Lanceurs d’alerte : quelle protection légale ?

Par Avi Bitton, Avocat et Anne-Claire Lagarde, Juriste.

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Explorer : # protection des lanceurs d'alerte # loi sapin 2 # signalement # droit du travail

Qu’est-ce qu’un lanceur d’alerte selon la loi ?
Comment est-il protégé par la loi ?
Quelles sont les conditions pour bénéficier de la protection légale ?

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La loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite « Loi Sapin 2 », organise la protection des lanceurs d’alerte.

Cette protection s’organise autour de deux piliers : une protection au niveau pénal, et une protection par le droit du travail.

La loi décrit également la procédure de signalement, composée de trois étapes, et donne, pour la première fois, une définition du lanceur d’alerte.

Le Défenseur des droits est compétent pour accompagner les lanceurs d’alerte et à les aider à s’orienter à chaque étape de la procédure de signalement.

La protection des lanceurs d’alerte n’est pas seulement nationale, mais revêt également une dimension européenne. Le 23 octobre 2019, le Parlement européen et le Conseil européen ont adopté une directive sur la protection des personnes signalant des violations du droit de l’Union. Entrées en vigueur le 16 décembre 2019, les nouvelles règles devraient s’appliquer en droit français à partir du 17 décembre 2021.

I. Une définition du lanceur d’alerte.

La loi Sapin 2 définit expressément le lanceur d’alerte : « une personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d’un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d’un acte unilatéral d’une organisation internationale pris sur le fondement d’un tel engagement, de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice graves pour l’intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance. »

L’article 6 exclut du champ d’application du régime juridique exposé par la loi "les faits, informations ou documents, quel que soit leur forme ou leur support, couverts par le secret de la défense nationale, le secret médical ou le secret des relations entre un avocat et son client".

II. L’instauration d’une protection pénale du lanceur d’alerte.

A. La création de l’article 122-9 du Code pénal.

Aux termes du nouvel article 122-9 du Code pénal : « N’est pas pénalement responsable la personne qui porte atteinte à un secret protégé par la loi, dès lors que cette divulgation est nécessaire et proportionnée à la sauvegarde des intérêts en cause, qu’elle intervient dans le respect des procédures de signalement définies par la loi et que la personne répond aux critères de définition du lanceur d’alerte prévus à l’article 6 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique. »

Autrement dit, le lanceur d’alerte ne peut être poursuivi pénalement lorsqu’il porte atteinte à un secret protégé par la loi (par exemple : article 226-13 du Code pénal) dès lors que trois conditions, a priori cumulatives, sont remplies :

• Tout d’abord, la personne doit répondre à la définition du lanceur d’alerte telle qu’elle résulte de l’article 6 de la loi Sapin 2 ;

• Ensuite, le lanceur d’alerte doit suivre la procédure de signalement telle qu’elle résulte de l’article 8 de la loi Sapin 2 (voir infra) ;

• Enfin, la divulgation doit être nécessaire et proportionnée à la sauvegarde des intérêts en cause.

B. La procédure de signalement.

La protection du lanceur d’alerte est assurée si celui-ci respecte une procédure de signalement basée sur trois étapes :

- A un premier niveau, le lanceur d’alerte doit saisir son supérieur hiérarchique, qu’il soit direct ou indirect, son employeur, ou un référent désigné par le supérieur hiérarchique à cet effet.

- Si la personne destinataire du signalement ne met pas en place toutes les diligences nécessaires à vérifier la recevabilité de l’alerte, alors le lanceur d’alerte peut s’adresser aux autorités judiciaires, administratives, ou aux ordres professionnels.

- En dernier ressort, si son signalement n’est toujours pas traité dans un délai de trois mois, le lanceur d’alerte peut alors rendre son signalement public.

En cas de danger grave et imminent ou en présence d’un risque de dommages irréversibles, le signalement peut être porté directement à la connaissance des autorités judiciaires, administratives ou des ordres professionnels, et peut être rendu public.

Les personnes morales de droit public et privé d’au moins cinquante salariés, aux administrations de l’Etat, aux communes de plus de 10 000 habitants, aux régions, et aux établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre, doivent établir des procédures appropriées pour recueillir des signalement émis par des membres de leur personnel ou par des collaborateurs extérieurs et occasionnels.

Enfin, le Défenseur des droits peut recevoir les signalements pour orienter les lanceurs d’alerte vers l’organisme approprié, à toutes les étapes de la procédure.

C. Le principe de confidentialité de l’identité des auteurs du signalement.

La loi Sapin 2 pose le principe fondamental selon lequel les procédures mises en œuvre pour recueillir le signalement du lanceur d’alerte garantissent une stricte confidentialité de l’identité de son auteur, des personnes visées par le signalement et des informations recueillies par les destinataires du signalement.

En ce sens, les éléments de nature à identifier le lanceur d’alerte ne peuvent être divulguer qu’à l’autorité judiciaire, et avec l’accord du lanceur d’alerte. De même en est-il de l’identité de la personne mise en cause ; elle ne peut être divulguer qu’à l’autorité judiciaire lorsqu’il est établi que l’alerte est fondée.

La protection de l’identité du lanceur d’alerte, de la personne visée par l’alerte et des informations recueillies dans le cadre de la procédure de signalement sont garanties, et la divulgation de ces éléments est passibles d’une peine de 2 ans d’emprisonnement délictuel et d’une amende de 30 000 euros.

III. La protection du lanceur d’alerte par le droit du travail.

La loi Sapin 2 vient modifier l’article L. 1132-3-3 du Code du travail régissant le principe de non-discrimination :

- « Aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement ou de l’accès à un stage ou à une période de formation professionnelle, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, au sens de l’article L. 3221-3, de mesures d’intéressement ou de distribution d’actions, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat, pour avoir signalé une alerte dans le respect des articles 6 à 8 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique. »

- « En cas de litige relatif à l’application des premier et deuxième alinéas, dès lors que la personne présente des éléments de fait qui permettent de présumer qu’elle a relaté ou témoigné de bonne foi de faits constitutifs d’un délit ou d’un crime, ou qu’elle a signalé une alerte dans le respect des articles 6 à 8 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 précitée, il incombe à la partie défenderesse, au vu des éléments, de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à la déclaration ou au témoignage de l’intéressé. »

De même, le régime des employés fonctionnaires est modifié : « Aucun fonctionnaire ne peut être sanctionné ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, pour avoir signalé une alerte dans le respect des articles 6 à 8 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique. »

« Le fonctionnaire qui relate ou témoigne de faits relatifs à une situation de conflit d’intérêts de mauvaise foi ou de tout fait susceptible d’entraîner des sanctions disciplinaires, avec l’intention de nuire ou avec la connaissance au moins partielle de l’inexactitude des faits rendus publics ou diffusés est puni des peines prévues au premier alinéa de l’article 226-10 du code pénal. »

L’article 12 prévoit quant à lui qu’en cas de rupture du contrat de travail consécutive au signalement d’une alerte, le salarié peut saisir le conseil des prud’hommes selon la procédure des référés.

IV. La création de l’article L. 911-1-1 du Code de justice administrative.

La loi Sapin 2 a également créé l’article L. 911-1-1 au sein du code de la justice administrative.

Il s’agit de l’hypothèse dans laquelle une décision de justice administrative implique qu’une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public prenne une mesure d’exécution.

Dans cette hypothèse précise, la juridiction peut prescrire la réintégration de toute personne ayant fait l’objet d’un licenciement, d’un non-renouvellement de son contrat ou d’une révocation alors qu’elle était protégée par le code de la défense et le code du travail en vertu de son statut de lanceur d’alerte, y compris lorsque cette personne était liée par une relation à durée déterminée avec la personne morale de droit public ou l’organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public.

V. La création d’une infraction pour obstacle au signalement donné par un lanceur d’alerte.

La loi Sapin 2 crée une infraction pour toute personne qui viendrait faire obstacle, par quelque manière que ce soit, à la transmission d’un signalement par un lanceur d’alerte. Cette infraction est sanctionnée d’une peine de 1 an d’emprisonnement délictuelle et d’une amende de 15 000 euros.

Également, lorsque le juge d’instruction ou la chambre de l’instruction est saisi d’une plainte pour diffamation contre un lanceur d’alerte, le montant de l’amende civile qui peut être prononcée pour constitution de partie civile jugée abusive ou dilatoire est majorée à 30 000 €.

VI. Un article 14 déclaré contraire à la Constitution française.

La loi Sapin 2 prévoyait une aide financière ou un secours financier à destination des lanceurs d’alerte, lesquels pouvaient être accordés par le Défenseur des droits. Par une décision en date du 8 décembre 2016, le Conseil constitutionnel a déclaré cet article contraire à la Constitution.

Cette compétence donnée au Défenseur des droits a été déclarée inconstitutionnelle par sa nature. Autrement dit, ce sont bien les conditions de mise en œuvre de ces aides financières qui ont été déclarées inconstitutionnelles, et non leur principe.

VII. La modification de l’article L. 4122-4 du code de la défense.

La loi Sapin 2 étend la protection des lanceurs d’alerte aux membres de l’armée française.

Dès lors, l’article L. 4122-4 du code de la défense énonce désormais qu’aucun militaire ne peut être sanctionné ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, pour avoir signalé une alerte dans le respect de la loi Sapin 2.

VIII. La création d’un chapitre au sein du code monétaire et financier.

La loi Sapin 2 insère dans le Code monétaire et financier, au sein du titre III du livre VI, un chapitre IV intitulé « Signalement des manquements professionnels aux autorités de contrôle compétentes et protection des lanceurs d’alerte. »

Avi Bitton, Avocat au Barreau de Paris
Ancien Membre du Conseil de l’Ordre
Site : https://www.avibitton.com

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