[Libres propos] Pourquoi la profession d'avocat doit aujourd'hui évoluer vers le contrat d'apprentissage et mettre un terme au non-statut de l'élève-avocat. Par Gwenaëlle Vautrin, Avocate-Enseignante et Alicia Robinault, Elève-Avocate.

[Libres propos] Pourquoi la profession d’avocat doit aujourd’hui évoluer vers le contrat d’apprentissage et mettre un terme au non-statut de l’élève-avocat.

Gwenaëlle Vautrin, avocate-enseignante et première vice-présidente de l’IXAD
et Alicia Robinault, élève-avocate à l’IXAD

Les instances nationales de la profession d’avocat (Conférence des bâtonniers et Conseil national des barreaux) se sont penchés au printemps 2025 sur la possibilité, pour les écoles d’avocats, de mettre en place un contrat d’apprentissage pour leurs prochaines promotions, et s’y sont déclarées favorables.
Cela permet de mettre fin à une situation inique, que nous décrivent ici Alicia Robinault, élève-avocate à l’IXAD et représentante des élèves au conseil d’administration de l’école, et Gwenaëlle Vautrin, avocate-enseignante et première vice-présidente de l’IXAD.

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Alicia Robinault : « Un article du Parisien du 4 novembre dernier, consacré à la précarité des élèves-avocats, a mis en lumière ce que la plupart des élèves vivent aujourd’hui : la perte de notre statut étudiant, la perte consécutive de nombreuses aides auxquelles nous n’avons plus accès de ce fait, des fins de mois difficiles pour beaucoup d’élèves, avec en plus des galères à gérer ! Les élèves-avocats, qui ont fait leur stage Projet Pédagogique Individuel (PPI) en juridiction, n’ont reçu leurs gratifications de décembre 2024 qu’en février 2025, en raison du contexte politique qui n’a pas permis de voter les crédits des juridictions en temps et en heure.

Certains élèves m’ont contactée en me disant que cette situation les mettait en grande difficulté financière, car ils ont fait l’avance des dépenses à assumer : loyers, prêts à rembourser pour beaucoup, charges de la vie courante, frais de déplacement… »

Gwenaëlle Vautrin : « C’est effectivement une situation à déplorer ; les élèves-avocats que tu évoques ont fait le choix d’une rétribution moindre, pour découvrir la vie des tribunaux, et ils sont doublement sanctionnés : moins de gratification mensuelle et un décalage de trésorerie qui les pénalise plusieurs mois.

Je sais que certains d’entre vous, pourtant financièrement fragiles, font le choix du PPI en juridiction, plutôt que d’opter pour un stage plus rémunérateur de 6 mois qui pourrait en partie financer leurs études à l’école ».

Alicia : « C’est vrai, notre stage PPI peut pour certains élèves, devenir une modalité de financement du cursus à l’école ; pour les élèves en difficulté, le choix va se porter sur une entreprise qui peut te payer jusqu’à 2 000 euros brut par mois, alors que la rémunération minimale d’un PPI est de 650 € par mois. »

Gwenaëlle : « Oui et certains braconniers du droit le savent ! Certains d’entre vous se sont retrouvés exploités et malmenés par des entreprises hors-la-loi qui vous utilisent comme seules ressources !

Les désagréments que vous subissez ne s’arrêtent pas aux seuls stages PPI, stage que j’ai eu le plaisir de partager avec toi ; c’est à cette occasion que j’ai découvert ta vie d’élève-avocate au quotidien, ce qu’induisait l’entrée à l’école des avocats, avec la perte de ton statut étudiant, et tes 18 mois d’enseignement effectués dans une « zone de non-droit » extrêmement préjudiciable, notamment sur le plan financier. »

Alicia : « C’est vrai, perdre le statut étudiant, c’est perdre le droit aux bourses du Crous, l’accès aux prêts étudiants. Nous perdons aussi les réductions du quotidien sur de nombreuses activités, comme le cinéma, les spectacles ou encore bien d’autres sur le plan alimentaire.

Pour le restaurant universitaire, nous n’avons plus accès aux tarifs préférentiels à 1 euro… et je ne te parle pas de la mutuelle pour laquelle nous devons batailler pour avoir un tarif convenable si nous n’en bénéficions plus de manière obligatoire par un tiers.

N’étant plus étudiante, la mutuelle de mes parents m’a exclu (ils bénéficiaient d’un tarif famille) et j’ai dû souscrire mon propre contrat ; mes parents payent le même prix pour leur contrat, mais moi, j’ai des dépenses supplémentaires pour couvrir mes frais de santé, avec des garanties moindres. »

Gwenaëlle : « Je me souviens d’un entretien téléphonique en août 2024… tu étais bouleversée, car tu devais sortir de ta poche près de 350 euros pour des frais dentaires.

Les difficultés auxquelles les élèves sont aujourd’hui confrontés résultent d’une évolution majeure dommageable que notre profession doit intégrer dans sa réflexion actuelle : vous ne bénéficiez plus de la plupart des aides d’État depuis 2023.

Le Conseil d’État a décidé, dans ses arrêts des 30 juin et 29 décembre 2023, qu’en raison de votre absence de statut, vous n’étiez plus éligibles à la prime d’activité et au RSA ; pour 2024, le RSA représentait un montant mensuel de 635,71 euros et la prime d’activité 622,63 euros par mois.

En pratique, la perte de ces revenus a contribué à accroître vos situations de précarité depuis les promotions 2023 ; et malheureusement, votre précarité va s’accentuer !

Pour ceux d’entre vous qui sont bénéficiaires du régime des allocations chômage, les dossiers sont de moins en moins admis dans le contexte économique difficile actuel, que nous traversons ; France Travail recherche des économies. »

Alicia : « Oui, je te confirme que la situation de précarité s’est accélérée depuis 2023 ; les élèves des promotions depuis 2023 se sont retrouvés pour certains dans des situations de très grande difficulté, avec les aides à rembourser rétroactivement, avec en plus celles de la Caisse d’allocations familiales !

Aujourd’hui, il nous reste l’APL ; si nous voulons percevoir les APL, nous devons indiquer dans la déclaration que nous sommes étudiants, et pas stagiaires, sinon nous n’y avons pas droit… Quelquefois, nous avons la chance de rencontrer des interlocuteurs de caisse qui nous aident pour monter notre dossier, mais ce n’est pas toujours le cas.

Pour les élèves-avocats, qui souhaitent faire financer leur formation par France Travail, on a l’impression de revivre l’imbroglio RSA et prime d’activité.

France Travail raisonne au cas par cas, des étudiants sont admis, d’autres pas ; même chose pour le bénéfice de la rémunération de formation France Travail (RFFT) car là aussi, nous ne savons pas si c’est le régime étudiant stagiaire de la formation professionnelle qui s’applique.

En pratique, parce que nous ne cochons aucune case, les organismes ont le pouvoir de rejeter nos demandes.

Pour les plus chanceux qui arrivent à bénéficier d’un financement du prix de la formation par France Travail, désormais à hauteur de 1 900€, ils doivent avancer les frais pour ensuite être remboursés. Je sais que d’anciennes promotions n’ont été remboursées du prix de l’école qu’après leur prestation de serment, soit presque deux ans après le paiement initial. »

Gwenaëlle : « Il est à craindre, pour les prochaines promotions, une cessation des financements par France Travail, alors qu’un certain nombre d’élèves effectue sereinement sa scolarité en cas d’admission à ce régime.

Je suppose que pour les élèves Dont les parents ne peuvent pas aider financièrement, il existe des solutions de prêts bancaires ? »

Alicia : « Oui, certains souscrivent des prêts bancaires avec pour corollaire de ne pas toujours pouvoir bénéficier de prêts étudiants, donc à des taux plus élevés.

Ces prêts pour pouvoir financer les 18 mois d’école s’ajoutent souvent aux prêts que bon nombre d’étudiants a déjà souscrit pour passer l’examen d’entrée à l’école d’avocat. En effet, beaucoup d’élèves investissent dans des préparations annuelles ou estivales, pour maximiser leurs chances d’intégrer l’école (le coût de ces prépas est de l’ordre de 2 000€).

Quand tu ajoutes le coût de ces prépas, aux frais d’inscription de l’école (1 825€), tu peux constater que le coût des gratifications PPI (650€ par mois) et des gratifications pour le stage final (démarrant à 1 000€ par mois) induit pour certains un quotidien difficile, sans compter que certains ont déjà à leur charge les premières échéances de prêt étudiant à rembourser.

Quand tu sais qu’il faut désormais un Master 2, pour intégrer les écoles d’avocats, pour certains élèves, l’endettement devient très vite un sujet difficile. »

Gwenaëlle : « Oui, une année de plus d’endettement pour les étudiants qui n’ont pas de moyens financiers… C’est un nouvel effort financier pour les plus fragiles d’entre vous ; le CNB a conscience de ces difficultés d’où la mise en place des aides sur critères sociaux, sans oublier les aides mises en place par les écoles d’avocats ; malheureusement, ces aides sont souvent insuffisantes pour les plus précaires d’entre vous. »

Alicia : « Je t’avoue que beaucoup d’élèves-avocats attendent avec impatience l’adoption d’un projet qui pourrait nous accorder enfin un statut, et le statut d’apprenti est celui qui a notre préférence ; pour nous, ce serait la garantie d’un statut légal qui est reconnu, et d’une stabilité financière mensuelle qui mettrait fin à toutes les situations de précarité et d’incertitude actuelles. »

Gwenaëlle : « La profession se prononce en fin de semaine, avec la conférence des bâtonniers, et je ne doute pas que les difficultés majeures que vous rencontrez amèneront l’ensemble des instances nationales à un consensus permettant de vous garantir des conditions dignes d’enseignement. »

Alicia : « Les élèves-avocats suivent avec attention l’évolution des débats sur la question de notre nouveau statut, et quelques-uns se sont demandés si la profession souhaitait réellement des changements. »

Gwenaëlle : « La prise de conscience de la profession pour faire évoluer votre statut est unanime ! L’ancienne mandature du CNB a d’ailleurs confié la mission aux actuels élus (mandature 2024-2026) de travailler sur votre nouveau statut ; comme le contrat d’apprentissage est innovant pour la profession, il reste des points juridiques et techniques à valider, sans oublier la question du financement.

Il est évident que la mise en place d’un contrat d’apprentissage induira nécessairement un coût financier supplémentaire pour les cabinets d’avocats ; en contrepartie, vous seriez amenés à travailler davantage pour les cabinets pendant votre cursus à l’école, ce qui semble être un consensus cabinets-élèves. »

Alicia : « Effectivement, quand nous entrons à l’école, l’objectif est de travailler au maximum en cabinet. En effet, après toutes ces années d’études théoriques, c’est au sein des cabinets que nous souhaitons désormais être. C’est le moment où nous pouvons enfin passer à la pratique, apprendre les usages de la profession et bénéficier d’une véritable transmission des savoirs et de la déontologie. Certains élèves m’indiquent qu’un stage PPI de 6 mois leur semble trop long et qu’ils préféreraient être en cabinet pour apprendre leur véritable profession. »

Gwenaëlle : « Effectivement, j’ai discuté avec plusieurs élèves et vu sur les réseaux sociaux que certains élèves n’étaient pas en phase avec un PPI de 6 mois, justement parce qu’ils préféraient s’investir davantage en cabinet, alors que d’autres élèves le plébiscitent (notamment les élèves qui font leurs stages PPI à l’ENM).

Alicia, au-delà de la durée du PPI, as-tu un autre message à faire passer à nos représentants nationaux ? »

Alicia : « Oui, je serai diplômée à la fin de cette année, mais je souhaite de tout cœur que la future promotion 2026 soit celle qui puisse bénéficier des conditions d’enseignements sous statut d’apprentissage ; ce n’est pas seulement mon attente, mais c’est aussi celles de tous les élèves qui souhaitent que les futures promotions ne soient plus confrontées aux difficultés d’aujourd’hui.

Et toi, Gwenaëlle, as-tu un message en particulier à faire passer ? »

Gwenaëlle : « J’ai récemment déjeuné avec une amie qui a repris la direction de l’école de commerce où elle a fait sa scolarité ; elle a été confrontée aux mêmes constats et à la situation financière difficile d’une grande partie de ses étudiants, qui n’était pas rémunérée en dehors des stages ; elle a décidé de mettre en place le statut d’apprenti pour son école, transformée en CFA, afin de garantir un revenu mensuel à ses étudiants, avec pour corollaire, un enseignement pratique accru en entreprise

Les entreprises à qui elle a expliqué sa démarche lui ont objecté que le contrat d’apprentissage induirait un coût financier supplémentaire, car elles ne bénéficieraient pas certains mois de la présence en leur sein des étudiants ; j’ai trouvé que sa réponse était pleine de sens : “vous êtes aujourd’hui des acteurs majeurs et impliqués du changement sociétal, vous me suivez ou non dans cette transformation indispensable que je vous propose dans l’intérêt de nos jeunes générations ?

Aujourd’hui, son école [1] permet à tous les étudiants de bénéficier du contrat d’apprentissage et les promotions sont chaque année plus importantes, tout comme d’ailleurs les entreprises qui la sollicitent.

L’apprentissage est un statut légal qui vous intègrerait pleinement dans les cabinets, tout en étant pleinement opposable aux organismes sociaux, qui seraient tenus de vous faire bénéficier des aides légales encore possibles (type APL…) sans possibilité d’exclusion.

Envisager un autre statut sui generis, propre à la profession, ferait prendre le risque d’un nouveau statut non reconnu, qui ne résoudrait pas vos problématiques actuelles.

Lors de la dernière rentrée, plusieurs écoles ont été confrontées à des situations d’extrême détresse d’élèves ayant clairement annoncé qu’ils étaient contraints de dormir dans leurs voitures pendant leur scolarité.

Nous ne pouvons plus accepter cette précarité grandissante à laquelle nous avons la possibilité de mettre un terme dès ce vendredi 28 mars 2025.

Je ne doute pas que les bâtonniers s’engageront à vos côtés à l’occasion de ce rendez-vous historique. »

NDLR : La Conférence des Bâtonniers s’est déclarée (après vote) en mars 2025 favorable à l’introduction du contrat d’apprentissage comme modalité complémentaire de formation initiale des élèves avocats (pour à 69,90%) ; [2].

Le Conseil National des Barreaux a, dans la foulée, "adopté le recours au contrat d’apprentissage comme voie possible de formation des élèves avocats en complément de celle de la convention de stage". La Commission Formation du CNB a été mandatée pour coordonner la mise en place du contrat d’apprentissage au profit des élèves avocats commençant leur formation à compter du 1ᵉʳ janvier 2026 [3].

Gwenaëlle Vautrin, avocate-enseignante et première vice-présidente de l’IXAD
et Alicia Robinault, élève-avocate à l’IXAD

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Notes de l'article:

[1ESC Compiègne.

[3Source : Résolution du Conseil National des Barreaux sur le statut de l’élève avocat et le contrat d’apprentissage adoptée par l’assemblée générale le 11 avril 2025.

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