Précisions utiles sur les modalités d’appréciation de la condition d’urgence à suspendre l’exécution d’un contrat.

Par Sébastien Palmier, Avocat.

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Explorer : # condition d'urgence # suspension de contrat # référé # conseil d'État

Dans cette affaire, le Conseil d’État rappelle que les membres de l’organe délibérant d’une collectivité territoriale ou d’un groupement de collectivités territoriales qui a conclu un contrat administratif sont recevables à former devant le juge du contrat un recours en contestation de la validité de celui-ci et peuvent assortir ce recours d’une demande tendant à la suspension de son exécution sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative.

CE 18 septembre 2017, M.AG…R, req.n°408894

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L’intérêt de l’arrêt ne réside pas dans ce rappel mais dans les précisions que le Conseil d’État apporte sur les modalités d’appréciation de la condition d’urgence à suspendre l’exécution d’un contrat dans le cadre d’un référé formé par des membres de l’assemblée délibérante de la personne publique contractante.

Les faits de l’espèce étaient les suivants : par une délibération du 15 décembre 2016, le conseil communautaire d’une communauté de communes a approuvé l’attributaire d’un marché de conception réalisation d’une piscine intercommunale et autorisé son président à signer le marché. Cet établissement public a par la suite fusionné avec deux autres établissements publics qui se sont vu transférés les droits et obligations de ce marché.

Plusieurs conseillers du nouveau conseil communautaire ont alors décidé de saisir le tribunal administratif de Lyon d’un recours en contestation de la validité du contrat tout en introduisant parallèlement un référé tendant à la suspension de son exécution. Par une ordonnance du 27 février 2017, le juge du référé a rejeté leur demande au motif que la condition d’urgence n’était pas remplie.

En cassation, le Conseil d’État confirme l’ordonnance au regard des circonstances de l’espèce.

Règle n°1 : L’appréciation de la condition d’urgence s’apprécie in concreto

Le Conseil d’État rappelle tout d’abord la règle générale selon laquelle il appartient au juge des référés d’apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l’acte contesté sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l’exécution de la décision soit suspendue. L’urgence doit donc être appréciée objectivement compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’affaire.

Plus précisément, pour apprécier si la condition d’urgence est remplie dans le cadre d’un référé tendant à la suspension de l’exécution d’un contrat introduit par les membres d’un organe délibérant d’un pouvoir adjudicateur, le Conseil d’État rappelle que le juge du référé suspension doit prendre en compte tous éléments dont se prévalent les requérants qui sont de nature à caractériser une atteinte suffisamment grave et immédiate à leurs prérogatives ou aux conditions d’exercice de leur mandat, aux intérêts de la collectivité ou du groupement de collectivités publiques dont ils sont les élus ou, le cas échéant, à tout autre intérêt public.

Règle n°2 : La preuve de l’urgence à suspendre l’exécution d’un contrat public

La condition d’urgence reste subordonnée à l’existence d’éléments de nature à établir la gravité et l’immédiateté des atteintes que l’exécution du contrat est susceptible de porter aux intérêts invoqués. Ainsi, lorsque le contrat a pour objet la construction d’un ouvrage public : il convient de démontrer que son exécution est susceptible de produire des effets irréversibles à brefs délais et d’une certaine ampleur pour qu’ils puissent être considérés comme constitutifs d’une situation d’urgence.

Le Conseil d’État considère ainsi qu’une atteinte suffisamment grave et immédiate aux intérêts défendus par les membres de l’organe délibérant d’une collectivité territoriale ou d’un groupement de collectivités territoriales est susceptible d’être caractérisée lorsque le coût des travaux qui font l’objet d’un marché public risque d’affecter de façon substantielle les finances de la collectivité ou du groupement concerné et que l’engagement des travaux est imminent et difficilement réversible.

Il appartient au requérant de démontrer qu’en cas d’exécution du contrat, le coût que représentera pour l’acheteur public la résolution ou la résiliation du contrat qui pourra être prononcée par le juge du contrat s’il fait droit à leur recours dans le cadre de l’instance au fond, sera tel qu’il est préférable de suspendre de suite son exécution. En d’autres termes, pour remplir la condition d’urgence, il est nécessaire de démontrer l’importance des conséquences financières de l’exécution du contrat même pendant la durée de l’instance contentieuse au fond.

Appliquant cette grille de lecture, le Conseil d’État considère qu’au cas présent, la condition de l’urgence n’est pas remplie dans la mesure où les requérants se bornaient à prétendre que le contrat a été conclu pour un montant supérieur d’environ 17 % à l’estimation initiale sans apporter d’élément concrets de nature à établir l’existence d’un risque pour les finances locales.

Par ailleurs, le Conseil d’État considère en l’espèce que la circonstance que le contrat ait été conclu par une communauté de communes avant que celle-ci ne fusionne, avec deux autres communautés de communes et que, par suite, cette dernière soit tenue d’exécuter un contrat sur lequel elle ne s’est pas prononcée, découle de l’application des règles relatives aux fusions d’établissements publics de coopération intercommunale et ne peut de ce fait être regardée comme portant une atteinte grave et immédiate aux intérêts défendus par les membres du conseil communautaire du nouvel établissements publics nés de cette fusion.

Règle n°3 : La condition d’urgence doit s’apprécier indépendamment des moyens relatifs à la validité du contrat contesté

Enfin, le Conseil d’État considère également qu’à supposer que le choix de recourir à un marché de conception-réalisation puisse être considéré comme illégal, une telle illégalité ne saurait être regardée, par elle-même, comme constitutive d’une situation d’urgence au sens de l’article L. 521 1 du Code de justice administrative. En clair, les éventuelles irrégularités qui peuvent entacher la procédure de passation d’un contrat ne peuvent pas être invoquées au titre de l’urgence mais uniquement au titre de la condition tenant à l’existence d’un doute sérieux quant à la légalité du contrat.

Dans cet arrêt, le Conseil d’État rappelle que la condition d’urgence doit être appréciée uniquement au regard des conséquences de l’exécution du contrat dont la suspension est demandée et non au regard des éventuelles irrégularités qui peuvent entacher sa procédure de passation. Afin qu’un référé suspension puisse espérer prospérer, les requérants ont donc tout intérêts à bien distinguer dans leur requête les conclusions permettant de démontrer l’urgence à suspendre et les conclusions tendant à démontrer l’illégalité manifeste du contrat, ces dernières ne pouvant en aucun cas espérer justifier une quelconque urgence.

Me Sébastien PALMIER-Spécialiste en Droit Public
Cabinet Palmier & Associés- Experts en marchés publics
http://www.sebastien-palmier-avocat.com

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