Déclaration d'adresse et diligences du commissaire de justice : quelles interactions ? Par Lucas Vancaeyzeele, Clerc de Commissaire de Justice.

Déclaration d’adresse et diligences du commissaire de justice : quelles interactions ?

Par Lucas Vancaeyzeele, Clerc de Commissaire de Justice.

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Explorer : # signification des actes # diligences du commissaire de justice # déclaration d'adresse # code de procédure pénale

L’article traite de l’articulation entre l’article 503-1 du Code de procédure pénale et les articles 550 et suivants du même code qui abordent les diligences du commissaire de justice pour la délivrance des actes pénaux.

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Le commissaire de justice intervient régulièrement pour signifier les décisions de justice et les citations en matière pénale. Si les exigences de formes sont nettement différentes de la matière civile, on pourrait penser que les diligences nécessaires en ce qui concerne la signification même de l’acte seraient rigoureusement identique. Pourtant la première fois que l’on reçoit une requête aux fins de citation par devant la cour d’appel sur laquelle figure un cachet rouge « Dernière adresse déclarée 503-1 C. Pr. Pén. » avec une notice explicative, on peut légitimement se poser la question.

Pour rappel l’article 503-1 du Code de procédure pénale est ainsi rédigé :

« Lorsqu’il est libre, le prévenu qui forme appel doit déclarer son adresse personnelle. Il peut toutefois lui substituer l’adresse d’un tiers chargé de recevoir les citations, rectifications et significations qui lui seront destinées s’il produit l’accord de ce dernier. Cette déclaration est faite par l’avocat du prévenu si c’est celui-ci qui forme l’appel.
A défaut d’une telle déclaration, est considérée comme adresse déclarée du prévenu celle figurant dans le jugement rendu en premier ressort.
Le prévenu ou son avocat doit signaler auprès du procureur de la République, jusqu’au jugement définitif de l’affaire, tout changement de l’adresse déclarée par lettre recommandée avec demande d’avis de réception.
Toute citation, notification ou signification faite à la dernière adresse déclarée est réputée faite à sa personne et le prévenu qui ne comparaît pas à l’audience sans excuse reconnue valable par la cour d’appel est jugé par arrêt contradictoire à signifier.
Si le prévenu, détenu au moment de l’appel, est remis en liberté avant l’examen de son affaire par la cour d’appel, il doit faire la déclaration d’adresse prévue par le présent article préalablement à sa mise en liberté auprès du chef de la maison d’arrêt
 ».

Le 4ème alinéa saute sans doute aux yeux des praticiens habitués à la priorité absolue que représente la signification à la personne même du destinataire. La façon dont est rédigé l’article 503-1 pousse à penser que les diligences en deviendraient supplétives, puisque de toute façon l’exploit est présumé fait à la personne du destinataire.

Cependant comment interpréter ce texte à la lumière de la réalité du terrain ? Imaginez que vous devez délivrer une citation au prévenu par devant la chambre correctionnelle de la cour d’appel qui a régulièrement déclaré son adresse selon l’article 503-1 du Code de procédure pénale (C. Pr. Pén.).

Malheureusement, vous vous présentez sur place et constatez que la maison qui correspond à l’adresse a brûlée il y a au moins 1 an, il n’en reste que des ruines, la boîte aux lettres a été balayée par la bâtisse qui a succombé aux flammes, ne laissant plus aucune trace d’habitation. Une telle situation vous amènerait à régulariser une « signification au parquet », mais qu’en est-il dans ce cas particulier ? Les présentes ont pour ambition de répondre à cette question pratique.

I - Confrontation de normes aux aspirations différentes.

Avant toute chose, nous devons revenir sur les différents textes qui se confrontent dans notre cas et dont l’interprétation intéresse notre étude.

Nous avons d’un premier côté les diligences qui s’imposent au commissaire de justice dans la signification de ses actes pénaux. Les prescriptions de l’article 555 du C. Pr. Pén. sont sans équivoque :

« L’huissier doit faire toutes diligences pour parvenir à la délivrance de son exploit à la personne même du destinataire ou, si le destinataire est une personne morale, à son représentant légal, à un fondé de pouvoir de ce dernier ou à toute personne habilitée à cet effet ».

La signification n’est bien heureusement qu’une obligation de moyen et non pas une obligation de résultat. C’est pourquoi le C. Pr. Pén. prévoit les modalités de remise à une personne présente au domicile [1] ou alors, à condition de pouvoir vérifier l’exactitude du domicile, par dépôt en l’étude du commissaire de justice [2].

Par ailleurs, lorsque l’intéressé n’a plus de domicile ou de résidence connus, le commissaire de justice peut régulariser l’acte par le biais de la signification au parquet du tribunal saisi [3].

A côté de cela nous avons l’article 503-1 du C. Pr. Pén. Créé à l’origine par la Loi n°2004-204 du 9 Mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité (Loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité (1)). Lorsque l’on se plonge dans l’origine même du texte, on comprend mieux son objectif premier qui est avant tout économique. En effet, en posant une obligation de déclaration d’adresse, on fait porter une responsabilité sur les prévenus désireux de faire appel d’un jugement de première instance tout en réussissant à limiter le nombre d’arrêt qui seront rendus par défaut en raison d’adresses fictives ou erronées qui pourraient être données par les prévenus [4].

Mais la hâte avec laquelle le texte a été adopté a négligée les normes de coordination entre l’article 503-1 et les dispositions sur la signification qui s’appliquaient déjà aux praticiens faisant qu’il eu une longue période de flou sur la façon d’interpréter le texte.

Fallait-il considérer que la déclaration d’adresse primait les obligations de diligence du commissaire de justice dans sa mission de délivrance des actes ? Ou au contraire, pour reprendre notre exemple de maison calcinée, fallait-il tout de même régulariser une signification au parquet ?

II - La solution jurisprudentielle.

La Cour de cassation a mis un terme à ce questionnement dans un arrêt de chambre criminelle en date du 2 Mars 2011 (Cass. Crim., 2 Mars 2011, n°10-81.945). Le fond est plutôt simple : un prévenu fait appel d’un jugement en déclarant son adresse à « Pierre et Vacances 97180 Sainte-Anne ». Cette adresse ne menant manifestement nulle part a amené l’huissier à régulariser une signification à parquet, ce à quoi la cour d’appel en conclu que le prévenu appelant a valablement été cité à personne selon l’article 503-1 du C. Pr. Pén.

Ce raisonnement est cassé par la juridiction suprême qui va alors statuer au visa des articles 503-1, 555, 556, 557, 558, alinéas 2 et 4, du C. Pr. Pén. La cassation est justifiée en ce

« qu’il appartenait à l’huissier d’effectuer les diligences prévues par les alinéas 2 et 4 de l’article 558 du Code de procédure pénale, la cour d’appel, qui n’était pas légalement saisie, a méconnu le sens et la portée des textes susvisés » [5].

Nous pouvons tirer de cet arrêt 2 informations essentielles pour la pratique ; tout d’abord on note que la cour n’a statué qu’au visa des Articles 555, 556, 557, et 558 alinéas 2 et 4 du C. Pr. Pén. Il n’est aucunement fait mention de l’article 559 relatif à la signification au parquet dont on en déduit qu’elle ne doit pas être régularisée en pareil cas. Ensuite, si le commissaire de justice ne parvient pas à rencontrer le destinataire à son domicile, il a pour obligation d’effectuer les diligences du second et quatrième alinéa de l’article 558 du C. Pr. Pén.

Les diligences dont nous parlons ici sont les formalités qui accompagnent le dépôt-étude à savoir :

  • L’envoi d’une lettre recommandée avec demande d’accusé de réception
  • Soit l’envoi d’une lettre simple comportant copie de l’acte avec récépissé que le destinataire est invité à renvoyer au commissaire de justice
  • Soit le dépôt d’un avis de passage comportant récépissé que le destinataire est invité à renvoyer couplé avec l’envoi d’une lettre simple

Concrètement, le praticien confronté à une signification de ce type n’a (d’un point de vue technique) plus vraiment à vérifier l’exactitude du domicile du requis puisque sa déclaration d’adresse fera que la signification sera réputée à sa personne. La volonté économique de l’article 503-1 du C. Pr. Pén. prenant l’ascendant sur la traditionnelle priorité de tout mettre en œuvre pour que la personne ait connaissance de l’affaire la concernant, qu’importe son éventuel changement d’adresse.

Pour en revenir à notre hypothèse de départ, même si la maison a brûlé, il ne peut vous être reproché de ne pas avoir signifier l’acte au parquet parce que le destinataire n’avait plus aucun domicile ou résidence connus. Au contraire, l’absence de visa à l’article 559 du Code de procédure pénale induit que cette façon de procéder est à exclure en la matière.

III - Une interprétation constante à ce jour.

La solution qui avait été posée par cet arrêt de 2011 est aujourd’hui encore solidement affirmée, les décisions récentes traitant de ce sujet l’illustrent :

Dans un premier temps, le fait que les lettres de formalités prescrites en cas de non-remise à personne ne reviennent pas signées, voir reviennent avec la mention « n’habite pas à l’adresse indiquée » n’a aucune incidence sur la validité de la signification, la Chambre criminelle écartant ce moyen en approuvant une cour d’appel qui a statué par arrêt contradictoire à signifier à l’encontre d’une prévenue citée selon l’article 503-1 du Code de procédure pénale et dont l’accusé de réception de la formalité n’est pas revenu signé (Cass. Crim., 17 mai 2022, n° 21-81.377).

La solution avait été affirmée d’une manière encore plus explicite par la Chambre criminelle dans un arrêt du 6 Avril 2022 où elle exposa clairement que dès lors qu’il résulte de l’acte lui-même que les formalités prévues par l’article 558 du Code de procédure pénale ont été accomplies, peu important qu’il n’ait pas été fait retour du récépissé prévu par l’alinéa 4 de ce texte, la cour d’appel a fait l’exacte application des textes visés aux moyens, les dispositions de l’article 503-1 du Code de procédure pénale, n’étant, par ailleurs, pas incompatibles avec celles de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme (Cass. Crim., 6 Avril 2022, n°21-83.849).

Dans un second temps, et pour contrebalancer nos développements ci-dessus, la Chambre criminelle rappelle toutefois que le commissaire de justice, astreint certes au respect des formalités de l’article 558 du C. Pr. Pén., est toujours redevable d’une obligation de résultat vis-à-vis de la rédaction des actes qu’il délivre !

Par conséquent, c’est à bon droit que la Cour de cassation dans son arrêt du 30 Mars 2021 a cassé un arrêt d’appel qui a validé une citation selon l’article 503-1 qui a fait mention d’une adresse erronée. En l’espèce, l’acte ne faisait pas mention que l’adresse déclarée de l’appelant se situait chez un tiers, précision pourtant portée sur la déclaration d’appel.

Après avoir rappelé qu’il incombe seulement à l’officier ne trouvant pas le destinataire à l’adresse de conformer aux dispositions des alinéas 2 ou 4 de l’article 558, celui-ci n’ayant pas à vérifier l’exactitude du domicile, la cour rappelle que la juridiction n’est valablement saisie que lorsque la citation a été délivrée à l’exacte adresse déclarée par l’appelant. Tel n’est pas le cas lorsque la citation omet de préciser la domiciliation du prévenu chez un tiers (Cass. Crim., 30 Mars 2021, n°20-85.836).

IV - Pour résumer.

Pour résumer, l’article 503-1 du Code de procédure pénale pose une présomption d’adresse sur la personne du prévenu appelant. Il lui incombe de déclarer son adresse pour bénéficier du procès en appel, en contrepartie de quoi, il s’engage (théoriquement) à communiquer sa bonne adresse pour une bonne administration de la justice et du procès d’appel.

De ce postulat, le commissaire de justice, ou son clerc assermenté, n’a pas à effectuer des diligences démesurées pour retrouver un prévenu qui a déclaré une adresse « fantôme ». Il doit simplement veiller à ce que son acte soit correctement rédigé et se conformer aux formalités prescrites par les alinéas 2 ou 4 de l’article 558 du Code de procédure pénale sans même avoir à vérifier l’exactitude du domicile.

En conclusion, si l’adresse est déclarée selon l’article 503-1, même si la maison a brûlé, l’adresse qui n’est plus d’actualité ne relève pas de votre responsabilité !

Lucas Vancaeyzeele
Clerc de Commissaire de Justice
Master II Justice, Procès et Procédures
https://www.linkedin.com/in/lucasvnzl/

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Notes de l'article:

[1Art. 556 du C. Pr. Pén.

[2Art. 558 du C. Pr. Pén.

[3Art. 559 du C. Pr. Pén.

[4Assemblée nationale, débats parlementaires, Compte rendu intégral séance du 22/05/2003, JORF du 23 Mai 2003, Session ordinaire n°216, Art. 54. https://www.assemblee-nationale.fr/12/cri/2002-2003/20030216.asp

[5Modalités de la citation à adresse déclarée : enfin un principe !, M. Léna, Dalloz Actualité, 17 Mars 2011 https://www.dalloz-actualite.fr/essentiel/modalites-de-citation-adresse-declaree-enfin-un-principe

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