Legal Games Week à Strasbourg : l’avenir de l’apprentissage du droit ... dans le jeu ?

Clarisse Andry
Rédaction du Village de la Justice

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Le 20 septembre 2019 a eu lieu la première université d’été d’Open Law*le droit ouvert ! Très tôt consciente que la formation des juristes était l’un des enjeux majeurs de l’évolution des métiers, l’association a donc décidé de consacrer cette journée à l’apprentissage du droit par la gamification. En collaboration avec l’ERAGE (Ecole des avocats du Grand-Est), qui accueillait l’événement, et en partenariat avec le Village de la Justice, cette journée a donc été l’occasion de découvrir les solutions et formats possibles, leurs applications et les publics visés.

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Jouer pour découvrir ou apprendre le droit ? Oui, c’est possible. Alors que la matière est nécessairement emprunte de sérieux, l’utilisation d’outils ludiques est en effet un moyen de mieux comprendre les règles de droit, et surtout de les mémoriser sur le long terme. C’est notamment ce qu’a pu expliquer Gaëtan de Lavilléon, chercheur en neurosciences et cofondateur de Cog’X. Pour approfondir les enjeux auxquels peut répondre la gamification, il a ainsi détaillé la théorie sur l’apprentissage développée par le chercheur Stanislas Delaene, dans laquelle se dégagent 4 piliers.

D’abord, l’attention, qui s’avère être un bien précieux et limité. « Le cerveau ne peut pas tout traiter et être attentif à tout. Le problème est que ce qui est important pour notre cerveau n’est pas nécessairement ce qui est important pour nous. » Pour lutter contre cette illusion d’attention, il est donc impératif d’avoir des intentions très claires, afin de diriger son « filtre intentionnel » sur les informations importantes – une notion essentielle pour l’apprenant comme pour le formateur lorsqu’il élabore ses contenus. Ce travail peut s’avérer difficile au quotidien, d’autant plus dans un univers digitalisé, dans lequel le cerveau « atteint une surcharge cognitive très rapidement, ce qui va nuire à la mémorisation, et donc à l’apprentissage ».

Ensuite, l’engagement, qui nécessite d’être actif dans son apprentissage. Il est en effet impératif de faire un effort pour apprendre, de se mettre en difficulté, et de « trouver un équilibre entre ses compétences et le niveau de difficulté », afin de gérer les risques d’ennui ou d’anxiété. Gaëtan de Lavilléon relève alors que le mécanisme des jeux vidéos est calqué sur ce besoin d’engagement : on apprend au fur et à mesure du jeu de nouvelles fonctionnalités (déplacements, actions, armes, etc.) pour avancer. Et le joueur est obligé de recommencer jusqu’à ce qu’il maitrise les compétences dont il a besoin.

Vient ensuite la nécessité du « feedback », pour lutter contre « l’illusion de compétence ». « Si je pense que je maitrise un sujet, je ne vais plus faire d’effort pour apprendre, et donc ne pas monter en compétence » souligne Gaëtan de Lavilléon. C’est là que des phases de testing (seul ou en groupe) sont importantes – et il est essentiel d’être proche de l’erreur, pour pouvoir se corriger et progresser. Un enjeu qui demande d’ailleurs de revoir la culture de l’erreur dans notre société, puisque l’on a souvent peur de se tromper : « Il faut la bousculer, pour admettre que l’on ne sait pas tout, et prendre plus de risques ».

Enfin arrive la dernière phase, celle de la consolidation, pour laquelle il faut veiller à apprendre sur des temps espacés. Le modèle du bachotage (que nous avons tous connu) demande finalement un effort moindre. Et s’il permet peut-être d’obtenir des résultats à un instant T, il n’active pas la mémoire sur le long terme, et ce qui a été appris sera très vite oublié.

Les mécanismes du jeu peuvent donc rassembler l’ensemble de ces critères, pour permettre un meilleur apprentissage de la matière juridique, à adapter en fonction des cibles. Enke Kebede, directrice de l’ERAGE, a justement manifesté son intérêt pour ce type de format, afin de continuer les transformations qu’elle a entamées depuis 4 ans dans la formation proposée avec les élèves-avocats. Certains d’entre eux s’en sont d’ailleurs saisi, pour proposer un jeu de plateau intitulé Société, afin d’apprendre aux collégiens et lycéens les rudiments de l’État de droit.

De son côté, l’équipe du département juridique d’Ubisoft, présente lors de cette journée, a utilisé des outils ludiques, comme les vidéos, pour sensibiliser les opérationnels au RGPD. Un dispositif qu’elle veut compléter, notamment avec des quizz, et qui permet en plus au juriste qui contribue à ces formats de développer d’autres compétences.

L’Escape game du cabinet Sagan : 40 minutes pour résoudre les énigmes et découvrir les principes des élections professionnelles

Les projets présentés au cours de la journée ont offert un premier regard sur les nombreuses possibilités offertes par cette gamification. Le cabinet Sagan a ainsi mis au point un escape game pour sensibiliser les participants aux règles des élections professionnels. Des jeux en ligne étaient également disponibles – comme Subpoena, un petit jeu d’enquête qui permet de regrouper des indices afin de dénoncer le plagiat. Le jeu Data Perso, présentée par Armelle Gilliard, permet de redécouvrir ses connaissances sur la protection des données, et L’As du Crime, élaborée par les Barons du droit, est un jeu de l’oie qui vous fait réviser les fondamentaux de la procédure pénale, avec à l’appui le tome 2 des Arrêts illustrés.

L’As du Crime, par les Barons du droit

Si l’aventure peut séduire, reste ensuite à trouver un jeu adapté à ses besoins… ou à créer son propre jeu. Pour guider ce type de projet, la société Prismatik a élaboré Mécanicartes (disponible en creative commons), qui décomposent toutes les actions possibles au cours d’un jeu de société, y compris celles qui peuvent passer inaperçues. Utilisées d’abord lors d’un jeu existant et simple, les joueurs analysent les compétences qu’ils ont dû mobiliser pour jouer, et comprennent mieux les mécanismes possibles, pour passer à l’étape de création.

Les Mécanicartes, pour apprendre à décomposer tous les ressorts d’un jeu de société

Enfin, l’apprentissage n’implique pas uniquement des connaissances concrètes, mais aussi un savoir-être et des soft skills, que le jeu permet de réveiller ou de développer. Un constat qu’ont fait Marie Bernard, fondatrice de Bleu de Prusse, et Cécile Boss, professeur à l’ENA, avec la méthode Lego Serious Play. Au cours d’une séance, les participants doivent répondre à plusieurs défis, en construisant leur réponse avec les célèbres petites briques, puis la décrire et la commenter aux autres membres du groupe. Le lâcher prise, l’abandon des liens organisationnels, la créativité, le fait de matérialiser quelque chose en 3D et d’externaliser ses pensées sont autant d’éléments bénéfiques pour l’individuel comme le collectif. Un tel exercice fait appel à la « pensée concrète » et répond aux objectifs managériaux, en impliquant tous les membres d’une équipe.

Cette Legal Games Week s’est ainsi révélée très inspirante, et donne envie de voir se développer de nombreux formats de jeu appliqués au droit. Mais cette nouvelle logique offre aussi l’opportunité de poser un autre regard sur les méthodes d’apprentissage actuelles, et de poursuivre les réflexions plus générales menées sur les formations initiales et continues.

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