L’Union européenne a franchi une étape importante en matière de financement durable avec l’adoption du règlement (UE) 2023/2631 du 22 novembre 2023 applicable depuis le 21 décembre 2024. L’appellation « obligation verte européenne » ou « EuGB » n’est utilisée que pour des obligations qui satisfont aux exigences du présent règlement. Ce cadre réglementaire renforcé, instituant un véritable label européen en matière d’émission d’obligations, s’applique aux émetteurs souhaitant émettre des obligations vertes sur le marché européen. Ces nouvelles règles visent à accroître la transparence, garantir la conformité environnementale des projets financés et renforcer la confiance des investisseurs.
La priorité à la durabilité environnementale.
Le produit des obligations doit être utilisé exclusivement pour financer des activités éligibles conformément aux exigences de la taxonomie (Article 4). Ces exigences correspondent aux critères de durabilité environnementale des activités économiques énoncés à l’article 3 du règlement (UE) 2020/852. Leur affectation doit respecter les critères d’examen technique en vigueur au moment de l’émission.
Par dérogation, les émetteurs d’obligations vertes européennes peuvent allouer jusqu’à 15 % du produit desdites obligations à des activités durables, mais non couvertes par la taxonomie (Article 5). Cette flexibilité s’applique notamment aux activités pour lesquelles aucun critère d’examen technique n’est en vigueur au moment de l’émission ou à celles menées dans le cadre du soutien international, notamment le financement de l’action climatique ou l’aide publique au développement déclarée selon les accords internationaux.
Deux approches sont prévues (Article 4). Une approche progressive. Avant l’échéance, les fonds issus des obligations vertes européennes doivent être affectés intégralement à des immobilisations (non financières), des dépenses d’investissement, des dépenses d’exploitation engagées dans les trois ans précédant l’émission, des actifs financiers créés dans les cinq ans suivant l’émission et des actifs ou dépenses des ménages. Une approche par portefeuille. Les émetteurs peuvent allouer les fonds à un portefeuille d’immobilisations ou d’actifs financiers, sous réserve du respect des exigences de la taxonomie. Par ailleurs, ces derniers doivent prouver, via leurs rapports, que la valeur totale des actifs du portefeuille dépasse celle des obligations vertes en circulation.
Transparence et obligations des émetteurs d’obligations vertes européennes.
Les émetteurs d’obligations vertes européennes sont soumis à des exigences strictes en matière de transparence afin de garantir une utilisation claire et responsable des fonds levés.
Ces exigences incluent plusieurs étapes essentielles :
D’abord, la préparation de la fiche d’information (Article 10). Avant l’émission, les émetteurs doivent compléter la fiche d’information spécifique aux obligations vertes européennes (Annexe I). Cette fiche, qui détaille notamment l’utilisation prévue des fonds et les objectifs environnementaux visés, doit être approuvée par un examinateur externe dans le cadre d’un examen pré-émission.
Ensuite, la préparation des rapports d’affectation (Article 11). Jusqu’à ce que l’intégralité des produits issus de l’émission soit affectée, et le cas échéant, jusqu’à l’achèvement du plan CapEx, les émetteurs sont tenus de publier, tous les douze mois, un rapport d’affectation (Annexe II). Ce rapport doit rendre compte de l’utilisation des fonds et assurer leur alignement avec les objectifs environnementaux.
S’agissant des dépenses d’investissement et des dépenses d’exploitation, un plan CapEx doit être publié par l’émetteur (Article 7). Ce plan fixe une date limite pour aligner toutes les dépenses sur la taxonomie avant l’échéance de l’obligation. Un examinateur externe doit valider cet alignement.
Une fois que l’intégralité du produit de l’obligation a été affectée, les émetteurs doivent soumettre l’affectation des fonds à un examen post-émission réalisé par un examinateur externe (Article 11). En outre, au moins une fois pendant la durée de vie des obligations, un rapport d’impact (Annexe III) doit être établi et publié (Article 12). Ce document évalue les effets réels des projets financés sur les objectifs environnementaux définis.
Par ailleurs, les émetteurs doivent publier un prospectus conformément au règlement (UE) 2017/1129 (Article 14).
Ces documents doivent être rendus accessibles gratuitement sur le site web de l’émetteur.
Ils doivent rester disponibles pendant au moins un an après l’échéance des obligations concernées (Article 15).
Les conditions spécifiques aux obligations de titrisation.
Les obligations émises aux fins de titrisation synthétique ne peuvent pas porter la désignation d’« obligation verte européenne » ou « EuGB » (Article 17). Les expositions titrisées ne peuvent pas être utilisées pour financer des activités liées aux combustibles fossiles, notamment leur prospection, extraction, production, raffinage, stockage, distribution ou transport (Article 18). Cependant, elles peuvent financer des projets de production d’électricité, de cogénération ou de production de chaleur/refroidissement à partir de combustibles fossiles, sous réserve du respect des critères du principe « ne pas causer de préjudice important ».
Les initiateurs d’obligations de titrisation désignées comme « obligations vertes européennes » ou « EuGB » doivent mentionner explicitement la nature de l’obligation dans leur prospectus, confirmer leur responsabilité dans l’utilisation des produits levés et fournir des informations supplémentaires sur les activités économiques financées (Article 19).
Rôle et obligations des examinateurs externes.
Les examinateurs externes, acteurs essentiels du cadre de supervision des obligations vertes européennes, sont soumis à des exigences strictes afin d’assurer la qualité et l’intégrité de leurs évaluations. Ils doivent être dûment enregistrés auprès de l’Autorité européenne des marchés financiers (AEMF) et satisfaire à des normes pratiques et professionnelles rigoureuses. Leur mission repose sur l’utilisation de systèmes, ressources et procédures appropriés, garantissant des analyses fiables et conformes aux exigences du règlement (Article 22).
Ils ont également l’obligation de s’assurer que leurs équipes – analystes, salariés et autres collaborateurs – possèdent les connaissances, l’expérience et la formation nécessaires pour exécuter leurs tâches avec compétence (Article 28). Par ailleurs, les examinateurs externes doivent maintenir un système de conformité indépendant, permanent et efficace (Article 29). Ce dispositif inclut la mise en œuvre de politiques internes de diligence raisonnable destinées à prévenir les conflits d’intérêts (Article 30).
Leur travail doit s’appuyer sur une analyse approfondie et rigoureuse de toutes les informations disponibles et pertinentes (Article 31). En cas d’erreur méthodologique, il leur incombe de corriger ces erreurs sans délai, tout en en informant l’AEMF ainsi que les émetteurs des obligations vertes européennes concernées (Article 32). Les examinateurs externes sont également tenus de conserver des enregistrements adéquats de leurs activités (Article 34) et de gérer de manière proactive tout conflit d’intérêts potentiel ou avéré, en assurant sa détection, son élimination et sa déclaration (Article 35).
Si certaines de leurs activités peuvent être externalisées à des prestataires tiers, les examinateurs externes restent néanmoins pleinement responsables de la fiabilité et du professionnalisme des évaluations effectuées par ces derniers (Article 36).
Les examinateurs externes doivent veiller à ce que leurs examens, qu’ils soient pré ou post-émission, ainsi que leurs rapports d’impact, soient disponibles sur leur site internet tout au long de la durée de vie des obligations concernées (Article 38). Il leur est cependant interdit de suggérer, directement ou indirectement, que l’AEMF ou une autorité compétente approuve ou valide leurs évaluations (Article 37).
Les examinateurs externes établis dans des pays tiers peuvent également offrir leurs services dans le cadre du règlement, sous réserve que la Commission européenne ait rendu une décision d’équivalence reconnaissant leurs normes comme équivalentes à celles de l’Union européenne (Articles 39 et 40). Ces examinateurs doivent toutefois être enregistrés auprès de l’AEMF, qui conserve le pouvoir de retirer cette approbation pour des motifs justifiés (Article 41).
Ce cadre d’exigences garantit que les examens réalisés par ces entités respectent des standards élevés de professionnalisme, de transparence et de fiabilité, contribuant ainsi à renforcer la crédibilité et l’efficacité des obligations vertes européennes (Article 42).
Un contrôle rigoureux des autorités compétentes.
Le respect des standards imposés par le règlement des obligations vertes européennes repose sur un système de contrôle rigoureux, coordonné entre les autorités nationales et l’AEMF.
Les autorités nationales compétentes jouent un rôle essentiel dans la supervision des émetteurs d’obligations vertes européennes (Article 44). Elles veillent à ce que les modèles communs soient correctement appliqués et disposent de larges pouvoirs de surveillance et d’enquête pour garantir la conformité des pratiques (Article 45). Des mesures conservatoires (Article 48) et des sanctions administratives peuvent être prises (Article 49). En outre, elles coopèrent avec les autres autorités nationales pour mener des enquêtes, partager des informations et appliquer les sanctions nécessaires. Ces autorités communiquent régulièrement leurs observations et informations pertinentes à l’AEMF, consolidant ainsi la supervision au niveau européen (Article 46).
L’AEMF, quant à elle, assure un contrôle centralisé et dispose de prérogatives étendues. Elle peut exiger tout document ou information utile auprès des examinateurs externes (Article 54), mener des enquêtes pour examiner les dossiers, données et procédures des entités concernées (Article 55) ou encore procéder à toute inspection sur place (Article 56). En cas de manquement, elle peut suspendre ou retirer définitivement les droits des examinateurs externes (Article 59) et infliger des amendes comprises entre 20 000 et 200 000 euros (Article 60).
L’AEMF impose également des frais d’enregistrement, de reconnaissance et de surveillance aux examinateurs externes pour couvrir les coûts liés à ses activités (Article 66). Par ailleurs, elle tient un registre public accessible en ligne, recensant les examinateurs reconnus (Article 67).
Un cadre exigeant pour un avenir durable.
Ce règlement marque une avancée majeure pour le marché européen des obligations vertes. Bien que ces exigences puissent représenter un défi pour certains émetteurs, elles offrent aussi l’opportunité de construire un marché plus fiable et compétitif. Toutefois, l’équilibre entre ambition environnementale et attractivité économique sera crucial pour garantir la compétitivité des obligations vertes européennes face à des standards internationaux bien établis.