Le non-respect d’une licence de logiciel doit-il être qualifié de contrefaçon ou de faute contractuelle ?
L’affaire opposant Entr’Ouvert à Orange et Orange Business Services nous a permis d’obtenir une réponse de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) [3] et une autre de la Cour de cassation [4].
Résumé des faits.
La société Entr’Ouvert avait développé le logiciel « Lasso », distribué sous licence libre et commerciale. Lorsque Orange a intégré ce logiciel dans une solution informatique en réponse à un appel d’offres, Entr’Ouvert a considéré cela comme une violation de licence et a poursuivi Orange et Orange Business Services pour contrefaçon devant le Tribunal de grande instance de Paris. Cependant, le tribunal, suivi par la Cour d’appel de Paris, 19 mars 2021(n°19/17493) [5], a jugé l’action irrecevable en se basant sur le principe du non-cumul de responsabilité contractuelle et délictuelle.
Dans le cas du non-respect d’un contrat de licence de logiciel, ce principe n’avait pas encore été clairement posé et reconnu par la jurisprudence nationale.
Dans son arrêt du 5 octobre 2022 (n°21-15.386) [6], la Cour de cassation a validé l’action en contrefaçon en cas de non-respect d’une licence de logiciel.
Le raisonnement de la Cour de cassation.
La décision de la Cour de cassation, qui vient contredire celle de la Cour d’appel de paris, découle de l’interprétation de la réponse de la CJUE [7] à la question préjudicielle posée par la Cour d’appel de Paris dans l’affaire IT Development [8].
Question de la Cour d’appel de Paris :
« Le fait pour un licencié de logiciel de ne pas respecter les termes d’un contrat de licence de logiciel (par expiration d’une période d’essai, dépassement du nombre d’utilisateurs autorisés ou d’une autre unité de mesure, comme les processeurs pouvant être utilisés pour faire exécuter les instructions du logiciel, ou par modification du code source du logiciel lorsque la licence réserve ce droit au titulaire initial) constitue-t-il :
- une contrefaçon (au sens de la directive 2004/48) subie par le titulaire du droit d’auteur du logiciel réservé par l’article 4 de la directive 2009/24 concernant la protection juridique des programmes d’ordinateur
- ou bien peut-il obéir à un régime juridique distinct, comme le régime de la responsabilité contractuelle de droit commun » ?
Réponse de la CJUE :
« La violation d’une clause d’un contrat de licence d’un programme d’ordinateur, portant sur des droits de propriété intellectuelle du titulaire des droits d’auteur de ce programme, relève de la notion d’atteinte aux droits de propriété intellectuelle, au sens de la directive 2004/48 et que, par conséquent, ledit titulaire doit pouvoir bénéficier des garanties prévues par cette dernière directive, indépendamment du régime de responsabilité applicable selon le droit national ».
Selon la Cour de cassation, la Cour d’appel de Paris, dans son arrêt du 19 mars 2021 (n°19/17493) [9], a mal interprété la réponse de la CJUE [10], en concluant à tort que lorsque le manquement contractuel est à l’origine d’une atteinte à un droit de propriété intellectuelle, seule une action en responsabilité contractuelle est admissible.
Désormais, l’ambiguïté sur cette question est dissipée en faveur de l’action en contrefaçon, qui semble être le fondement juridique le plus approprié en cas d’atteinte aux droits de propriété intellectuelle dans un contrat de licence.
En effet, ce fondement ne limite pas l’étendue de la réparation du préjudice, contrairement au fondement contractuel. Mais notons également que dans sa réponse [11], la CJUE ne s’est pas prononcée sur la stratégie à adopter, elle s’est simplement contentée d’affirmer que l’auteur de la licence doit bénéficier des garanties qui lui sont légalement dues.
Par conséquent, devrions-nous conclure que lorsque les garanties contractuelles rejoignent celles prévues par le Code de la propriété intellectuelle, une action en responsabilité contractuelle pourrait être admissible ?