Comment fonctionne le crédit d’impôt recherche (CIR) ?
Les entreprises qui engagent des dépenses de recherche fondamentale et de développement expérimental peuvent bénéficier du CIR en les déduisant de leur impôt sous certaines conditions. Le taux du CIR varie selon le montant des investissements. Les activités concernées par le CIR sont les activités de recherche et de développement (recherche fondamentale, recherche appliquée ou développement expérimental par exemple).
Les dépenses de personnel concernant les chercheurs et techniciens de recherche sont notamment éligibles au CIR (le salaire des jeunes docteurs est pris en compte pour le double de son montant pendant 2 ans après leur embauche en CDI : Contrat de travail à durée indéterminée). Mais l’administration intègre également une partie des frais annexes comme les dotations aux amortissements des biens et bâtiments affectées à la recherche, les dépenses de veille technologique (60 000 € par an maximum), les frais de brevets ; les dépenses de normalisation…
Quelle est la différence entre un « Jeune Docteur » et un « Doctorant CIFRE » ?
Il s’agit de deux dispositifs qui interviennent à des moments différents. Alors que la réalisation d’une thèse est par définition un travail de recherche (Arrêté du 26 août 2022 modifiant l’arrêté du 25 mai 2016 fixant le cadre national de la formation et les modalités conduisant à la délivrance du diplôme national de doctorat), il convient de distinguer le « Jeune docteur » qui est à la recherche de son premier CDI à la suite de l’obtention de son doctorat, et le doctorant qui est engagé dans la réalisation d’une thèse.
Pour bénéficier du soutien financier de l’Etat, les jeunes docteurs doivent être exclusivement recrutés en CDI et affectés directement à des opérations de recherche scientifique et technique. C’est sur cette affectation qu’est basé le calcul du salaire à prendre en compte dans le CIR. A noter le salaire des jeunes docteurs est pris en compte pour le double de son montant pendant 2 ans après leur embauche en CDI pour encourager l’embauche des Bac+8 au sein des entreprises afin de mieux promouvoir la formation par la recherche [1].
Le dispositif CIFRE permet quant à lui aux entreprises de droit français, collectivités territoriales ou associations de confier à un doctorant ou une doctorante une mission dans le cadre d’une collaboration de recherche partenariale avec un laboratoire de recherche académique affilié à une école doctorale. Si une entreprise intègre un doctorant Cifre dans son effectif, elle reçoit alors une subvention annuelle de l’ANRT (Association nationale de la recherche et de la technologie) de 14 000 euros. Ensuite, le reste à charge des salaires est en principe éligible au crédit d’impôt recherche (CIR). Alors que les contrats doctoraux financés par universités sont en voie de raréfaction, il est essentiel de pouvoir continuer à soutenir la recherche juridique.
Le champ des opérations de recherche scientifique ou technique.
Les critères d’éligibilité des activités de R&D pour le calcul de l’assiette du CIR sont exposés dans le guide CIR édité chaque année par le ministère en charge de la recherche.
Plus généralement, selon l’article 49 septies F de l’annexe III du Code Général des Impôts (CGI)
« Sont considérées comme opérations de recherche scientifique ou technique :
a. Les activités ayant un caractère de recherche fondamentale qui concourent à l’analyse des propriétés, des structures, des phénomènes physiques et naturels, en vue d’organiser, au moyen de schémas explicatifs ou de théories interprétatives, les faits dégagés de cette analyse ;
b. Les activités ayant le caractère de recherche appliquée qui visent à discerner les applications possibles des résultats d’une recherche fondamentale ou à trouver des solutions nouvelles permettant à l’entreprise d’atteindre un objectif déterminé choisi à l’avance.
Le résultat d’une recherche appliquée consiste en un modèle probatoire de produit, d’opération ou de méthode ;
c. Les activités ayant le caractère d’opérations de développement expérimental (…) ».
A la lecture de ce texte, il est tout à fait possible d’assimilier le travail de recherche effectué par des chercheurs en droit, qu’ils soient doctorants en CIFRE, jeune docteur ou chercheur en droit expérimenté à la seconde catégorie. Cette dernière vise en effet « à discerner les applications possibles des résultats d’une recherche fondamentale ou à trouver des solutions nouvelles permettant à l’entreprise d’atteindre un objectif déterminé choisi à l’avance ».
Le droit n’est pas une discipline purement théorique permettant de connaître un aspect du monde ; c’est aussi un savoir pratique permettant de contribuer à le transformer. C’est justement l’une des particularités de l’impact de la recherche « elle est volontiers proche de son objet et appliquée » [2].
Une réponse du Ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, confirme cette interprétation : « selon l’article 244 quater B I du code général des impôts - CGI, le CIR est ouvert à tous les secteurs d’activité et à tous types d’entreprises. Afin de sécuriser une demande CIR, il est conseillé d’effectuer une demande d’avis à l’administration sur l’éligibilité d’une opération de R&D par le biais d’un rescrit CIR ».
La recherche juridique est-elle éligible au CIR ?
Oui, contrairement à ce qu’on peut lire, la jurisprudence n’exclue pas la recherche juridique des bénéfices du CIR, mais son interprétation est restrictive.
Un arrêt du Conseil d’Etat du 14 octobre 2022, relève ainsi :
« Il résulte des dispositions précitées qu’ouvrent droit au crédit d’impôt recherche les dépenses de personnel afférentes aux chercheurs et techniciens de recherche directement et exclusivement affectés à la réalisation d’opérations de recherche scientifique et technique. Si les recherches menées dans le domaine du droit ne sauraient par principe en être exclues, les recherches de nature juridique effectuées par une salariée au sein d’une société d’avocats, qui ont pour objet d’identifier les dispositions juridiques applicables et d’analyser une pratique juridique existante dans un domaine, ne peuvent ouvrir droit au bénéfice de ce crédit d’impôt à raison des dépenses de personnel y afférentes » [3].
Ainsi, la décision du Conseil d’Etat est de toute évidence fondée sur une interprétation restrictive de la recherche juridique. On pourrait argumenter que la recherche en droit suppose d’abord d’analyser et de comprendre les normes et les situations juridiques existantes.
Par ailleurs, les politiques publiques en faveur de la recherche et de l’innovation servent en principe à corriger les défaillances de marché.
Force est pourtant de constater que dans notre pays, un biais négatif persiste à l’encontre des sciences humaines et sociales qu’on oppose aux sciences dites "dures".
Pour la mission des sciences humaines et sociales n’est pas moins essentiel en ce qu’elles apportent un « regard le plus objectif possible sur ces réalités, à la fois institutionnelles et mouvantes, pour mieux les révéler, pour les appréhender dans une perspective critique et pour contribuer à une juste appropriation des futurs possibles » [4].
Recherche en droit : un rôle d’avant-garde.
Pour autant, même avec une appréhension restrictive, la recherche en droit ne s’aurait être exclue par principe des bénéfices du CIR.
Dans notre système juridique, la recherche en droit, la « doctrine », est même définie par la majorité des ouvrages comme une « source de droit ».
D’abord, la doctrine est source de principes et de concepts nouveaux qui seront repris ultérieurement par les entreprises, le législateur ou encore par les juges. C’est aussi une source indirecte du droit et donc d’innovation juridique.
Ensuite, les chercheurs en droit traquent les incohérences et soulignent les dangers qu’elles recèlent pour la sécurité juridique.
Enfin, le droit ne fonctionne pas seul, il s’enrichit aussi du dialogue avec d’autres domaines scientifiques comme la sociologie, la philosophie, l’économie, les technologies ou le droit comparé.
Le récit de ma propre expérience de thèse.
Le besoin de soutenir l’innovation, qui justifie le CIR, existe aussi en droit, et de plus en plus. Personnellement, j’ai eu la chance de soutenir ma thèse sous la direction de Jean-François Cesaro, au sein du laboratoire de droit social de Paris 2 Panthéon Assas en collaboration avec le groupe Total grâce au dispositif CIFRE.
J’ai envisagé ma thèse sur "Les relations numériques de travail" [5] comme un laboratoire des évolutions et transformations à venir du droit du travail (place des droits fondamentaux, notion de subordination, dialogue social, temps de travail, charge de travail, nouvelles formes de collectifs, etc.). Mon projet était d’interroger le droit du travail à l’aune des pratiques numériques contemporaines ou émergentes entre l’autorité complète et l’autonomie. La question principale est la soutenabilité des systèmes en place. Cinq ans après la soutenance de ma thèse, mes travaux semblent d’ailleurs avoir été avant-gardistes tant l’organisation traditionnelle du travail semble aujourd’hui se fissurer de partout. Nous n’avons jamais autant eu besoin de repenser les relations de travail, d’inventer de nouvelles règles... et ce n’est sans nul doute pas le seul environnement juridique où nous avons besoin d’innover.
Innover ne porte pas que sur le développement de nouvelles technologies incorporées dans de nouveaux produits ou de nouveaux procédés. Innover consiste également à développer de nouvelles pratiques diffusées et adoptées en société. Parce que la recherche juridique contribue à dessiner le droit d’aujourd’hui et de demain, elle mérite à ce titre autant d’attention que les autres disciplines.