapes :
- juillet 2019 : création d’un groupe de travail sur l’amélioration du traitement des crimes non élucidés, sériels et autres crimes complexes, présidé par Jacques Dallest ;
- mars 2021 : restitution sous forme d’un rapport intitulé "Traitement judiciaire des "cold cases", des crimes sériels et autres crimes complexes" (le rapport et ses 26 recommandations sont accessibles ici) ;
- décembre 2021 : Loi n°2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans la Justice. Elle prévoit la création du Pôle des Crimes Sériels ou Non Élucidés du tribunal judiciaire de Nanterre ;
- janvier 2022 : Décret du 20 janvier 2022 n°2022-67 relatif à la procédure applicable aux crimes sériels ou non élucidés ;
- février 2022 : Circulaire du 25 février 2022 de la Direction des affaires criminelles et des grâces ;
- 1er mars 2022 : création du Pôle des crimes sériels ou non élucidés au sein du tribunal judiciaire de Nanterre (PCSNE). Également appelé Pôle national dédié au traitement des crimes sériels ou non élucidés.
Composition et fonctionnement du Pôle des Crimes Sériels ou Non Élucidés.
La France est pionnière en la matière, avec la création de ce pôle et le fait de mettre en place une équipe d’une dizaine de personnes qui s’occupe à plein temps de ces dossiers complexes.
Cette centralisation des dossiers et leur prise en charge à 100% par une même équipe sont essentielles, car cela évite que plusieurs magistrats se succèdent sur un même dossier, que des informations se perdent...
Le pôle a compétence unique pour enquêter sur les crimes sériels et compétence concurrente sur les autres crimes (homicides, coups mortels, enlèvements et séquestrations, viols) s’ils ne sont pas élucidés 18 mois après leur commission et s’ils présentent une certaine complexité.
Actuellement, l’équipe est composée de trois magistrats instructeurs spécialisés, coordonnées par la magistrate Sabine Kheris, Première Vice-président ; un vice-procureur, trois greffiers, un assistant spécialisé, un juriste assistant et deux Officiers de Police Judiciaire (mis à disposition par le ministère de l’Intérieur). Deux magistrats supplémentaires (un quatrième cabinet d’instruction et un membre supplémentaire du parquet) sont prévus pour 2025 [2].
Découvrez ci-dessous son organigramme (cliquez sur l’image pour l’agrandir) :
Depuis sa création en mars 2022, 270 procédures ont été identifiées et portées à la connaissance du PCSNE. Ce dernier a été saisi de 99 procédures (82 saisines de l’instruction dont 9 parcours criminels + 17 dossiers en enquête préliminaire, dont 1 parcours criminel), soit une augmentation de 22 procédures supplémentaires depuis février 2023 (une hausse de 28,5%) [3].
Le pôle national a réalisé son premier procès, celui de Monique Olivier, le 28 novembre 2023.
Éléments de sélection des dossiers :
- L’ancienneté des faits : tout crime sériel ou non élucidé depuis plus de 18 mois peut être transféré au pôle. Un crime ordinaire sera tout d’abord traité par le tribunal compétent. Au bout de 18 mois, si l’affaire n’est pas élucidée, elle pourra être transmise au pôle.
- le risque que les faits tombent dans la prescription" (avant 2017, la prescription était de 10 ans, depuis, elle est passée à 20 ans) ;
- La sérialité avérée ou fortement suspectée des faits ;
- La victimologie de certaines victimes comme les enfants.
RQ : Le pôle prendra en compte des dossiers pour lesquels, il peut apporter une plus-value.
Origine des dossiers à examiner :
Les dossiers soumis au PCSNE sont proposés soit par :
- les juridictions elles-mêmes ;
- l’Office central pour la répression des violences aux personnes (OCRVP) ;
- la cellule Diane de la Gendarmerie ;
- des avocats spécialisés dans les affaires complexes,
- plus rarement, des familles de victime.
Les moyens dont dispose le pôle :
L’utilisation de nouvelles techniques comme :
- le recours à un criminologue pour la relecture de scènes de crime, la relecture croisée des dossiers ;
- Le recours à l’ADN du fait de l’évolution des capacités d’exploitation de ce dernier ;
- Le recours aux nouvelles techniques des traces papillaires ;
- Mise en place en mars 2024 du dispositif d’appel à témoins "En quête d’indices"...
Les objectifs et enjeux du Pôle des Crimes Sériels ou Non Élucidés.
Les objectifs :
- Prendre en compte la détresse et les questionnements des familles des victimes et rendre la Justice. « Ce pôle doit permettre à ces dossiers de rester vivants judiciairement et d’offrir une réponse aux victimes, à leur famille » précise le garde des Sceaux.
- Faire des liens entre les procédures complexes ou non élucidées, disséminées sur l’ensemble du territoire national, créer un point de contact unique pour l’entraide judiciaire européenne et internationale concernant ces crimes. A ce titre, les empreintes génétiques des victimes de crimes non élucidés ou des membres de leurs familles (avec leur accord) pourront être inscrites au Fichier national des empreintes génétiques FNAEG), pour qu’elles puissent être conservées pour des comparaisons ultérieures dans le cadre de faits sériels.
- Être un centre de ressources pour "conseiller" des magistrats confrontés à des affaires complexes.
Les enjeux :
- Développer de nouvelles approches. Selon Jacques Dallest, « le traitement de ces affaires, du fait de leur ancienneté et de leur complexité, induit pour celles et ceux qui en ont la charge d’avoir une autre approche, par exemple de prendre en compte la notion de parcours criminel, à savoir enquêter sur des individus et non plus seulement des faits ».
- La conservation des preuves collectées lors des crimes, Jacques Dallest ajoute que : « il serait primordial qu’une loi interdise la destruction des scellés dans les affaires de crimes ou de disparition ».
- Création d’une mémoire criminelle au niveau national (voire européen), à savoir recenser l’intégralité des crimes de sang et des viols contre X commis annuellement sur le territoire. Selon Jacques Dallest : « il serait utile que La Chancellerie et l’ Office central pour la répression des violences aux personnes (OCRVP) créent un outil de collecte commun en ce domaine »
En conclusion, il est indéniable que la création de ce pôle national dédié aux affaires complexes est une initiative novatrice et d’importance et que ce dernier était largement attendu. Ceci est confirmé par sa montée en puissance depuis sa création en mars 2022.
Il est à noter que parmi les professionnels du monde judiciaire, une réflexion s’engage pour savoir si la gestion centralisée des affaires complexes est vraiment la meilleure ou s’il ne faudrait pas plutôt développer des pôles dédiés aux crimes complexes inter-régionaux, afin qu’il y ait un maillage plus fin pour lutter contre ces derniers (comme c’est le cas en matière d’environnement, lire à ce sujet notre article : Spécialisation des tribunaux, vers une politique pénale environnementale renforcée ?).
Le pôle en chiffres.
- Depuis sa création, sur 385 affaires étudiées, il y a eu 77 ouvertures d’information judiciaire et 11 parcours criminels – soit 88 affaires dont sont saisis les juges d’instruction.
- 17 enquêtes préliminaires sont en cours d’enquête dont un parcours criminels. [4]
Sources :
- Ministère de la Justice ;
- Parquet du tribunal judiciaire de Nanterre ;
- Livre "Cold cases, un magistrat enquête" de Jacques Dallest [5].