La médiation de la consommation suspend les délais de forclusion.

Par Hugo Petit, Avocat.

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En droit français, la médiation suspend la prescription des litiges, permettant de reprendre le délai où il s'était arrêté. Toutefois, la forclusion, qui ne peut être suspendue en droit français, est influencée par le droit européen, permettant ainsi une protection effective des consommateurs pendant la médiation.
Description rédigée par l'IA du Village

Le droit européen, en particulier en matière de consommation, est une source très importante et très intéressante, qu’il ne faut jamais hésiter à exploiter.

C’est ainsi que, même sur des évidences ancrées chez le juriste français, comme la spécificité de la forclusion par rapport à la prescription, c’est-à-dire l’impossibilité de modifier son cours, le droit communautaire va primer et être susceptible de changer l’issue d’un procès qui n’aurait fait aucun doute au regard de la loi nationale.

-

I. Les effets normaux de la médiation sur la prescription en droit français.

En vertu de l’article 2238 du Code civil :

« La prescription est suspendue à compter du jour où, après la survenance d’un litige, les parties conviennent de recourir à la médiation... »

Il est précisé que la suspension du délai de prescription conduit à reprendre le délai écoulé là où il s’était arrêté, contrairement à l’interruption qui le fait reprendre à zéro.

Quoi qu’il en soit, ce texte s’applique évidemment à la médiation des litiges de la consommation, qui n’est qu’une médiation mise obligatoirement à la disposition du consommateur.

En effet, selon l’article L. 612-1 du Code de la consommation :

« Tout consommateur a le droit de recourir gratuitement à un médiateur de la consommation en vue de la résolution amiable du litige qui l’oppose à un professionnel. À cet effet, le professionnel garantit au consommateur le recours effectif à un dispositif de médiation de la consommation ».

En revanche, les effets de la médiation ne s’étendent pas à la forclusion, qui est, pour faire simple, une prescription dont le cours ne peut être ni interrompu ni suspendu, puisque l’article 2220 du Code civil prévoit précisément que :

« Les délais de forclusion ne sont pas, sauf dispositions contraires prévues par la loi, régis par le présent titre. »

C’était sans compter sur le droit européen.

II. Les effets anormaux de la médiation de la consommation en droit français.

Avant d’évoquer les effets de la médiation de la consommation sur le cours de la forclusion, par exception au Code civil, il faut rappeler que le droit de l’Union prime sur le droit national.

A. La primauté du droit de l’Union européenne.

Dans la hiérarchie française et européenne des normes juridiques, le droit de l’Union est supérieur aux droits nationaux des États membres.

Ces derniers ont ainsi l’obligation, selon la Cour de justice de l’UE, d’atteindre le résultat prévu par les directives et, dans ce cadre, « le devoir de prendre toutes mesures générales ou particulières propres à assurer l’exécution de cette obligation », ce qui s’impose à toutes leurs autorités « y compris, dans le cadre de leurs compétences, aux autorités juridictionnelles » [1].

Dès lors, il incombe aux juridictions françaises « d’assurer la protection juridique découlant pour les justiciables des dispositions du droit de l’Union et de garantir le plein effet de celles-ci » et, ce faisant, d’interpréter le droit national « dans toute la mesure possible, à la lumière du texte ainsi que de la finalité de la directive en cause pour atteindre le résultat fixé par celle-ci » [2].

La Cour de justice va même plus en loin en posant le principe selon lequel, si la juridiction nationale se trouve « effectivement dans l’impossibilité de procéder à une interprétation du droit national qui serait conforme à cette directive, elle [peut laisser] au besoin inappliquée toute disposition de la réglementation nationale contraire » [3].

En toute logique, la primauté du droit communautaire va donc, dans certaines hypothèses, jusqu’à interdire au juge français d’appliquer sa propre réglementation.

B. La suspension du cours de la forclusion par la médiation de la consommation.

1. Le droit européen de la médiation des litiges de consommation.

L’obligation pour les professionnels de mettre à disposition des consommateurs un dispositif de médiation est issue de la directive 2013/11/UE du 21 mai 2013, dont l’objectif est, selon ses termes mêmes, d’« assurer un niveau élevé de protection des consommateurs ».

Néanmoins, sur le fondement du droit à un recours effectif et à un procès équitable définis par l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, la directive prévoit que dans les cas où un litige n’a pas pu être résolu par une procédure de médiation donnée, les parties ne doivent pas être « empêchées par la suite d’engager une action en justice en rapport avec ce litige en raison de l’expiration du délai de prescription au cours de [celle-ci] » [4].

Il est précisé que le droit européen ne connaît pas la notion de délai de forclusion, faisant qu’il apparaissait parfaitement logique et cohérent avec les objectifs de la directive et les droits fondamentaux susmentionnés que l’expiration d’un tel délai au cours de la procédure de médiation n’empêche pas davantage les parties à celle-ci d’engager ensuite une action en justice.

2. L’obligation pour le juge français d’écarter l’impossibilité de modifier le cours de la forclusion au regard du droit européen de la médiation de la consommation.

C’est dans ce contexte juridique que, après une vaine procédure devant le médiateur compétent, la cliente d’une banque a saisi le tribunal judiciaire de Niort en remboursement d’une opération, réalisée 18 mois plus tôt, qu’elle estimait non autorisée par ses soins.

La banque s’est opposée à cette demande en soutenant, notamment, que sa cliente ne lui avait pas notifié ce problème dans le délai de forclusion de treize mois, condition indispensable posée par le Code monétaire et financier pour permettre le remboursement d’une opération non autorisée.

Or, ce délai de treize mois avait précisément expiré durant le processus de médiation.

Au regard du droit français, la médiation n’aurait pas dû avoir le moindre effet sur ce délai de forclusion, rendant ainsi irrecevable la cliente en sa demande de remboursement.

C’était bien évidemment la position de la banque.

La cliente, elle, s’est défendue contre la forclusion sur le fondement du droit européen ci-dessus exposé.

Le juge compétent a décidé que :

« Si le droit français distingue le délai de forclusion du délai de prescription, délai de forclusion qui ne peut être suspendu en raison de son caractère préfix, force est de constater que cette règle constitue une restriction disproportionnée à l’exigence du niveau de protection élevé du consommateur et au droit au recours effectif et au droit à un procès équitable garantis par les articles 47 de la charte des droits fondamentaux et l’article 6 de la convention européenne des droits de l’Homme.

[…]

En conséquence il existe un droit effectif de la suspension de la forclusion pendant les opérations de médiation instaurées par l’article L 612-1 du Code de la consommation.

[…]

Il convient donc de ne pas appliquer les dispositions restrictives du droit français opérant une distinction entre le régime de la suspension de la prescription et le régime de la suspension de la forclusion dans les relations consuméristes à l’effet de constater la suspension du délai de forclusion durant les opérations de médiation conventionnelle et qu’ainsi le terme de l’échéance du délai de treize mois a été reporté.

[La cliente] n’était pas forclose… »

Cette décision est devenue définitive.

Ainsi, particulièrement en droit de la consommation, même lorsque la solution juridique à un litige semble entendue au regard du droit français, le droit européen peut être d’un immense secours.

Il ne faut donc jamais hésiter à analyser les directives et leurs objectifs pour en faire surgir d’éventuelles contradictions illégales avec les dispositions françaises défavorables et forcer ainsi le juge à les écarter ou les interpréter en faveur du consommateur.

Hugo Petit
Avocat au Barreau de Paris
https://phavocat.fr/

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Notes de l'article:

[1voir, en ce sens, CJUE, grande chambre, 19 avril 2016, affaire C 441/14, point 30
Ou encore les arrêts von Colson et Kamann, 14/83, EU:C:1984:153, point 26, ainsi que Kücükdeveci, C 555/07, EU:C:2010:21, point 47

[2voir, en ce sens, CJUE, grande chambre, 19 avril 2016, affaire C 441/14, point 29 ; Ou encore les arrêts Pfeiffer e.a., C 397/01 à C 403/01, EU:C:2004:584, point 111, ainsi que Kücükdeveci, C 555/07, EU:C:2010:21, point 45

[3voir, en ce sens, CJUE, grande chambre, 19 avril 2016, affaire C 441/14, point 31 ; Ou encore les arrêts Pfeiffer e.a., C 397/01 à C 403/01, EU:C:2004:584, points 113 et 114, ainsi que Kücükdeveci, C 555/07, EU:C:2010:21, point 48

[4Considérant 45 et article 12 de la directive 2013/11/UE du 21 mai 2013.

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Discussions en cours :

  • Dernière réponse : 18 décembre à 18:37
    par Bertrand Jacques , Le 26 novembre à 15:15

    Intéressé par cette décision du TJ de Niort , serait-il possible d’en connaître la date et la revue dans laquelle elle à été publiée ? Merci

    • par Hugo Petit , Le 28 novembre à 16:04

      Bonjour,

      Cette décision émane du juge de mise en état du TJ de Niort.

      Elle n’a pas été publiée, mais obtenue par mes soins dans l’un de mes dossiers.

      Je vous invite à m’envoyer un mail si vous en souhaitez une copie.

      Bien à vous.

    • par GIEULES , Le 18 décembre à 18:37

      Bonjour,
      Pourriez-vous s’il vous plait m’adresser cette décision rendue par le TJ de Niort ?

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