Comme toute autre entité, les entreprises commerciales sont confrontées à des évènements positifs et négatifs qui marquent leur existence. Pour survivre à ces événements, en particulier ceux de nature négative, les entreprises doivent s’adapter aux fluctuations économiques en recourant à diverses formes de restructuration. La restructuration peut être définie comme l’ensemble des opérations qui modifient la structure d’une société. Il s’agit d’un processus qui permet aux entreprises de faire face aux difficultés résultant des changements sociaux, économiques, financiers et juridiques, ainsi qu’aux contraintes et pressions du marché.
La restructuration devient alors un impératif absolu, sans lequel les entreprises ne pourraient pas rester compétitives et assurer leur croissance. Parmi les opérations de restructurations reconnues en droit Ohada, citons notamment la fusion, la scission, l’apport partiel d’actif, la transformation de société, l’achat ou la vente de fonds de commerce (lorsque cette vente ou achat contribue à un changement dans la structure de l’entreprise concernée).
On se contentera de pencher notre réflexion sur les opérations de fusion.
La fusion est un processus juridique défini par l’article 189 de l’Acte Uniforme relatif au droit des sociétés commerciales (AUDSC-GIE). Ce processus permet à deux ou plusieurs sociétés de s’unir pour former une seule entité, soit par la création d’une nouvelle société, soit par l’absorption d’une société par une autre. L’objectif principal de la fusion est la transmission d’un ou de plusieurs patrimoines afin de constituer une nouvelle société ou d’ajouter des patrimoines à une société déjà existante.
Il s’agit d’une opération très accessible, toutes les sociétés commerciales peuvent entreprendre une fusion, indépendamment de leur forme juridique ou de leur situation économique et financière. Même la société dissoute peut intervenir dans une opération de fusion s’il s’avère que les associés n’ont pas encore procédé à la répartition de l’actif.
Cet article se concentre autour de quatre aspects majeurs :
- Distinction entre fusion, scission et apport d’actif
- Les différentes formes de fusion
- Les effets de la fusion
- L’aspect technique des opérations de fusion.
1. Distinction entre la fusion et d’autres notions voisines.
Il est crucial de comprendre les différences fondamentales entre ces trois opérations de restructuration. Elles ont à peu près le même régime mais ne sont pas à confondre.
La scission est au sens de l’article 190 de l’AUSC-GIE, l’opération par laquelle le patrimoine d’une société est partagé entre plusieurs sociétés existantes ou nouvelles.
La scission entraîne la disparition d’une société, et contrairement à la fusion, chaque élément de son patrimoine est réparti entre d’autres sociétés. Il y a division du patrimoine initial en différentes parties au profit d’autres entités. La fusion aussi engendre la disparition d’un ou de plusieurs patrimoines mais au profit d’une seule société bénéficiaire, que l’opération se réalise par la création d’une société nouvelle ou par transmission d’un patrimoine vers un autre. Il n’y a pas division dans le ou les patrimoines des sociétés dissoutes dans l’opération de la fusion.
Quant à l’apport partiel d’actif, il est défini à l’article 195 de l’AUSC-GIE comme étant l’opération par laquelle « une société fait apport d’une branche autonome d’activité à une société préexistante ou à créer. La société apporteuse ne disparaît pas du fait de cet apport… ».
Cette opération est similaire à la fusion mais elle ne concerne qu’une partie du patrimoine d’une société.
La différence entre l’apport partiel d’actif et la fusion est en effet plus évidente. Cette opération n’entraine pas la disparition de la société apporteuse contrairement à l’opération de fusion. Le législateur ne précise pas ce qu’il faut entendre par « branche autonome d’activité ». Cette expression est définie par certains auteurs comme « un ensemble de droits et obligations qui peuvent constituer une exploitation autonome » [1]. Il s’agit donc d’une branche d’activité capable de fonctionner par ses propres moyens matériels et financiers. La société cédante fait un apport en nature et devient de ce fait un associé de la société cessionnaire. Il n’y a pas de distribution de parts ou actions aux associés, seule la société apporteuse acquiert donc la qualité d’associé dans cette opération.
Ces précisions étant faites, il convient à présent de voir la diversité des formes de fusion.
2. Les différentes formes de fusion.
Le législateur Ohada ne prévoit dans son article 189 de l’AUDSC-GIE que deux formes de fusion : la fusion-combinaison et la fusion absorption. Mais le droit Ohada connait aussi d’autres formes de fusion.
La fusion absorption : c’est l’opération par laquelle une société se fond dans une autre qui l’absorbe. Dans ce type de fusion, une société (appelée "absorbante") absorbe une autre société (appelée "absorbée"). L’absorbante bénéficie de l’intégralité du patrimoine de l’absorbée. Cette dernière disparaît en raison du transfert complet de son patrimoine. Pour illustrer, considérons deux sociétés, A et B.
La société A disparaît en cédant son patrimoine à la société B, qui peut seule existerait par la suite. Les opérations de fusion absorption s’effectuent généralement au profit des sociétés présentant une meilleure situation financière.
La fusion-combinaison : encore appelée fusion par création de société nouvelle, engendre la disparition de deux ou plusieurs sociétés et la naissance d’une société nouvelle. Cette dernière s’enrichit des différents patrimoines issus des sociétés disparues. L’opération se schématise comme suite : deux sociétés A et B disparaissent et leurs patrimoines sont réunis pour créer la société C.
Cette forme de fusion est généralement réalisée par des entreprises qui cherchent à posséder une forte position ou encore une force concurrentielle sur le marché.
La fusion simplifiée dite 100% [2] : il s’agit d’une variante de la fusion absorption où la société absorbante détient en permanence la totalité du capital social de la société absorbée [3].
La fusion internationale : les fusions transfrontalières entre deux pays membres de l’Ohada ne posent pas de difficultés en raison de l’absence de conflit de lois dans la zone. Cependant, lorsque la fusion implique deux états dont l’un n’est membre pas de l’espace communautaire Ohada, des difficultés peuvent survenir en raison des textes susceptibles d’être appliqués à l’opération. Le législateur Ohada reste quant à lui silencieux sur cette forme de fusion.
3. Les effets de la fusion.
Les effets principaux de l’opération de fusion sont énumérés à l’article 191 de l’AUSC-GIE. Il s’agit en effet de la transmission de patrimoine et de la dissolution sans liquidation des sociétés ayant transmis leurs patrimoines.
La transmission de patrimoine : lorsqu’une fusion a lieu, le patrimoine de la société absorbée ou scindée est transmis à la société bénéficiaire (absorbante ou nouvelle). A ce propos, la fusion et la scission partage une conséquence juridique majeure, la transmission à titre universel de patrimoine de la société, qui disparait de ce fait, aux sociétés bénéficiaires. Cela ne concerne pas seulement certains éléments de celui-ci, c’est l’ensemble des éléments d’actifs et de passifs [4] qui sont transmis à la société absorbante ou nouvelle. Dans le cas de la fusion absorption, même le nom commercial de la société absorbée peut être approprié par la société bénéficiaire [5].
La dissolution sans liquidation : la fusion entraîne la disparition de la société absorbée ou scindée, sans qu’une liquidation soit nécessaire. En effet, la transmission de l’intégralité du patrimoine a pour conséquence directe la disparition de la société qui s’efface ainsi au profit de celle ayant bénéficié de ce patrimoine. En outre, par la perte de la personnalité juridique dû à cette transmission universelle de patrimoine, la société bénéficiaire devient responsable de toutes les actions en justices tant en demande qu’en défense de celle qui disparait.
D’autres conséquences peuvent découler des opérations de fusion, elles sont relatives au capital social de la société bénéficiaire, au sort des associés et créanciers des sociétés disparues.
L’augmentation de capital : les opérations de fusion ont aussi pour conséquence directe, l’augmentation du capital de la société absorbante ou nouvelle. Cela résulte directement de la transmission à titre universel de patrimoine, le capital de la société qui disparait est dès lors recueilli par la société bénéficiaire. Cet effet est noté dans toutes les opérations de fusion sauf dans la fusion absorption simplifiée dite à 100%.
Cela s’explique par le fait que dans cette opération, la totalité du capital de la société
absorbée était déjà détenue par la société absorbante.
La situation des associés : pour qu’il soit fusion ou scission, il faut que les associés de la société absorbée ou scindée reçoivent en échange de leurs apports des actions ou (parts) de la société bénéficiaire. Cette dernière émet en effet des actions nouvelles au profit des associés de ladite société disparue, qui retrouveront ainsi la qualité d’associé dans la société nouvelle ou absorbante.
Les créanciers et débiteurs : la société nouvelle ou absorbante vient en lieu et place de la société scindée ou absorbée. Par conséquent, les créanciers et débiteurs de la société disparue sont transférés à l’entreprise bénéficiaire.
Concernant les créanciers, l’effet reste le même s’agissant de créanciers chirographaires, minus de suretés ou privilégiés. L’opération de fusion ne doit pas en principe porter atteinte à leurs droits. La société nouvelle devient alors débitrice des engagements de la ou les sociétés disparues.
Le même schéma s’applique aux débiteurs, qui doivent honorer leurs engagements envers la société absorbante ou nouvelle.
4. L’aspect technique des opérations de fusion.
Les procédures techniques impliquées dans la fusion sont complexes et nécessitent une attention particulière. Selon l’article 197 de l’acte uniforme, la fusion est décidée pour chacune des sociétés dans les conditions requises pour la modification des statuts et selon les procédures suivies pour la modification du capital et de dissolution de la société. Ce qui veut dire que l’opération de fusion est décidée par l’assemblée générale extraordinaire dans les conditions fixées pour chaque type de société.
Par ailleurs, l’opération de fusion requiert le respect de certaines formalités sous peine de nullité ou d’inopposabilité. L’AUSC-GIE énumère sommairement ces étapes dans ses articles 193, 194 et 198.
Il s’agit avant tout de l’établissement d’un projet de fusion qui est un préalable obligatoire. Ce projet est établi par les dirigeants des sociétés concernées.
Le contenu du projet de fusion est déterminé par l’article 193 et doit obligatoirement contenir les mentions suivantes :
1°) la forme, la dénomination, le numéro d’immatriculation au registre du commerce et du crédit mobilier et le siège social de toutes les sociétés participantes ;
2°) les motifs et les conditions de la fusion ou de la scission ;
3°) la désignation et l’évaluation de l’actif et du passif dont la transmission aux sociétés absorbantes ou nouvelles est prévue ;
4°) les modalités de remise des parts ou actions et la date à partir de laquelle ces parts ou actions donnent droit aux bénéfices, ainsi que toute modalité particulière relative à ce droit et la date à partir de laquelle les opérations de la société absorbée ou scindée sont du point de vue comptable, considérées comme accomplies par la ou les sociétés bénéficiaires des apports ;
5°) les dates auxquelles ont été arrêtés les comptes des sociétés intéressées utilisés pour établir les conditions de l’opération ;
6°) le rapport d’échange des titres sociaux et, le cas échéant, le montant de la soulte ;
7°) le montant prévu de la prime de fusion ou de scission ;
8°) les droits accordés aux associés ayant des droits spéciaux et aux porteurs de titres autres que des actions ainsi que le cas échéant, tous avantages particuliers.
Mais cette formalité est précédée d’une étape non régie par la loi, dite de pourparlers au cours desquels les dirigeants des sociétés concernées négocient et signent un protocole [6] de fusion. Ensuite, conformément à l’article 194 de l’acte uniforme, des formalités de publicité sont requises. Selon ce texte, le projet de fusion ou de scission doit être déposé au registre du commerce et du crédit mobilier du siège social des sociétés impliquées. De plus, un avis doit être publié dans un journal habilité à recevoir les annonces légales, par chacune des sociétés participant à l’opération.
Cet avis reprend certaines des informations contenues dans le projet de fusion. La publicité ainsi réalisée informe les tiers, notamment les créanciers, qui peuvent éventuellement former des oppositions.
Il s’agit enfin de l’obligation de conformité à l’acte uniforme fixée à l’article 198 de l’AUDSC-GIE. Selon ce texte, les sociétés participant à une opération de fusion sont tenues de déposer au greffe une déclaration dans laquelle elles relatent tous les actes effectués en vue d’y procéder et par laquelle elles affirment que l’opération a été effectuée en conformité du présent acte uniforme. Toute opération de fusion effectuée en violation de cette obligation est sanctionnée par la nullité.
Discussion en cours :
merci Madame SY pour cet article fort instructif
en recherche de réponse, votre exposé m’a été d’une grande aide.
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