Un dispositif expérimental dangereux pour les contribuables.
Le Président de la République, Emmanuel Macron, prévenait voilà peu des « problèmes de confiance démocratique » lié à l’innovation technologique. A ce titre, il déclarait vouloir « mettre à la fois de la transparence et de la loyauté dans le système ». Précis, il entendait notamment par ce « système », « la clé est de mettre partout de la transparence publique sur les algorithmes » utilisés par l’État dans ses contrôles fiscaux. Force est de constater que ce discours n’a pas retenu toute l’attention de l’administration fiscale.
Depuis un arrêté du 28 août 2017, l’Administration fiscale française dispose, à titre expérimental pour deux ans, d’un traitement automatisé de lutte contre la fraude dénommé CFVR. Ce traitement permet à l’Administration fiscale de croiser diverses bases de données et modéliser les comportements frauduleux pour mener des actions de prévention, de recherche, de constatation ou de poursuite d’infractions fiscales.
L’algorithme utilisé dans le cadre de ce traitement est basé sur des techniques de « data mining ». Autrement dit :
un ensemble d’outils informatiques opaques permettant pour la première fois la programmation des contrôles fiscaux, l’exploration et l’analyse de différentes données en même temps ;
et centralisé sur une seule et unique base informatique pour un ciblage des entreprises laissant présumer un risque d’erreur ou de fraude.
Par la force des choses, cet état de fait permet d’augmenter la productivité de l’administration de façon exponentielle.
Néanmoins conscient de la dangerosité de ce dispositif, et ainsi ne pas porter atteinte de façon trop pérenne aux droits et libertés des contribuables, celui a été mis en place à titre expérimental, pour une durée de deux ans. Mais à quel prix les libertés publiques payent-elle cette efficacité ? Peut-on tout se permettre à titre expérimental ? Dans quelle mesure le droit des contribuables peut-il être respecté par un algorithme tenu secret ? Facilite-t-il la relation de confiance entre l’administration fiscale et les contribuables d’un système qui se veut déclaratif ?
Refus de l’administration.
C’est pour répondre à ces questions que nous avons demandé à l’administration fiscale la communication de la grille d’analyse permettant de connaître les critères de sélection des contribuables contrôlés, et donc une certaine transparence sur les algorithmes utilisés sur des millions de contribuables.
L’Administration fiscale n’a pas donné une suite favorable au prétexte d’une jurisprudence antédiluvienne rendue par le Conseil d’État le 12 décembre 1990, indiquant que l’administration ne doit pas communiquer les « documents révélant les critères » qu’elle retient pour « sélectionner le dossier d’un contribuable » afin de le contrôler. Pareille communication porterait soit disant atteinte à la recherche des infractions fiscales au nom de l’article L. 311-5 du Code des relations entre le public et l’administration.
Las mais non moins déterminé, nous avons donc fait appel en saisissant la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA). Confirmant le refus, cette initiative a pourtant eu le mérite, dans son « Avis », de témoigner d’une argumentation édifiante de l’administration : « la communication de ces documents porterait atteinte à la recherche, par les services compétents, des infractions fiscales, et par conséquent ne serait pas communicable avant l’expiration d’un délai de vingt-cinq ans à compter de leur élaboration ou (tenez vous bien) de la date du document le plus récent figurant dans le même dossier ». Autrement dit, au prétexte d’ajouter au fil des ans un document au dossier, ce délai pour réclamer un document serait quasiment imprescriptible !
Sortir du silence.
Cet état de fait permet donc de conclure qu’autrefois toute circulaire interprétative était publique, dans un souci de transparence et de respect du contradictoire accessible dans le bulletin officiel. Mais qu’aujourd’hui, à l’heure de la digitalisation des outils de contrôle, les circulaires, et les interprétations de circulaire sont remplacés par des algorithmes, et une interprétation de ces algorithmes curieusement non communiquée au justiciable.
Par ces logiciels occultes, l’administration remplace ainsi petit à petit toutes les interprétations connues et exploitables de la loi, privant insidieusement le contribuable d’informations utiles sous couvert de progrès informatique et de digitalisation des procédures.
Dans cette mort des libertés publiques, l’arbitraire n’a alors plus de limite, l’algorithme autorisant potentiellement l’administration à tout justifier à titre expérimental sous couvert de logiciels de chiffres qui n’agissent donc plus du tout par hasard.
Que faire ?
Dans ces conditions, il faut d’urgence se conformer à la recommandation de la CNIL préconisant depuis plus d’un an un « un haut niveau de transparence » en ces termes : « Si la lutte contre la fraude fiscale est un objectif à valeur constitutionnelle, la commission estime toutefois, au regard du nombre de personnes concernées et des techniques mises en œuvre, que des garanties appropriées doivent être prévues. A ce titre, le caractère expérimental de cette extension constitue une première garantie, dans la mesure où cela permettra au ministère de déterminer l’opportunité d’un tel dispositif ou les éventuelles améliorations à y apporter. La commission rappelle néanmoins qu’un rapport circonstancié devra être établi et lui être communiqué ». [1] Ce rapport très attendu devrait, en théorie, être rendu après une année d’expérimentation, soit après le 1er janvier 2019.
Un tel postulat clair et transparent pour les algorithmes fiscaux serait d’autant plus cohérent qu’il s’alignerait sur la politique souhaitée par le même Président de la République, préconisant la publication de l’algorithme national controversé de sélection universitaire, dit Parcoursup, en avril 2018 alors considéré comme opaque et incompréhensible.