Les entreprises en difficulté face aux crises. Par Marion Perina, Juriste.

Les entreprises en difficulté face aux crises.

Marion Perina, Juriste,
M2/MBA Droit des affaires et Management-Gestion, Université Paris II Panthéon-Assas.

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Explorer : # entreprises en difficulté # crise économique # mesures préventives # prêts garantis par l'État

La crise de la Covid-19 et ses conséquences ont mis à rude épreuve le tissu économique français et mondial en provoquant un choc d’offre et de demande durant la même période. Les réponses des pouvoirs publics à cette crise sanitaire - dont les conséquences ont créé une crise économique - se sont manifestées par l’octroi d’aides publiques prenant des formes diverses (fonds de solidarité, report des charges fiscales et des contributions sociales, prise en charge de l’activité partielle…) et ont fait l’objet de certains débats.

L’auteure de cet article fait partie du M2/MBA Droit des affaires et Management-Gestion, Université Paris II Panthéon-Assas.

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En effet, un premier débat concernait la situation des “entreprises zombies”, terme désignant des entreprises qui auraient dû être liquidées et qui ont été, à la place, mises sous perfusion financière. Un second débat portait également sur la capacité de remboursement des petites et moyennes entreprises [1] concernant les prêts garantis par l’État, un dispositif exceptionnel permettant de soutenir le financement bancaire des entreprises à hauteur de 300 milliards d’euros, mais aussi sur l’état de leur trésorerie à la suite de l’arrêt progressif des aides publiques.

Bien que ces craintes semblaient avoir été dissipées à la fin de l’année 2021 grâce à un niveau historiquement bas d’ouverture de procédures collectives, c’est au contraire leur hausse de 49,9% en novembre 2022 qui suscita de nombreuses inquiétudes.

Nous verrons tout d’abord que les chiffres de l’année 2021 s’expliquent principalement par le versement des aides publiques aux entreprises en difficulté et par l’assouplissement du régime applicable à ces dernières par le biais des ordonnances Covid (I).
Ensuite, nous constaterons que la crise multifactorielle ainsi que le bilan mitigé des procédures de traitement de sortie de crise ont rendu l’avenir des entreprises en difficulté incertain (II).

I. Les incitations du droit d’urgence au traitement préventif des entreprises en difficulté.

Les ordonnances Covid (ordonnance du 27 mars 2020, ordonnance du 20 mai 2020 et ordonnance du 25 novembre 2020) ainsi que la loi du 31 mai 2021 relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire ont posé un cadre juridique temporaire et favorable aux entreprises en difficulté.
En effet, les mesures instaurées par ce corps législatif, qu’on pourrait qualifier de “droit d’urgence”, ont été divisées en mesures préventives pour la détection et prévention des difficultés des entreprises et en mesures curatives pour la préparation d’un potentiel rebond de l’entreprise. L’accent a particulièrement été mis sur les mesures préventives puisque les procédures amiables ont plus de chances de réussite que les procédures collectives compte tenu de la prévention en amont des difficultés financières [2].

Parmi les mesures préventives, nous pouvons citer les mesures les plus importantes telles que la cristallisation provisoire de l’état de cessation des paiements au 12 mars 2020 ainsi que l’adaptation des régimes de la conciliation, de la sauvegarde accélérée [3] et de la sauvegarde financière accélérée [4]. Il convient également de préciser que le renforcement des pouvoirs du commissaire aux comptes dans l’exercice de son droit d’alerte a également contribué au succès des mesures préventives pendant la crise sanitaire. En effet, ce dernier avait la faculté d’intervenir plus en amont et de demander des informations plus complètes à des fins de renseignements sur la situation économique et financière de l’entreprise.

Pour rappel, l’état de cessation des paiements est défini par l’article L631-1 du code de commerce comme “l’impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible”. L’appréciation de cet état de cessation des paiements est faite en principe par la juridiction commerciale ou civile lors de l’ouverture de la procédure collective mais l’ordonnance du 27 mars 2020 accordait une dérogation en neutralisant sa survenance entre le 12 mars 2020 et le 23 août 2020 (sauf modalités de report prévues aux alinéas 2, 3 et 4 de l’article L631-8 du code de commerce).

Il découle deux grandes conséquences de cette cristallisation provisoire de l’état de cessation des paiements.

Tout d’abord, elle permet à certaines entreprises, particulièrement touchées par la crise sanitaire, de bénéficier des dispositifs de prévention des difficultés en dépit de l’aggravation de leur situation. En effet, si la situation financière d’un débiteur est critique après le 12 mars 2020, la juridiction civile ou commerciale ne lui en tiendra pas rigueur, étant donné que seule sa situation financière du 12 mars importe.

La ratio legis était une invitation à utiliser des procédures préventives puisque ces procédures ne requièrent pas de caractérisation de l’état de cessation des paiements [5]. En effet, certaines entreprises auraient eu très peu de marge de manœuvre et n’auraient pas eu d’autre choix que de demander directement un redressement judiciaire ou une liquidation judiciaire.

Cette cristallisation provisoire de l’état de cessation des paiements a eu pour effet d’éviter une sanction au débiteur qui est l’interdiction de gérer (C. commerce art L653-8). En effet, cette sanction frappe le débiteur qui n’a pas demandé l’ouverture d’un redressement judiciaire ou une liquidation judiciaire dans un délai de quarante-cinq jours à compter de la cessation des paiements alors que son état de cessation des paiements a été caractérisé et qui n’a pas demandé l’ouverture d’une conciliation. D’une manière plus générale, cette cristallisation provisoire de l’état des cessation des paiements était conçue dans l’intérêt du débiteur afin que ce dernier ne s’expose pas à des sanctions personnelles [6].
La cristallisation de l’état de cessation des paiements a donc doublement protégé le débiteur dont la situation financière est affectée par les conséquences de la crise sanitaire.

La deuxième mesure importante parmi les mesures préventives a été l’adaptation des régimes de conciliation, de la sauvegarde accélérée et de la sauvegarde financière accélérée.

En effet, le législateur a décidé d’allonger et d’assouplir les délais de la procédure de conciliation et de mettre en œuvre une suspension ciblée des poursuites. Cette mesure a renforcé l’attractivité de cette procédure confidentielle.

D’une part, l’ordonnance du 25 novembre 2020 a permis la prorogation de la durée de la conciliation une ou plusieurs fois à la demande du conciliateur par décision motivée du président du tribunal sans que cette durée ne puisse excéder 10 mois.
Cette disposition avait été remise en cause par des professionnels de la Restructuration pour deux principales raisons. Tout d’abord, le droit commun énonce une durée maximale de cinq mois avec des exceptions justifiant une prorogation supplémentaire [7]. Ensuite, cette mesure était susceptible de représenter un risque sérieux de ralentissement des négociations créanciers - débiteurs [8].

D’autre part, une autre modification majeure concernant la procédure de conciliation portait sur la suspension ciblée des poursuites à l’égard des créanciers récalcitrants instaurée par l’ordonnance du 20 mai 2020. En effet, elle énonçait que lorsqu’un créancier n’accepte pas le délai imparti par le conciliateur, ce dernier peut suspendre l’exigibilité de sa créance pendant la durée de la procédure. Le débiteur peut donc bénéficier des délais de grâce d’une durée maximale de deux ans sans mise en demeure préalable. Par ailleurs, le président du Tribunal, à la demande du débiteur, peut ordonner la suspension générale des poursuites mais aussi le report ou l’échelonnement du paiement des sommes dues lorsqu’un créancier refuse de suspendre l’exigibilité de sa créance pendant la durée de la procédure. Ainsi, les modifications apportées à la conciliation ont été favorables au débiteur au détriment des créanciers.

La sauvegarde accélérée et la sauvegarde financière accélérée - cette dernière étant supprimée par l’ordonnance du 15 septembre 2021 - étaient deux variantes de la procédure de sauvegarde réservées au débiteur en conciliation. Ces procédures, introduites par l’ordonnance du 14 mars 2014, avaient pour objectif d’être rapides (une durée de trois mois pour la sauvegarde accélérée et d’un mois pour la sauvegarde financière accélérée) et étaient particulièrement connues pour rassurer les créanciers de par leur caractère négocié et planifié [9].

Selon l’article 3 de l’ordonnance du 20 mai 2020, le respect des seuils de la sauvegarde accélérée et de la sauvegarde financière accélérée ne constituait plus une condition préalable à leur ouverture. En effet, à partir de l’entrée en vigueur de cette ordonnance, toutes les entreprises devenaient éligibles, ce qui garantissait un accès égalitaire à ces procédures. Nous pouvons considérer que c’était une mesure bienvenue puisque le débiteur disposait d’un champ des possibles plus élaboré. À choisir, le débiteur avait plus intérêt à se diriger vers la sauvegarde accélérée. En effet, depuis l’ordonnance du 12 mars 2014, la sauvegarde accélérée produit ses effets à l’égard de tous les créanciers tandis que la procédure de sauvegarde financière accélérée ne touchait, à l’époque, que les créanciers financiers et obligataires. Ainsi dans le cadre de la sauvegarde financière accélérée, les créanciers non financiers pouvaient être payés et échapper à la discipline collective, ce qui n’arrangeait pas le débiteur en difficulté en pleine crise. En revanche, dans un cas plus spécifique où le débiteur ne serait fortement endetté qu’auprès des banques et des établissements financiers, ce dernier aurait eu tout intérêt à se tourner vers la sauvegarde financière accélérée qui avait l’avantage d’être plus rapide que sa variante.

En parallèle de ces mesures propres au droit des entreprises en difficulté, le législateur a reporté le passif exigible des entreprises et a augmenté l’actif disponible pour diminuer le risque de faillite des entreprises. Ce report du passif exigible s’est traduit par la suspension des paiements des principales dettes fiscales et sociales de l’entreprise, de sorte que les professionnels du droit parlent d’un « gel du passif ». L’augmentation de l’actif disponible s’est manifestée par le recours aux prêts garantis par l’État (PGE), la création d’un fonds de solidarité pour les petites et moyennes entreprises, la prise en charge du chômage partiel ainsi que des aides sectorielles. Aujourd’hui, les questions de la dette publique et des dettes des entreprises se font de plus en plus ressentir compte tenu du contexte économique de telle sorte que Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes, a manifesté sa préoccupation par rapport à la dégradation de l’état des finances publiques [10].

Par ailleurs, une campagne de prévention des difficultés des tribunaux de commerce a été mise en place pour rassurer les dirigeants qui, pour beaucoup, ont une méconnaissance et une crainte du tribunal. En parallèle de cette campagne de prévention, un dispositif innovant basé sur un algorithme appelé “Signaux faibles” a été mis en place par les pouvoirs publics. Signaux faibles a permis la mobilisation des chambres de commerce, chambres des métiers et de l’artisanat mais aussi des experts comptables, commissaires aux comptes, administrateurs judiciaires, mandataires judiciaires et greffes des tribunaux de commerce. Ce dispositif, en sensibilisant 25 000 entreprises aux dispositifs de soutien et de prévention des difficultés, a ainsi permis un meilleur accompagnement des dirigeants, parfois isolés.

En conclusion, ces incitations à la détection des difficultés et au recours aux mesures préventives ont démontré leur efficacité puisqu’en 2021, 5 142 procédures de prévention ont été ouvertes contre 3 460 en 2020, soit une hausse de 48,6% [11]. Ces mêmes mesures ont également fait reculer le nombre d’ouvertures de procédures collectives de 28 166 en 2020 à 27 103 en 2021 [12].

En parallèle de la création de ce droit d’urgence, des ressources exceptionnelles ont été mises à la disposition des entreprises afin de leur permettre de faire face aux événements.
C’est notamment le cas des PGE accordés par les banques, des prêts garantis par l’État à hauteur de 90% plafonnés à 25% du chiffre d’affaires annuel de l’entreprise et qui ont été accordés jusqu’au 30 juin 2022. Au 31 décembre 2021, 137 milliards d’euros de PGE avaient été accordés dont 70% de cette somme a été allouée entre mars et juin 2020.
Il en ressort également que plus de 660 000 entreprises ont pu bénéficier de ce prêt à la même date et que 88% d’entre elles étaient des petites entreprises [13]. Ces chiffres témoignent de la détresse des petits acteurs locaux et d’un nécessaire accompagnement des figures étatiques pour faire face aux événements. La mise en place de dispositifs accessibles au plus grand nombre et simples d’utilisation a permis de sauver plusieurs commerces de proximité.

Maintenant que nous avons abordé les chiffres des années régies par le droit d’urgence et des PGE, nous pouvons légitimement nous interroger sur les potentiels obstacles à venir.

II. La survie des entreprises en difficulté dans le monde d’après.

La loi du 31 mai 2021 relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire a donné naissance à la procédure de traitement de sortie de crise, une procédure expérimentale qui durera jusqu’au 2 juin 2023 et qui prendra la forme d’un redressement judiciaire simplifié. Ce redressement judiciaire serait simplifié car “les propriétaires sont dispensés d’avoir à revendiquer et les créanciers d’avoir à déclarer leurs créances” [14].

Le décret du 16 octobre 2021 a fixé les seuils applicables suivants : l’entreprise ne doit pas dépasser un seuil de 20 salariés et ne doit pas dépasser un bilan de plus de 3 millions d’euros hors capitaux propres.

Cette procédure partage de nombreux traits avec d’autres procédures collectives telles que la sauvegarde et le redressement judiciaire. Tout d’abord, le débiteur doit être en cessation des paiements, en capacité d’élaborer un projet de plan et disposer des fonds nécessaires pour le règlement des créances salariales car l’intervention de l’AGS est exclue de cette procédure [15].
Cette procédure se fait uniquement sur demande du débiteur tout comme dans la procédure de sauvegarde. Le plan de redressement judiciaire simplifié devra être adopté dans un délai de 3 mois, comme dans la procédure de sauvegarde accélérée [16].

Ses singularités se démontrent par le fait qu’un seul mandataire judiciaire soit nécessaire : il n’y a pas de vérification des créances et les règles relatives au règlement des créances salariales ne sont pas applicables. Ainsi, l’unique mission du mandataire judiciaire est la surveillance du plan de redressement judiciaire simplifié.
Enfin, là où le plan de redressement judiciaire de droit commun prévoit qu’à partir de la troisième année d’apurement du passif, il faut servir un dividende de 5% du passif du débiteur aux créanciers, l’article 13 IV, C de la loi du 31 mai 2021 prévoit que ce dividende ne peut pas être inférieur à 8% dans le cadre du redressement judiciaire simplifié.
Ainsi, il semblerait que les créanciers ne puissent pas obtenir un remboursement d’un montant inférieur à 8% du passif du débiteur.

L’Observatoire des données économiques du CNAJMJ enregistrait l’ouverture de 54 procédures de traitement de sortie de crise en 2022 contre 15 en 2021 [17]. En comparaison, 10 433 redressement judiciaires (contre 6 624) et 1 206 sauvegardes contre 778 ont été ouvertes en 2022.
Nous pouvons tenter d’expliquer le faible nombre d’ouvertures de la nouvelle procédure en 2021 par le fait que le décret du 16 octobre 2021 ait fixé les seuils applicables après l’entrée en vigueur de cette loi ce qui a laissé planer un moment de doute quant à l’éligibilité de certaines entreprises.
Par ailleurs, comme cité précédemment, la procédure de redressement judiciaire simplifié garde pratiquement toutes les caractéristiques d’un redressement judiciaire classique. Il est légitime de penser que la procédure de traitement de sortie de crise empiète légèrement sur les procédures déjà existantes et aménagées du code de commerce.
Par ailleurs, les procédures de prévention (mandat ad hoc et conciliation) ont atteint leur plus haut niveau depuis 1990 bien que l’Observatoire des données économiques du CNAJMJ ait enregistré une timide hausse de 26,4% sur l’année 2022 par rapport à l’année 2021.

Quant aux autres procédures collectives, l’Observatoire des données économiques du CNAJMJ constatait une hausse des procédures collectives de 45,3% sur l’année 2022 par rapport à l’année précédente. Si nous décortiquons plus exactement par procédure, nous observons qu’il y a une hausse de 55% du nombre d’ouvertures de la sauvegarde, une hausse de 57,5% du nombre d’ouvertures de redressement judiciaire et une hausse de 40,8% du nombre d’ouvertures de liquidation judiciaire directe.
Pour autant, Thomas Denfer, président du Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce (CNGTC) invite à nuancer ces chiffres. En effet, selon lui, il ne faut pas oublier que la tendance entrepreneuriale et la création d’entreprise en 2022 ont été supérieures à celle de 2019 [18]. Ainsi, malgré la hausse des ouvertures de procédures collectives, la situation apparaît plutôt comme un “retour à la normale”.
Par ailleurs, il convient de rappeler que la hausse de 45,3% du nombre d’ouvertures des procédures collectives en 2022 reste à un niveau très inférieur à l’année 2019 et à l’année 2018. L’Observatoire des données économiques du CNAJMJ enregistrait alors une baisse annuelle de 22,4% en 2019 et de 6,3% en 2018.
Deux facteurs ne sont pas à négliger lorsque nous nous intéressons aux chiffres de l’année 2022.
Tout d’abord, l’année 2022 a été caractérisée par une crise multifactorielle : l’inflation, la hausse des taux, la hausse des prix de l’immobilier et la crise énergétique s’ajoutent aux problèmes de trésorerie préexistants.
De plus, le phénomène de radiation directe des entreprises et plus précisément des TPE [19] -PME est également à prendre en compte. En effet, certaines structures décident d’arrêter volontairement leurs activités avant même la caractérisation de l’état de cessation des paiements. Nous entrons donc dans le cas d’une liquidation amiable. La radiation de ces entreprises a dépassé les 360.000 en 2022, à titre comparatif, 187 000 radiations étaient enregistrées en 2019 [20]. Les trois secteurs les plus concernés par ce phénomène sont le secteur du transport et entreposage, de l’enseignement, santé et action sociale et enfin les autres activités de service [21]. Cette explosion des radiations directes, qui n’entrent pas dans le champ des procédures collectives, permet de limiter le nombre d’ouvertures de procédures collectives. Ainsi, en un sens, nous pouvons affirmer que les chiffres de l’année 2022 ne sont pas si élevés compte tenu de ce phénomène de radiation.

Enfin, les PGE octroyés ont un bilan mitigé.
Il faut tout d’abord se rappeler que les prêts ont été déployés rapidement et ont répondu à un besoin urgent de liquidité en pleine crise économique. La sélectivité des banques aurait également éliminé une certaine partie des entreprises “zombies” parmi les bénéficiaires de ces prêts [22]. Par ailleurs, une partie des PGE aurait permis à certaines entreprises de bâtir un endettement de précaution [23]. En effet, Bpifrance annonçait que 43% des TPE et PME avaient conservé la majorité de leur PGE en réserve [24].
Enfin, les PGE auraient permis à des entreprises d’investir dans de nouveaux équipements dans le numérique, selon Thierry Millon, directeur des études d’Altares. Ce dernier ajoutait également que ces mêmes sociétés, “qui pour certaines auraient tôt ou tard déposé le bilan, ont été durablement remises en selle” [25].
Ces constatations a priori positives sont de nouveau mises à mal par la crise multifactorielle qui amène les entreprises à puiser dans leur réserve de trésorerie ou à souscrire au PGE Résilience [26] pour affronter les problèmes actuels liés à l’inflation. Pour contrer ces effets délétères, la renégociation des étalements des PGE pour les petites structures serait déterminante, tandis que des abandons partiels de leur PGE seraient en cours de discussion avec Bercy pour les dossiers aux enjeux sociaux et politiques délicats [27]. Ce serait par exemple le cas de la société Cityscoot qui aurait bénéficié d’un abandon partiel de son PGE de 20 millions d’euros. Il existe également des variantes comme le dossier Pierre & Vacances où les fonds Alcentra et Fidera, fonds Atream mais aussi l’Etat ont décidé d’entrer au capital du groupe [28].
Frédéric Abitbol, président du CNAJMJ, annonçait en 2022 que la capacité à optimiser les coûts et à relever les prix de ventes sans perdre de clients serait un facteur déterminant en parallèle [29].

III. Conclusion

Nous avons constaté qu’au cours de la crise sanitaire, le courant majoritaire de pensée prédisait un tsunami de faillites et un gaspillage de l’argent public avec la palette d’aides publiques mises à disposition. Or, le faible nombre d’ouvertures de procédures collectives en 2021 a su rapidement dissiper toutes craintes grâce à l’augmentation du recours aux procédures préventives et auxdites aides publiques. Ces chiffres ont su convaincre jusqu’à la moitié de l’année 2022, où nous avons observé un arrêt progressif des aides publiques. En effet, il semblerait que de nouveau, les craintes apparaissent à la suite de la publication du rapport d’Altares de 2022, qui annonce que la France “enregistrait la plus forte hausse des défaillances jamais connue avec 49.9% de défaillances en plus sur un an”. Nous avons observé que la concomitance de deux principaux facteurs expliquent ce chiffre : la crise multifactorielle et l’arrêt des aides publiques.
Néanmoins, ce rapport serait à prendre avec du recul car les “défaillances” désignent les procédures collectives qui comprennent également la sauvegarde et le redressement judiciaire. Ce sont des procédures permettant au débiteur de continuer son activité et de payer ses dettes avec la mise en œuvre d’un plan de redressement ou de cession.

Bien qu’il soit impossible d’affirmer avec certitude que la France soit à l’abri du tsunami des faillites, les professionnels du Restructuring restent positifs. Ainsi, Frédéric Abitbol, entrevoit un horizon positif à venir en énonçant “qu’il s’agira plutôt d’un retour à la normale, qui pourrait intervenir dès cette année ou au plus tard en 2024”. Dès lors, il serait difficile d’instrumentaliser de nouveau le droit des entreprises en difficulté pour préserver le tissu économique français, au risque de subir une “inflation” juridique.
La balle semble donc être au centre, au milieu des entreprises et des banques françaises. Rien n’est donc joué d’avance.

Marion Perina, Juriste,
M2/MBA Droit des affaires et Management-Gestion, Université Paris II Panthéon-Assas.

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Notes de l'article:

[1Une petite et moyenne entreprise est une entreprise dont l’effectif est inférieur à 250 personnes et dont le chiffre d’affaires annuel n’excède pas 50 millions d’euros ou dont le total du bilan n’excède pas 43 millions d’euros selon le décret n°2008-1354 du 18 décembre 2008.

[2A. Épaulard, D. Despierre, C. Zapha, Entreprises en difficulté financière : procédure de sauvegarde ou redressement judiciaire ?, Document de travail, n°2018-04, avril 2018, France Stratégie

[3Procédure de sauvegarde rapide ouverte aux entreprises engagées dans une procédure de conciliation qui ont déjà un projet de plan voté à la majorité des créanciers. Son projet de plan a pour objectif la pérennité de l’entreprise.

[4Procédure de sauvegarde rapide ouvertes aux grandes entreprises engagées dans une procédure de conciliation qui ont déjà un projet de plan voté à la majorité des créanciers. Son projet de plan a également pour objectif la pérennité de l’entreprise.

[5D. Boustani, L’appréhension de l’état de cessation des paiements selon la réglementation Covid-19, Gaz. Pal.13 juill. 2020, n° 382u6, p. 73.

[6Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n°2020-341 du 27 mars 2020.

[7Les enjeux et les risques de la sortie de crise pour les entreprises, Revue des procédures collectives - N° 4 - juillet-août 2021 - © Lexisnexis SA

[8ibid 2.

[9F.X Lucas, Manuel de droit de la faillite. Puf, Janvier 2021.

[10Allocution de Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes, cérémonie des voeux de la presse du mercredi 18 janvier 2023.

[11Les ouvertures de procédures de prévention par type entre 2017 et 2021, Observatoire des données économiques du CNAJMJ.

[12Les ouverture de procédures collectives entre 2017 et 2021, Observatoire des données économiques du CNAJMJ.

[13Les prêts garantis par l’Etat, une réponse efficace à la crise, un suivi nécessaire, Cour des comptes, Juillet 2022.

[14L’instauration d’un redressement judiciaire simplifié, François-Xavier Lucas, LEDEN juin 2021, n° 200c7, p. 1.

[15O. Buisine, Entreprises en difficultés : une nouvelle procédure pour l’après-Covid, BJE juill. 2021, n° 200d5,
p. 12

[16T. Montéran, Procédure de traitement de sortie de crise : une nouvelle étoile est née !, Gaz. Pal. 13 juill. 2021,n° 424n8, p. 38.

[17Indicateurs - Procédures collectives et de prévention, Données du 01-01-2022 au 31-12-2022, Observatoire des données économiques du CNAJMJ

[18Interview Thomas Denfer, “Le mur des faillites n’est pas à l’ordre du jour” ! par Delphine Bauer, 5 octobre 2022.

[19Une très petite entreprise possède moins de 20 salariés.

[20Pourquoi la vague de défaillances d’entreprises n’a pas déferlé sur la France, Claudia Cohen, 9 janvier 2023, Le Figaro.

[21Communiqué de presse “La résistance des entreprises françaises face au crise”, 23 janvier 2023, Conseil national des greffiers des tribunaux de Commerce.

[22ibid 7.

[23ibid 13.

[24Prêt garanti par l’Etat : un tiers du montant déjà remboursé par Romain Gueugneau, Les Echos, 19 janvier 2023.

[25ibid 13.

[26Le PGE Résilience est un prêt garanti par l’Etat ouvert aux entreprises ayant un besoin significatif de trésorerie en raison des conséquences économiques du conflit en Ukraine.

[27ibid 13.

[28Pierre & Vacances, une restructuration et ça repart par Béatrice Constans, Décideurs Magazine, 2 décembre 2022.

[29La France va échapper au “mur des faillites” par Cécile Crouzel, Le Figaro, 2 février 2022

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