Tout d’abord, il est important de rappeler que légalement, l’intervention est la même en cas de harcèlement moral ou sexuel. La loi n’organise pas précisément le processus d’alerte et d’enquête. L’employeur est toujours légitime pour intervenir lui-même, mais il peut également confier cette enquête à un prestataire externe.
Afin de concilier les impératifs d’écoute, de neutralité, d’impartialité et de discrétion, l’enquêteur devra adopter une "posture de médiateur" et non de gendarme.
1. Prendre toute alerte au sérieux.
La jurisprudence n’impose plus l’utilisation du terme "harcèlement" pour intervenir. Une intervention est donc nécessaire lorsque le salarié fait part de son mal-être. Au titre de son obligation de sécurité, l’employeur devra donc traiter toute alerte avec la plus grande diligence.
Nul besoin de séparer trop vite les personnes si elles n’en expriment pas ce souhait. Si on les sépare trop vite, même à titre conservatoire, il sera d’autant plus difficile de les faire retravailler ensemble par la suite, si les accusations ne sont pas fondées. La séparation immédiate n’est justifiée qu’en cas de danger grave et immédiat, ce qui est rarement le cas en pratique. Avant d’aller trop vite, il faut donc ouvrir une première étape d’écoute et d’orientation.
2. Écouter l’auteur de l’alerte.
La première chose à faire et d’accorder une écoute attentive et respectueuse à la personne qui rapporte l’alerte d’un ressenti de harcèlement. Permettez-lui de s’exprimer librement, sans jugement et assurez-lui que vous prenez ses préoccupations au sérieux. À ce stade, il est impératif de se focaliser sur son ressenti et pas nécessairement sur la qualification juridique du harcèlement. Rester neutre et ne qualifiez pas vous-même la situation de "harcèlement" de manière trop catégorique.
Avec la victime, il est important d’analyser les suites à donner et avec son accord de vérifier le format de l’intervention. Une enquête doit être adaptée et ajuster afin qu’elle ne produise pas plus de souffrance et de rancœur. Déterminer l’objectif et les attentes de la victime.
Une fois que l’enquête est lancée, impossible de l’arrêter ! Pour limiter le stress et l’effet de surprise, la victime doit donc connaitre à l’avance le format qui sera déployé.
3. Faites preuve de discrétion.
Pour des raisons juridiques l’intervention de l’employeur n’est pas toujours confidentielle. Une enquête implique des auditions et d’informer précisément les personnes impliquées. Si la confidentialité n’est pas toujours possible, il est impératif de respecter la plus grande discrétion et prudence. L’employeur doit être précautionneux et attentif afin de ne pas faire courir de rumeurs ou de jugements trop hâtifs. Vérifier avec la victime les informations qu’elle souhaite transmettre officiellement et qui permettront l’intervention.
Une confidentialité totale sur les faits et l’identité de la victime est possible, mais elle imposera un format d’enquête souvent plus lourd.
4. Apporter du soutien.
Il est bien sûr nécessaire de montrer à la victime présumée tout son soutien.
La qualification des faits en "harcèlement" est inutile, dès lors que l’employeur doit accompagner tout salarié qui exprime sa souffrance ou son mal-être au travail. Le rôle du médecin du travail et du référent harcèlement est parfois précieuse. Les syndicats et les élus sont régulièrement les premiers accompagnants et leur soutien est essentiel.
Attention au piège, le soutien ne concerne pas seulement la victime présumée, mais également l’ensemble des personnes impliquées. Il est difficile de participer à une enquête au sein d’une équipe, voire d’être soi-même désigné comme "harceleur". Ne pas accuser trop vite, ni qualifier les faits trop rapidement de harcèlement. Dans un premier temps, les termes de mal-être au travail, de stress, de comportement inapproprié sont suffisants. Sauf si la victime utilise d’elle-même le mot harcèlement, il n’y a aucune utilité à le qualifier vous-même !
5. Informer les parties concernées et proposer une rencontre.
Si la victime présumée est à l’aise avec cela, il est nécessaire d’informer les personnes impliquées et celles qui auront la charge d’intervenir au sein de l’entreprise. L’alerte n’est pas toujours faite auprès du service RH ou de l’employeur. Pour qu’une intervention efficace puisse avoir lieu, seul l’employeur peut mettre en œuvre une enquête. L’alerte harcèlement doit être porté à la connaissance des responsables des ressources humaines ou des supérieurs hiérarchiques.
On oublie souvent l’outil le plus efficace : proposer une rencontre entre l’auteur de l’alerte et la personne désignée.
Une explication franche et directe, sous le contrôle de l’employeur, est souvent souhaitée par les parties, car elle permet de se dire les choses rapidement et de mettre fin aux agissements incriminés.
Sauf si bien sûr aucune personne n’en veut, la "rencontre" sécurisée, ne parlons surtout pas de "confrontation", sera souvent un moment efficace de vérité et de résolution, en présence de l’employeur et dans un format protecteur. Une proposition de médiation en amont est souvent efficace si les parties l’acceptent. En cas de refus, ce sera aussi un bon critère pour être sûr qu’une enquête officielle et plus approfondie est impérative !
6. Mener une enquête interne.
Dès que possible, une analyse de la situation doit être mise en œuvre. Il est important d’adapter le format d’enquête. Le terme d’analyse ou d’audit est parfois préféré.
Une action sur la qualité de vie au travail peut servir de support à cette enquête. On peut aussi avoir recours à la médiation. Tous les formats permettant de mieux comprendre la situation seront pertinents. L’intervention doit être rassurante et fluide afin de ne pas créer de contre-attaques ou de souffrance supplémentaire.
L’enquête doit toujours être impartiale pour recueillir toutes les informations pertinentes et établir les faits.
L’enquête commence systématiquement par recueillir la version précise de la victime. Puis rapidement, il faut écouter et informer la personne désignée, afin qu’elle puisse s’exprimer et répondre aux accusations portées contre elle.
Attention au piège de vouloir auditionner trop de personnes, quelques témoins suffisent dès lors que les faits sont établis.
7. Documenter les faits.
C’est une étape que l’on ne doit pas oublier et que les juristes regardent avec attention ! Quelles sont les preuves ?
Il faut encourager la victime à fournir des détails précis sur son signalement, y compris les dates, les lieux, les personnes impliquées, les témoins éventuels et toute preuve disponible (messages, courriels, etc.).
Ce sont ces éléments qui permettront d’ajuster l’intervention de l’employeur. Impossible pour l’entreprise de licencier le harceleur si les preuves en présence ne peuvent fournir une cause réelle et sérieuse de sanction.
Les auditions feront l’objet d’un compte-rendu qui servira de preuve afin de prendre une décision. Les comptes-rendus sont validés et signés par les personnes concernées afin qu’ils puissent avoir valeur d’attestation judiciaire au sens de l’article 202 du Code de procédure civile. Même si en droit du travail la preuve est libre, un minimum de formalisme vient renforcer et sécuriser le plan d’action ultérieur. En cas de contentieux judiciaire, l’enquête pourra être pleinement recevable.
L’enquête pourra faire apparaitre des préconisations et proposera une conclusion sur les faits reprochés.
8. Décisions et plan d’actions.
La qualification de "harcèlement ou pas" n’est pas utile pour l’intervention de l’employeur. Au titre de son pouvoir de direction et disciplinaire, l’employeur est habilité à décider d’un plan d’action quelle que soit la qualification retenue. S’il n’y a pas harcèlement, il peut y avoir tout au moins un "comportement inapproprié" pouvant justifier une action corrective. Ce que souhaite l’employeur, c’est donc avant tout de bien connaitre la réalité des faits ! Il est ensuite libre de les qualifier de comportements "professionnels" ou "non professionnels" et de les sanctionner si besoin.
L’objectif de l’enquête n’est pas uniquement de sanctionner, c’est surtout de mettre fin aux agissements reprochés. L’objectif n’est pas de qualifier juridiquement les faits de "harcèlement", c’est le rôle du juge, mais de trouver un plan d’action afin de faire cesser le risque et de permettre au salarié de reprendre le travail sans avoir "la boule au ventre".
En fonction des résultats de l’enquête, l’employeur pourra prendre les mesures nécessaires pour mettre fin au harcèlement, protéger la victime et prévenir toute récidive. Cela peut inclure des mesures disciplinaires, le licenciement, des formations ou des changements d’organisation.
La seule sanction disciplinaire n’est en aucun cas une action suffisante. Si les salariés doivent retravailler ensemble par la suite, il me semble impossible d’éluder une mesure de médiation afin de reconstruire un minimum la relation.
9. Sensibiliser et prévenir.
Pour prévenir de nouvelles situations, l’employeur doit être attentif à l’organisation de formations sur la prévention du harcèlement et sur la diffusion d’une culture de respect mutuel au sein de l’organisation. L’exemple vient souvent d’en haut, des managers et des dirigeants. La prévention passe aussi par une attention portée sur le processus d’alerte interne. L’entreprise est-elle dotée d’un processus efficace ?
On s’aperçoit souvent lors d’une enquête que le processus interne est lui-même source de conflits et de difficultés, et qu’il peut être largement amélioré !