Licenciement pour faute grave/faute lourde : motifs et conséquences.

Par M. Kebir, Avocat.

9009 lectures 1re Parution: Modifié: 2.71  /5

Le manquement aux règles disciplinaires de l’entreprise est assorti de sanction, proportionnée à la faute commise.
Fondamentalement, la discipline couvre l’ensemble des règles de conduite, insérées au règlement intérieur - et ses adjonctions, tendant à préserver le vivre ensemble et assurer le fonctionnement normal de l’entreprise.
Différemment encadrés, les actes relevant de la vie privée du salarié ne peuvent, sauf abus, justifier un licenciement disciplinaire, indépendamment du trouble objectif causé à l’organisation.
Tel est le cas, tout aussi, de l’insuffisance professionnelle - inhérente à l’activité professionnelle, exclusive de toute faute disciplinaire.

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Les actes fautifs du salarié, suivant la qualification de la gravité retenue, induisent des effets variables sur la relation de travail [Voir notre publication "Contrat de travail : les fautes du salarié et les atténuations au pouvoir de sanction de l’employeur"]. Outre les principes directeurs posés par le Code du travail, la Jurisprudence a successivement étoffé le régime des fautes, sanctionnant l’attitude du salarié, par une abondante création prétorienne, procédant par une appréciation, in concreto des faits. Et, simultanément, l’intention du salarié.

Échelle de gravité de la faute disciplinaire.

La sanction disciplinaire concerne, en vertu de l’article L1331-1 Code du travail, "toute mesure, autre que les observations verbales, prise par l’employeur à la suite d’un agissement du salarié considéré par l’employeur comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l’entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération."

Dit autrement, pour toute autre sanction, la Jurisprudence impose, formellement, de notifier la sanction au salarié.

Sur le fond, décision unilatérale de rupture, le licenciement importe la démonstration d’une "cause sérieuse et sérieuse" [1].

En cela, la faute sérieuse doit revêtir une certaine gravité. A contrario, la faute légère – non susceptible, souvent, de fonder un licenciement, souverainement appréciée par le juge du fond, concerne des faits insuffisamment réels et sérieux.

La faute légère.

La faute simple peut être une cause de licenciement dès lors que le motif est réel et sérieux.

Concrètement, la qualification doit être proportionnée à la faute. En ce sens que, d’une part, le comportement du salarié ne perturbe pas, réellement et durablement, le fonctionnement de l’entreprise, et, d’autre, ne justifiant pas la rupture immédiate de la relation de travail.

A l’évidence, il est loisible, ici, à l’employeur de sanctionner le salarié sinon par un blâme, du moins un avertissement. C’est le cas, par exemple, du retard occasionnel de l’employé, ou l’insubordination de celui-ci : le salarié refuse d’exécuter de nouvelles tâches pourtant de sa compétence et sans que cela ait pu entraîner une modification des horaires de travail [2].

D’ailleurs, le salarié licencié pour faute simple aura droit à l’indemnité de licenciement, l’indemnité compensatrice de congés payés et le préavis doit être exécuté, sauf opposition de l’employeur - laquelle s’analyse comme dispense : le salarié perçoit l’indemnité y afférente comme si le préavis avait été exécuté.

Notons que la sanction des faits fautifs est enserrée dans un court délai de deux mois :
"Aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuites disciplinaires au-delà d’un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l’exercice de poursuites pénales." [3].

Caractérisant des faits revêtant une gravité telle que le maintien de la relation de travail devient impossible, les fautes graves et lourdes constituent des causes réelles et sérieuses du licenciement.

La faute grave.

Sous l’angle de la hiérarchie des fautes, la "faute grave" repose sur une gravité des faits supérieure à la faute simple et inférieure à la faute lourde. Elle se définit comme le manquement qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise, pendant l’exécution du préavis.
Dès lors, elle requiert l’application de la procédure de licenciement à la suite de la connaissance des faits. Aussi se distingue-t-elle de la faute lourde. Laquelle suppose l’intention de nuire de son auteur.

En substance, la différence entre la faute grave et la faute lourde se joue sur l’intention du salarié de nuire à l’entreprise- acte volontaire et délibéré. La faute grave ne nécessite guère une telle intention de causer un préjudice pour être admise [4].

Par sa Jurisprudence, la Chambre sociale de la Cour de cassation a posé le cadre entourant le licenciement pour faute grave et le licenciement pour faute lourde.

Au fond, la faute grave "résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise pendant la durée du préavis" [5].

D’un côté, la faute grave exige l’absence de préavis. [6].
De l’autre, elle doit être caractérisée de telle sorte que la faute commise par le salarié justifie son éviction immédiate de l’entreprise [7].

En clair, la faute grave est exclusive de tout préavis : "L’employeur qui a laissé le salarié exécuter son préavis ne peut plus invoquer une faute grave" [8].

Eu égard, à la fois, à la gravité des faits et leurs conséquences sur le contrat de travail "la mise en œuvre de la procédure de licenciement doit intervenir dans un délai restreint après que l’employeur a eu connaissance des faits fautifs allégués et dès lors qu’aucune vérification n’est nécessaire" [9].

En d’autres termes, la faute est tellement grave qu’elle nécessite que le salarié cesse dans la foulée ses fonctions. Ceci en fonction de la nature de la mise à pied afférente - provisoire ou définitive (voir infra).

De même, la notion de "gravité" ne requiert point un ensemble de faits d’une certaine gravité : une seule faute suffit à constituer une faute lourde, à l’instar des violences ou injures envers l’employeur ou d’autres salariés [10].

Pourtant, le comportement violent d’un salarié qui est la conséquence directe du harcèlement moral ne constitue pas une faute grave :
"Ayant constaté que l’agression verbale commise par le salarié résultait de son état pathologique, conséquence du harcèlement moral dont il était victime, elle a pu en déduire que ce comportement ne constituait pas une faute grave rendant impossible le maintien de l’intéressé dans l’entreprise" [11].

Toujours est-il que la faute grave ne peut être constituée d’un ensemble d’actes qui ne sont pas graves isolément [12].

S’agissant du formalisme, la procédure est régie par les dispositions de l’article L1332-4 Code du travail :
"Aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuites disciplinaires au-delà d’un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l’exercice de poursuites pénales".

A cet égard, en considération des circonstances, le déclenchement de la procédure disciplinaire ne doit souffrir aucune tardiveté. Étant précisé que :
"La faute grave étant celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise, la mise en œuvre de la rupture du contrat de travail doit intervenir dans un délai restreint après que l’employeur a eu connaissance des faits allégués dès lors qu’aucune vérification n’est nécessaire" [13].

De surcroît, l’absence plongée du salarié est sans effet sur la caractère de la faute : compte-tenu de l’absence de la salariée, dont le contrat de travail était suspendu...l’écoulement de ce délai ne pouvait avoir pour effet de retirer à la faute son caractère de gravité [14].

Tantôt prise en guise de sanction disciplinaire, tantôt actant une étape formelle précédant la sanction, la nature de la mise à pied doit être précisée par l’employeur.

La mise à pied.

​​En cas de faute grave matériellement établie, l’employeur peut, dans l’attente de la sanction définitive, notifier, au salarié, une mise à pied conservatoire.
Sur ce point, s’agissant d’une sanction à durée déterminée, la mise à pied disciplinaire se distingue par son incidence, temporaire, sur la carrière du salarié.

A contrario, étape préalable à la sanction disciplinaire (avertissement, blâme), ou licenciement pour insuffisance professionnelle, la mise à pied conservatoire consiste en une mesure d’éloignement, antérieure à la prise de décision relative au contrat de travail [15].

C’est dire que, ici, la mise à pied suppose une sanction postérieure. Laquelle interviendra à la suite, par exemple, d’une enquête interne (délai de 13 jours) [16].
En outre, la mise à pied conservatoire est à durée indéterminée puisqu’elle court jusqu’à la prononciation de la sanction définitive.

Néanmoins, la mise à pied disciplinaire repose sur une procédure propre - à la différence de la mise à pied conservatoire. En cela, le salarié doit être nécessairement convoqué à un entretien - dans un délai raisonnable - de sorte qu’il puisse préparer sa défense.

Sur le fond, en tant que sanction à part entière, la faute faisant l’objet d’une mise à pied doit suffisamment être grave. Entorse à la conduite nécessairement contenue dans le règlement intérieur [17]. Sur le plan procédural, la mise à pied disciplinaire, quand à elle, est prononcée pour une durée déterminée [18].

Par ailleurs, la Cour régulatrice a récemment rappelé que la mise à pied conservatoire reste une mesure facultative pour justifier un licenciement pour faute grave :
"L’employeur n’est pas tenu de procéder à une mise à pied conservatoire avant d’engager une procédure disciplinaire…le comportement véhément, agressif et physiquement menaçant, dont le salarié avait fait preuve...était de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail [19].

Soumis à un régime distinct, le licenciement d’un salarié protégé est assujetti, entre autres, à l’autorisation de l’inspecteur du travail [20].

En substance, la faute grave a un double effet : mise à pied du salarié et sa privation de certains droits attachés au licenciement.

Proche mais différente est la faute lourde. C’est la Chambre sociale qui a dégagé les critères des manquements constitutifs de la faute lourde.

La faute lourde.

Substantiellement distincte de la faute grave de par l’intention de nuire qui la caractérise, la Haute assemblée invite, toutefois, à ne pas confondre intention de nuire et caractère volontaire de l’acte :
"Si le délit de vol comporte un élément intentionnel, celui-ci n’implique pas, par lui-même , l’intention de nuire à l’employeur" [21].

En tout état de cause, il convient de préciser que, nonobstant la gravité de la faute, l’employeur n’est pas fondé à réclamer au salarié à lui verser des dommages-intérêts consécutivement au préjudice causé par sa faute lourde [22].

Qui plus est, peu important la gravité du manquement du salarié - si la faute cause un sérieux dommage (en l’espèce, un accident mortel de la circulation), il convient, en outre, de rapporter la preuve de l’intention de nuire à l’employeur ou à l’entreprise :
"Mais attendu que la faute lourde suppose l’intention de nuire et qu’ayant constaté que cette intention faisait défaut, la cour d’appel, qui n’était pas tenue de faire la recherche prétendument omise que ses constatations rendaient inopérantes, a légalement justifié sa décision" [23].

Pareillement, la qualification de la faute s’apprécie indépendamment du préjudice subi par l’employeur : "La faute lourde est caractérisée par l’intention de nuire à l’employeur, laquelle implique la volonté du salarié de lui porter préjudice dans la commission du fait fautif et ne résulte pas de la seule commission d’un acte préjudiciable à l’entreprise." [24].

C’est le cas, notamment, de l’abus de biens sociaux, préjudiciable à l’entreprise :
"Le salarié avait usé de sa qualité de directeur d’usine pour s’attribuer le bénéfice d’une prime exorbitante représentant plus de six fois son salaire annuel, dont il connaissait l’impact sur l’entreprise et le caractère irrégulier de la fixation" [25].

Même raisonnement est retenu par la Haute cour concernant la condamnation pénale du salarié, qui s’en prend physiquement à l’employeur ou à son représentant :
"La cour d’appel, qui a relevé que le salarié avait grossièrement insulté le gérant de la société et que seule l’intervention d’un tiers avait permis d’éviter qu’il ne se livre à des voies de fait sur la personne du gérant, a ainsi fait ressortir l’intention du salarié de nuire à l’employeur" [26].

Laquelle faute lourde est retenue dans une autre circonstance : le salarié proférant des menaces de mort en cours d’un entretien disciplinaire, volontairement et de manière préméditée [27]. Idem pour ce qui concerne l’agression du gérant de la société, à l’origine d’un traumatisme crânien avec une incapacité totale temporaire de travail de quinze jours [28].

Reçoivent la même qualification les actes constitutifs de concurrence déloyale, à l’instar du salarié qui avait conservé des fichiers stratégiques de l’entreprise pour les remettre à ses nouveaux collègues justifiant, dès lors, son intention de nuire sur la base d’actes de concurrence déloyale :
"Le salarié avait conservé des fichiers stratégiques, fourni à ses nouveaux collègues des informations confidentielles sur les produits commercialisés par son ancienne entreprise, et démarché des clients de celle-ci", d’où "l’existence d’actes de concurrence déloyale relevant de l’intention de nuire" [29].

S’agissant de l’indemnisation de la rupture, la faute lourde produit les mêmes effets que la faute grave [30].En effet, le paragraphe "dès lors que la rupture du contrat de travail n’a pas été provoquée par la faute lourde du salarié" figurant au deuxième alinéa de l’article L3141-26 du Code du travail est déclaré contraire à la Constitution, par les Sages de la rue Montpensier.

Par voie de conséquence, le salarié licencié pour faute lourde perçoit l’indemnité compensatrice de congés payés. Cependant, il est privé de son indemnité de licenciement et de son droit à exécuter le préavis.

En conclusion, il importe de rappeler que les conflits au travail peuvent, d’abord, être évités via la prévention primaire et la QVCT [31] et, ensuite, trouver un accord pacifié au moyen des modes amiables. Au premier rang desquels la médiation : espace de dialogue ; moment de rationalité. Un vivier aux solutions inimaginables.

Me. Kebir
Avocat à la Cour - Barreau de Paris
Médiateur agréé, certifié CNMA
Cabinet Kebir Avocat
E-mail : contact chez kebir-avocat-paris.fr
Site internet : www.kebir-avocat-paris.fr
LinkedIn : www.linkedin.com/in/maître-kebir-7a28a9207

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Notes de l'article:

[1Article L1232-1 Code du travail

[2Cass, Soc. 8 octobre 1980 n° 79-40.442

[3Article L1332-4 Code du travail

[4Cass. Soc. 7 mai 1986, n°83-43479

[5Cass. Soc.27 sept 2007, RJS 12/07. n°1261

[6Cass. Soc. 26 févr. 1991, n° 88-40.908

[7Cass. Soc. 27 sept. 2007, n° 06-43.867

[8Cass. Soc. 15 mai 1991, n° 87-42.473

[9Cass. Soc. 11 févr. 2015, n° 13-27.901 inédit

[10Cass. Soc. 25 octobre 2007 n° 06-41064

[11Cass. Soc. 12 mai 2021 n° 20-10.512

[12Cass. Soc., 17 avril 2019, n° 18-10.632

[13Cass. Soc., 6 octobre 2010, n° 09-41.294

[14Cass. Soc., 9 mars 2022, n°20-20.872

[15Article L1332-3 code du travail

[16Cass. Soc., 13 septembre 2012, n°11-16.434

[17Cass. Soc., 26 octobre 2010, n°09-42740

[18Articles L1332-1 et L1332-3 Code du travail

[19Cass. Soc. 9 février 2022 n° 20-17.14

[20Article L2411-1 Code du travail

[21Cass. Soc. 26 oct. 2004, n° 02-42.843 inédit

[22Cass. Soc. 25 janv. 2017, n° 14-26.071

[23Cass.Soc. 29 avr. 2009, n° 07-42.294 inédit

[24Cass.Soc. 22 oct. 2015, n° 14-11.801 et Cass.soc no 14-11.291. Cass.Soc. 4 juill. 2018, n° 15-26.687

[25Cass. Soc. 2 juin 2017, n° 15-28115

[26Cass. Soc. 15 oct. 1996, n° 93-41.983

[27Cass. Soc. 4 juill. 2018, n° 15-19.597

[28Cass. Soc. 28 mars 2018, n° 16-26.013

[29Cass. Soc. 6 oct. 2017, no 16-14.385

[30Cons. Const. 2 mars 2016, n° 2015-523 QPC

[31Qualité de vie et conditions de travail

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