Les clauses de "ratchet" dans les opérations de capital-risque.

Par Sarah Acharhabi, Etudiante.

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Explorer : # clauses de ratchet # capital-risque # lbo (leveraged buyout) # investisseurs et entrepreneurs

Selon Jim Breyer, célèbre capital-risqueur, 90% des licornes actuelles vont voir leur valorisation revue à la baisse ou bien disparaître. Seules 10% de ces start-up valorisées à plus d’un milliard de dollars devraient survivre. De façon non-équivoque, le capital-risqueur pointe du doigt l’outil de la décimation : les clauses de ratchet.

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Le raccourci est hâtif mais il a l’intérêt de révéler le rôle de ces clauses dans la structuration des opérations de capital-risque, car c’est dans la pratique des opérations LBO et assimilées que ces clauses trouvent un terrain fertile.

Sous l’angle strictement juridique, le capital-risque est la prise de participations minoritaires dans des sociétés non cotées en vue de réaliser à terme une plus-value, accompagnée d’une collaboration plus ou moins active entre l’investisseur en capital-risque et l’équipe dirigeante.

Ces investissements sont particulièrement risqués quand il s’agit de création d’entreprises car les aspects financiers de l’opération sont fortement influencés par quelques particularités : une volatilité extrême de l’actif économique dont le modèle économique reste à bâtir, une valeur hautement spéculative et instable ; un besoin de financements externes important car l’autofinancement est rarement positif avant plusieurs années et des investisseurs plus fortement impliqués afin de faire bénéficier l’entrepreneur de leurs conseils et réseaux.

La pratique du LBO a donc développé des outils d’ajustement et de correction de la valorisation de la société initialement retenue lors de l’investissement. A chaque nouveau tour de financement, il faut ajuster le prix des actions de la société cible. Aussi, les clauses de ratchet sont des outils d’ajustement privilégiés. Ces clauses sont mise en place au travers d’un pacte d’actionnaires qui a pour objet d’organiser les relations entre investisseurs et entrepreneurs afin de réaliser l’intérêt commun des parties : la réussite de l’opération d’investissement.

Selon l’usage qu’on en fait, les clauses de ratchet peuvent servir les intérêts propres de l’investisseur ou servir la réalisation du projet commun. En effet, elles peuvent avoir comme fonction de reluer l’investisseur mais elles peuvent également servir comme outils d’incitation des entrepreneurs.

En pratique, ces clauses permettent de maintenir le niveau de participation (en volume ou en valeur) de l’investisseur à chaque nouveau tour de financement. Les clauses vont dans ce cas servir à corriger la perte de valeur ou maintenir le pourcentage de participation de l’investisseur.
Par le même mécanisme, ces clauses peuvent servir d’outils de motivation des entrepreneurs en les reluant dans le cas où la valeur de la société au prochain tour de financement est supérieure aux objectifs à atteindre.
En outre, les effets de ces clauses seront variables selon que chacune des parties a participé au risque inhérent à l’opération ou pas. Plus précisément, les investisseurs ont le choix de mettre en œuvre une clause de full ratchet (seul l’entrepreneur subi l’impact de la dépréciation des titres) ou de weighted ratchet (l’impact de la dépréciation des titres est réparti entre l’investisseur et l’entrepreneur).

Enfin, le critère de participation au risque de capital est fondamental pour l’entrepreneur qui ne souhaite pas voir ses incentives requalifiés en salaires par l’administration fiscale. Enfin, la question de l’efficacité de ces clauses de pacte d’actionnaires est réactivée grâce aux innovations apportées par la réforme de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations.

Au final, ces clauses sont l’objet de négociations où l’investisseur a souvent l’ascendant. C’est ce dernier qui tranchera des fonctions des clauses anti-dilution et des clauses de ratchet : il devra faire un arbitrage entre la protection de son intérêt particulier ou la réussite de l’opération.

Ces clauses sont fondamentales dans la structuration de l’opération LBO dans le sens où elles participent à son encadrement contractuel et juridique (I), leur mise en œuvre nécessite de prendre certaines précautions pour qu’elles produisent les effets attendus (II).

I. L’encadrement contractuel et juridique des opérations LBO par les clauses de ratchet.

Il existe un quasi-vide jurisprudentiel concernant les clauses anti-dilution et les clauses de ratchet. C’est la pratique qui précisera le contour des notions (A). Ces clauses, en principe, valides ont des fonctions qui permettent de faire converger les intérêts des investisseurs et des entrepreneurs (B)

A. Des notions forgées par la pratique.

a). Qualification.

La clause de ratchet a vocation de protéger l’investisseur en capital contre le risque de dilution économique.
La dilution économique doit s’entendre de la perte de valeur des actions détenues par un investisseur du fait d’une émission d’actions nouvelles à un prix inférieur à la valeur vénale des actions existantes.
Cette clause est une sorte de garantie de valeur des droits sociaux. Elle offre un terrain fertile à la créativité des praticiens qui ont imaginé un grand nombre de mécanismes afin de répondre aux besoins de plus en plus complexes des opérations LBO et assimilés. Reste que ce mécanisme est le plus souvent fondé sur l’utilisation de bons autonomes de souscription d’actions (BSA), d’actions de préférences, d’obligations convertibles en actions ou encore de promesses de cession d’actions. Le droit anglo-saxon est la source d’inspiration principale de ce mécanisme relutif.
Afin de mieux comprendre le mécanisme qualifié de ratchet en France, on peut utilement étudier la structuration du ratchet anglo-saxon dont elle s’inspire. Ce dernier s’appuie essentiellement sur le jeu des catégories d’actions lequel offre une grande souplesse.

En pratique, trois types d’actions peuvent être créés à répartir entre investisseurs et entrepreneurs : les actions ordinaires (« Ordinary shares »), les actions ordinaires privilégiées (« Preferred Ordinary Shares ») et les 
(« Preference Shares »).

Afin d’importer des mécanismes comme le ratchet, le législateur a introduit l’ordonnance du 24 juin 2004 portant réforme du régime des valeurs mobilières. C’est grâce à cette réforme que les valeurs mobilières françaises peuvent se fondre facilement dans la technique de ratchet. C’est ainsi que la France s’inscrit dans la tendance mondiale des marchés financiers afin d’attirer les investisseurs étrangers et en particulier les investisseurs américains des sociétés de capital-risque qui apprécient particulièrement les actions à forte rentabilité financière.

Le régime des valeurs mobilières de droit français s’adapte avec une relative facilité au mécanisme de ratchet anglo-saxon contrairement au droit allemand qui semble limiter les possibilités en matière de mécanismes de relution. En particulier, la possibilité pour les sociétés par actions d’émettre des titres équivalents aux ABSA ou BSA demeure très controversée en doctrine et n’a pas été tranchée par la jurisprudence allemande La question de la validité de ces clauses ne se pose pas vraiment en droit français.

b) Validité de principe.

A ce jour, aucune décision concernant la validité des clauses de ratchet n’a été prononcée. Certains auteurs soulèvent que ces clauses pourraient constituer un pacte léonin sujet à nullité du fait de la protection offerte à l’actionnaire financier. La Cour de cassation considère toutefois que cette prohibition ne s’applique qu’aux conventions relatives à la répartition des bénéfices et pertes, mais ne s’applique pas aux conventions « sans incidence sur la participation aux bénéfices et la contribution aux pertes dans les rapports sociaux ».
L’investisseur bénéficie d’une sécurité sans pour autant risquer de voir le pacte conclu qualifié de clause léonine dans la mesure où une perte est toujours possible, en cas de défaillance du promettant ou de réduction du capital à zéro par exemple. Aussi, la clause de ratchet, qui prend le plus souvent la forme de BSA, suppose que l’investisseur actionnaire verse une somme d’argent. Il n’est donc pas exempté de contribuer aux pertes sociales futures. La clause de ratchet semble donc totalement à l’abri de la sanction de l’article 1844-1, alinéa 2. Si on est parfois tenté de penser le contraire comme le Professeur F-X Lucas , c’est en raison de l’extension démesurée de la notion de pertes sociales, à laquelle on a pu assimiler la dépréciation des droits sociaux.

Enfin, dans le sens de la démonstration de la validité de ces clauses, on peut observer un mouvement de renforcement de la liberté contractuelle et un assouplissement des exigences de l’ordre public sociétaire à l’égard de l’associé investisseur. Des règles telles que la prohibition des clauses léonines ou la protection du droit de vote ne s’imposent pas avec la même force que lorsqu’on est en présence d’un associé entrepreneur.

B. La convergence des intérêts particuliers et des intérêts communs des investisseurs et des entrepreneurs par les clauses.

L’enjeu principal de l’opération LBO réside dans l’articulation des intérêts parfois divergents des partenaires en présence. Ces divergences doivent se rencontrer dans l’intérêt que chacune des parties a dans la réussite du projet. Or, cette réussite suppose non seulement la volonté de l’investisseur de mobiliser les fonds nécessaire au développement du projet mais aussi de la motivation des entrepreneurs pour mener à bien le projet. La combinaison des clauses de « ratchet investisseurs » (1) et de « ratchet management » (2) permet d’atteindre cet objectif.

a) Relution des investisseurs : une protection nécessaire à la mobilisation des fonds.

Les clauses de ratchet au profit de l’investisseur sont particulièrement utiles car en garantissant sa participation, elle l’encourage à injecter des fonds dans le projet. En réalité, la nécessité d’organiser la protection des investisseurs repose sur deux séries de considérations. D’une part, leur participation en capital va être diluée du fait de l’apparition de nouveaux souscripteurs, ce qui n’est pas sans incidence sur leurs droits politiques. D’autre part, l’augmentation de capital va entraîner une diminution de la valeur réelle de leurs titres si la valorisation de la société est plus élevée que la valorisation précédent le tour de financement. La protection du droit préférentiel de souscription (C. com., art. L. 225-132) est alors limitée car cette arme n’est pas absolue. En effet, l’assemblée générale extraordinaire peut décider de le supprimer. Cette décision doit être adoptée par un vote favorable de deux tiers au moins des actionnaires présents ou représentés et s’impose donc à l’actionnaire qui aurait voté contre mais dont les voix seraient insuffisantes. Les clauses de relution permettent d’éviter ces risques et de maintenir la situation d’un minoritaire ou celle du majoritaire. Pour se prémunir de la réduction de sa participation, l’investisseur doit intégrer une clause de ratchet dans le pacte d’actionnaires.
Deux conditions vont devoir être réalisées pour que la clause puisse jouer ; tout d’abord, il faut une dépréciation de la valeur initiale des titres de l’investisseur. Ensuite il faut que cette dépréciation ait-été révélée à l’occasion du refinancement de la société, c’est-à-dire lors d’une levée de fonds postérieure.

Pour chacun des 2 types de mécanismes d’ajustement du prix de revient (full ratchet ou weighted average ratchet), plusieurs mécanismes sont envisageables. Les praticiens ont fait preuve de beaucoup d’imagination en la matière tant les mécanismes d’ajustement de prix des actions sont nombreux. Le mécanisme contractuel a été un peu délaissé depuis la réforme des valeurs mobilières en 2004 (les investisseurs ont préféré se tourner vers les BSA ratchet ou les actions de préférences). Ce mécanisme a l’avantage d’être simple d’application, de ne pas créer de nouveaux titres et que le montant à débourser par l’investisseur est souvent symbolique. L’ajustement du prix est obtenu par le biais d’une promesse de cession d’actions des fondateurs aux investisseurs. Les fondateurs s’engagent à céder aux investisseurs un certain nombre d’actions à un prix symbolique afin de corriger leur prix de souscription.

En réalité, cette promesse peut s’avérer difficile à exécuter en cas de tensions entre les parties. En effet, la promesse de cession constitue un engagement unilatéral de celui qui s’oblige à céder (le fondateur) et n’accorde qu’une sécurité juridique limitée au bénéficiaire. Si le promettant se rétracte avant que le bénéficiaire n’ait levé l’option, ce dernier ne pourra pas obtenir le transfert des actions à son profit. Dans une telle hypothèse, le bénéficiaire ne pourra obtenir que des dommages-intérêts pour inexécution contractuelle. Or, l’ordonnance de février 2016 introduit le nouvel article 1124 du Code civil qui prévoit désormais expressément que la rétractation du promettant pendant le délai de l’option ne doit pas empêcher la formation du contrat. Ce nouvel article pourrait donner une nouvelle jeunesse à ce mécanisme qui souffrait de l’insécurité juridique auquel il était associé.

La seconde famille de mécanismes est celle qui se fonde sur les valeurs mobilières rendues particulièrement attractives depuis la réforme de 2004. Les mécanismes les plus usuels sont les BSA ratchet, la conversion des actions de préférences et la conversion des obligations. L’investisseur puisera dans l’une ou l’autre des catégories selon l’utilité recherché. Non seulement chacun de ces mécanismes a des utilités différentes mais aucun n’est dépourvu d’inconvénients. Les BSA ratchet se sont très largement imposés comme support du ratchet investisseur. Ils offrent une sécurité juridique au détriment de la souplesse. Les BSA permettent aux investisseurs, en cas d’augmentation de capital dépréciant la valorisation initiale de la société financée, d’exercer leurs bons et de souscrire, à la valeur nominale, un nombre supplémentaire d’actions de la société calculées selon la formule mathématique de ratchet de manière à ajuster leur prix de souscription d’origine sur la nouvelle valorisation.

L’intérêt de ces bons est d’appartenir dès leur émission aux investisseurs. Ils donneront droit à des actions de la même catégorie que celle des actions dont ils servent à ajuster le prix. Par contre, il faut noter que ces bons nécessitent un versement complémentaire qui doit au minimum être égal à la valeur nominale des actions nouvelles.
De plus, l’émission de BSA au profit d’un nouvel actionnaire nécessite la présentation d’un rapport spécial du commissaire aux comptes à l’assemblée générale extraordinaire. On peut également noter que les BSA ne peuvent être exercés qu’une fois alors que les autres mécanismes peuvent permettre des ajustements nouveaux.

Autre mécanisme de ratchet fondé sur les valeurs mobilières ; les actions de préférence. Ce mécanisme de conversion permet d’obtenir un nombre déterminé d’actions nouvelles ordinaires ou de préférence, de manière à aligner le prix de souscription des actions des investisseurs sur le prix du nouveau tour de financement de la société. Le premier avantage est de permettre l’ajustement sans mise de fonds supplémentaire. Le deuxième avantage des actions de préférence est qu’elles permettent la mise en œuvre d’un nouvel ajustement de valorisation lors d’une opération financière ultérieure dans la limite de la prime d’émission disponible.
Par ailleurs, une précieuse fonction est rendue possible grâce à ce mécanisme ; on peut émettre des actions de préférence sans droit de vote ; élément important pour la gestion des relations entre les intervenants au LBO où l’investisseur ne cherche pas forcément à acquérir des droits politiques. Cependant, les actions de préférences doivent respecter la procédure des avantages particuliers avec un commissaire aux avantages particuliers pour pouvoir être émises valablement. La procédure peut donc s’avérer lourde.

Enfin, la conversion des obligations est un mécanisme auquel les investisseurs y recouraient fréquemment pour ajuster le prix des actions avant la réforme de 2004. Ce mécanisme est utile pour financer l’activité de la société au terme de son emprunt obligataire ou, à toute autre échéance prévue. L’investisseur aura le choix entre le remboursement de ses obligations et leur conversion en actions. Du point de vue des fondateurs, une telle émission a l’avantage d’éviter une dilution équivalente à un investissement en capital tout en bénéficiant d’une avance de fonds immédiate à un taux d’intérêt intéressant. Il faut cependant relever qu’un financement sous forme d’emprunt obligataire convertible ne sera pas pris en compte dans les capitaux propres de la société tant que la conversion n’a pas eu lieu. Le recours excessif à ce type d’instruments peut donc déséquilibrer le passif du bilan de la société financée.

b) Relution des entrepreneurs : un alignement des intérêts entre capital et compétence.

La qualité de l’équipe dirigeante et sa stabilité dans le temps sont des facteurs essentiels à la réussite d’un LBO. Ainsi, la mise en place d’un « ratchet management » visant à maintenir en place l’équipe dirigeante pourra être perçue comme un élément sécurisant du montage. Cette question est aujourd’hui au centre des préoccupations des fonds d’investissements et est abordée dès le début des négociations. Certains investisseurs financiers n’hésitent plus à considérer qu’ils se concentrent autant sur le management package que sur le prix d’acquisition.

On assiste, en France, à une augmentation significative des demandes des managers avec (i) des seuils de déclenchement, en cas de réussite du LBO, revus à la baisse (d’un TRI de 25 à 35 %, la fourchette s’est réduite à 20-30 % voire, dans certains cas, 18-28 %), (ii) une quote-part de la sur plus-value appréhendée par les managers de plus en plus élevée et (iii) davantage de droits négociés et obtenus .
Les parties prenantes intègrent de plus en plus le fait que le LBO repose essentiellement sur une croissance forte de la cible, justifiant ainsi la mise en place, la plus large possible, de mécanismes assurant la plus grande motivation des équipes concourant au développement de son activité.
Le « ratchet management » permet de mettre en œuvre des mécanismes de relution au profit des entrepreneurs en cas de valorisation trop basse de la société par rapport à sa valeur réelle ou d’atteinte d’objectifs précis.
Les investisseurs peuvent prévoir une révision de leurs droits financiers en faveur des entrepreneurs dès lors que certains objectifs prédéfinis sont réalisés. Ces objectifs peuvent être soit la réalisation ou le dépassement des prévisions du business plan soit la réalisation par les investisseurs d’un taux de rendement interne (TRI) ou d’un multiple de l’investissement au moment de la sortie. Sous réserve de l’atteinte de critères de performance par l’investisseur financier le manager pourra capter en sortie un pourcentage de la quote-part de plus- value réalisée par l’investisseur.

Dans ce cadre, la plus-value n’est plus attachée à la proportion au capital détenu par les managers mais au retour préférentiel des instruments ratchet qu’ils ont souscrits. Le fondement de cette pratique est le fait que la valorisation d’entrée s’avère trop faible au regard de la plus-value qui serait réalisée par les investisseurs. 
Dans le cadre du « ratchet management », on peut distinguer entre mécanismes contractuels, légaux et se fondant sur les valeurs mobilières.
On peut utilement considérer un paramètre de « risque » pour orienter son choix. Par exemple, le mécanisme contractuel que constitue la promesse de cessions d’actions (la société peut consentir au dirigeant une promesse unilatérale de vente ou de souscription portant sur un nombre variable de titres déterminé en fonction du taux de rendement interne (TRI) de l’investissement ou de tout autre indicateur de performance) contient le risque de rétractation du promettant. Ce mécanisme implique à la fois le risque juridique de rétractation et le risque financier de perdre les sommes en cas de non atteinte des objectifs.

On peut envisager l’instrument légal que constituent les attributions gratuites d’actions ; ce dispositif a été instauré à l’occasion de la Loi de finances pour 2005 et codifié sous les articles L. 225-197-1 à L. 225-197-5 du Code de commerce. L’avantage de ce système pour les dirigeants réside essentiellement dans le fait qu’il n’entraîne aucune prise de risque financier puisqu’ils n’ont aucun versement à effectuer.
Parallèlement, pour la société émettrice, le risque est maîtrisé : la société peut librement déterminer les modalités qui conditionneront l’attribution définitive des actions pour éviter d’être tenue à cette attribution alors qu’elle ne serait plus en mesure de le faire.

L’inconvénient réside alors dans sa rigidité : un dirigeant ne pourra pas se voir attribuer des actions gratuites s’il détient après l’attribution des actions gratuites, plus de 10 % du capital social ; en outre, le système impose (i) un délai d’acquisition dont la durée ne peut être inférieure à 2 ans et pendant lequel les dirigeants attributaires ne sont pas propriétaires des actions consenties et n’ont aucun droit d’actionnaire, et (ii) un délai de conservation, au minimum égal à 2 ans.

Enfin s’agissant des valeurs mobilières, elles n’impliquent pas de risques juridiques, seulement le risque financier inhérent au fonctionnement du « ratchet management » : « la société peut consentir au dirigeant des bons de souscription autonomes (BSA) qui lui offrent à terme la faculté de souscrire un nombre d’actions qui, là encore, est déterminé en fonction du TRI dégagé par les capital-investisseurs. À ceci près qu’en l’occurrence la promesse s’intègre dans une valeur mobilière. L’investissement initial correspond ici au prix d’achat des bons par le dirigeant » .

Toutefois, le mécanisme le plus intéressant reste celui des actions de préférences. Elles permettent de mettre en place des Management Packages sur mesure. En effet, « un dirigeant pourrait souscrire, à prix réduit, des actions de préférence comprenant des prérogatives pécuniaires et politiques inférieures à celles des autres actionnaires, mais pouvant être converties en actions ordinaires à l’issue d’un certain délai et sous condition de l’atteinte d’un TRI déterminé. Ainsi, le dirigeant serait intéressé à la réussite de la société en espérant pouvoir obtenir à terme des prérogatives identiques à celles des autres actionnaires. Par rapport aux dispositifs fondés sur une option de souscription, un tel mécanisme présenterait l’avantage de déclencher immédiatement le délai nécessaire à l’obtention d’un abattement pour durée de détention des titres » .

II. La mise en œuvre discutée des clauses anti-dilution et des clauses de ratchet.

La mise en œuvre des clauses anti-dilution et des clauses de ratchet soulève un certain nombre de discussions. Tout d’abord, les conséquences de la mise en œuvre varient selon le risque supporté par le bénéficiaire de la clause (A). Ensuite, l’ordonnance de février 2016 a introduit une innovation qui impact considérablement l’efficacité des clauses (B).

A. Les enjeux de la répartition du risque de l’opération par les clauses.

Le recours au full ratchet permet une protection totale de l’investisseur mais porte un coup aux chances de réussite du projet LBO en faisant porter tout le risque sur la tête de l’entrepreneur (1). Ce dernier doit participer au risque de capital s’il ne veut pas subir la requalification de ses incentives en salaires par l’administration fiscale (2).

a) La protection totale de l’investisseur : contrariété à l’intérêt commun des parties.

Il existe 2 types de formules de ratchet. Le Full ratchet est un mécanisme qui organise une protection totale des investisseurs. Le prix de revient des investisseurs historiques est ramené au prix de souscription du nouveau tour. Dans ce cas, la clause modifie de manière rétroactive le prix d’entrée des investisseurs au capital de la société en l’alignant sur le prix retenu lors de la nouvelle opération de financement.


Le Weighted average ratchet : La protection de l’investisseur est partielle car l’ajustement de prix d’entrée s’effectue en fonction de la valorisation moyenne de la société ressortant de l’opération initiale et de l’opération sur capital déclenchant l’ajustement.

Le prix de revient des investisseurs historiques est ramené à un prix correspondant à la moyenne pondérée par les montants investis, entre le prix d’origine et le prix du ou des tour(s) ultérieur(s).
Dans la pratique, la manière de prendre en compte le ou les tours ultérieurs considérés dépendra des conditions définies entre les parties. Plus rarement, il est également prévu que les anciens investisseurs ne bénéficieront du ratchet qu’à condition de participer financièrement au nouveau tour de table, aux côtés des nouveaux investisseurs (mécanisme dit de pay to play).

On observe que la distinction entre les deux formules de ratchet réside dans la répartition de l’impact de la dépréciation de la valeur des titres entre investisseurs et entrepreneurs.

Le full ratchet fait supporter la totalité du risque sur la tête des entrepreneurs alors que le weighted ratchet réparti l’impact entre les parties prenantes. Les praticiens émettent majoritairement des réserves quant à la formule du full ratchet. Certains auteurs considèrent que cette formule brise l’affectio societatis devant exister entre les associés. C’est ignorer la nature particulière de l’associé investisseur et de la non pertinence du critère de l’affectio societatis comme attribut essentiel de la qualité d’associé. L’investisseur, uniquement soucieux de rentabiliser les fonds qu’il a engagés, peut ainsi être distingué de l’entrepreneur détenteur du pouvoir qui cherche à pérenniser ou renforcer le contrôle qu’il exerce sur la société. Seul le second aurait véritablement une « âme d’associé » dans la mesure où il serait animé par l’affectio societatis, à la différence du premier qui le plus souvent serait essentiellement un simple bailleur de fonds.

On reproche également à ce type d’opération d’être à la limite des stipulations léonines qui attribuent à un associé la totalité du profit ou des pertes et qui sont réputées non écrites. La clause ainsi formulé constituerait pour son bénéficiaire une garantie contre toute évolution défavorable des actions ou un moyen de se soustraire au statut d’associé. Or, l’investisseur supporte un risque très important (en particulier les premières années d’investissement) et que souvent, ce dernier apporte non seulement des fonds mais aussi une expertise particulièrement appréciée des jeunes entreprises en phase de développement.
La contrepartie de cette garantie pour l’entrepreneur se trouve dans le pacte d’actionnaires.
Plutôt que de rechercher la contrariété du full ratchet aux grands principes du droit des sociétés qui sont approchées souplement dans les opérations LBO. Il est utile d’analyser la contrariété de cette clause de full ratchet aux principes de l’opération qu’elle est censée servir. La mise en œuvre de cette clause peut s’avérer fondamentalement contraire à l’esprit du capital- risque et c’est en ce sens que le full ratchet est contraire à l’intérêt social entendu comme intérêt commun des parties (la réussite de l’opération LBO).
En effet, le full ratchet a pour double inconvénient de diluer à l’extrême les fondateurs avec pour effet leur démotivation.
Ces derniers, qui voient leur participation se réduire comme une peau de chagrin, risquent de ne plus trouver un intérêt à développer l’activité.
D’autre part, le full ratchet a aussi pour effet de décourager les futurs investisseurs à participer au prochain tour de financement car le mécanisme augmente considérablement la participation en valeur et en volume de l’investisseur bénéficiaire.

Finalement, dans la pratique, la formule du full ratchet est rarement utilisée ou uniquement dans des opérations très risquées. On préférera alors la formule du weigthed ratchet. Une limitation de la clause dans le temps peut aussi être prévue. Enfin, une franchise ou un seuil de déclenchement peut utilement protéger les fondateurs .

B. L’impact de l’ordonnance du 10 février 2016 sur l’efficacité des clauses.

a) Une efficacité renforcée, en théorie.

Depuis 1993 et le célèbre arrêt rendu par la 3e chambre civile de la Cour de cassation, et en dépit de quelques sursauts jurisprudentiels intervenus depuis, les promesses unilatérales ne pouvaient faire l’objet d’une exécution forcée dès lors que le promettant s’était rétracté avant la levée de l’option par le bénéficiaire.
En effet, La Cour de cassation, dans l’arrêt de 1993 rendu par sa troisième chambre civile, confirmé en 2011 par cette même chambre et par la chambre commerciale, affirmaient que l’inexécution d’un contrat de promesse ne générant qu’une obligation de faire ne pouvait se résoudre que par des dommages et intérêts, si la rétractation intervenait avant que le bénéficiaire ne lève l’option.
Jusqu’à présent, la jurisprudence, dans la grande majorité des cas, refusait d’octroyer à ces promesses leur pleine efficacité juridique en sanctionnant leur non respect par l’associé violant son engagement par le simple octroi de dommages et intérêts.

L’ordonnance du 10 février 2016 brise cette jurisprudence. Ainsi, l’article 1124 nouveau du code civil dispose que : « La promesse unilatérale est le contrat par lequel une partie, le promettant, accorde à l’autre, le bénéficiaire, le droit d’opter pour la conclusion d’un contrat dont les éléments essentiels sont déterminés, et pour la formation duquel ne manque que le consentement du bénéficiaire. La révocation de la promesse pendant le temps laissé au bénéficiaire pour opter n’empêche pas la formation du contrat promis. Le contrat conclu en violation de la promesse unilatérale avec un tiers qui en connaissait l’existence est nul ».
Selon cet article, le bénéficiaire peut dorénavant demander l’exécution forcée de la promesse en cas de révocation de cette dernière par le promettant avant la levée de l’option. La promesse n’est ainsi plus analysée en une obligation de faire.
Ce nouveau régime légal est venu pallier les solutions imaginées par la pratique (acceptation par avance à l’exécution forcée et renonciation à l’application de l’ancien article 1142 du code civil).
Le Rapport au Président de la République souligne clairement que : « Cette solution met fin à une jurisprudence très critiquée : la Cour de cassation refuse en effet la réalisation forcée du contrat lorsque la levée de l’option par le bénéficiaire intervient postérieurement à la rétractation du promettant, et limite la sanction à l’octroi de dommages et intérêts. La nouvelle solution adoptée, conforme aux projets européens d’harmonisation, tend à renforcer la sécurité et l’efficacité de la promesse unilatérale. [...] Le texte codifie par ailleurs la solution jurisprudentielle actuelle sur la nullité du contrat conclu en violation de la promesse unilatérale avec un tiers qui en connaissait l’existence ».

En théorie, le nouvel article 1124 est très favorable aux clauses anti-dilution et aux clauses de ratchet qui constituent des promesses unilatérales. Leur efficacité devrait s’en retrouver renforcée et par voie de conséquence renforcer la sécurité juridique des opérations auxquelles elles concourent.
L’efficacité des pactes d’actionnaires devrait mettre en confiance les investisseurs qui seront plus enclins à injecter des fonds dans l’opération dans le mesure où l’efficacité des mécanismes qui les garantissent est renforcée.
D’autre part, ce nouvel article permet de renforcer les mécanismes contractuels du « ratchet investisseur » et du « ratchet management » et offrir une alternative intéressante aux parties dans la mesure où ces mécanismes sont d’application simples. Une simplicité dont l’intérêt sera démultiplié par la sécurité juridique renforcée par l’ordonnance de 2016.

b) Des incertitudes, en pratique.

« Les acteurs du capital- risque devraient pourtant savoir que, sur la scène du droit, comme sur celle de l’économie, le résultat n’est pas toujours conforme à l’affiche... ».

Sans vouloir faire de R. Routier la Cassandre des clauses anti-dilution et des clauses de ratchet, il reste que l’efficacité de ces clauses peut être contrariée malgré l’innovation introduite par l’ordonnance.

En pratique, un certain nombre de mécanismes peuvent annuler l’effet de l’article 1124 et réduire l’efficacité des clauses de ratchet et des clauses anti-dilution. Ainsi, il est possible d’insérer dans le pacte d’actionnaire une clause qui stipule la possible modification unilatérale du pacte. Le promettant peut alors valablement se rétracter avant le terme. D’autre part, il est possible tenter une qualification de la promesse en offre selon l’article 1116, alinéa 2, du nouveau code civil peut être rétracté avant la fin d’un délai : « La rétractation de l’offre en violation de cette interdiction empêche la conclusion du contrat. Elle engage la responsabilité extracontractuelle de son auteur dans les conditions du droit commun sans l’obliger à compenser la perte des avantages attendus du contrat. ».

L’ordonnance précise clairement que même une rétractation irrégulière n’en demeure pas moins efficace en empêchant la formation du contrat. La qualification de la promesse en offre peut-être une arme redoutable.

Enfin, les parties peuvent également exclure le principe de l’exécution forcée en nature prévue par le nouvel article 1221 du code civil : « le créancier d’une obligation peut, après mise en demeure, en poursuivre l’exécution en nature sauf si cette exécution est impossible ou s’il existe une disproportion manifeste entre son coût pour le débiteur et son intérêt pour le créancier ». En stipulant l’inverse, les parties ne pourraient revenir au principe d’avant l’ordonnance de 2016.

On remarquera que selon le rapport de force entre les parties, il est tout à fait possible d’écarter contractuellement le principe d’exécution forcée prévue par le nouvel article 1124 du code civil. En pratique, le rapport de force est généralement favorable aux investisseurs qui ont un pouvoir de négociant plus puissant que celui des entrepreneurs (en particulier en ce qui concerne les jeunes entreprises).

Gageons que les stipulations contractuelles envisagées limitent essentiellement l’efficacité des clauses de « ratchet management ».
Les clauses de « ratchet investisseurs » devraient pleinement bénéficier de la protection offerte par le nouvel article.

Sarah Acharhabi

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