L’interdiction de retour sur le territoire français (IRTF) : analyse de jurisprudence récente.

Par Alain Henri Enam, Avocat.

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Explorer : # interdiction de retour # droit des étrangers # titre de séjour

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Les étrangers confrontés à une interdiction de retour sur le territoire français (IRTF) subissent des refus systématiques de leurs demandes de titre de séjour. Cependant, des décisions juridiques établissent que l'IRTF ne peut entraver l'examen de ces demandes tant que l'obligation de quitter le territoire français (OQTF) n'est pas exécutée.
Description rédigée par l'IA du Village

La question de l’application des IRTF est l’une des plus préoccupantes pour les étrangers en situation irrégulière, notamment lorsqu’ils ont fait l’objet dans un passé plus ou moins récent d’une Obligation de Quitter le Territoire Français (OQTF), assortie d’une Interdiction de retour sur le territoire français (IRTF).

La question se pose en effet généralement de savoir s’ils peuvent solliciter sans risque, la délivrance d’un titre de séjour à l’expiration de la durée de validité de l’OQTF qui n’aurait pas été exécutée, alors qu’elle était assortie d’une IRTF ; ou encore s’ils ne risquent pas d’être placés en rétention du fait de l’existence de l’IRTF, quand bien même le délai de validité de l’OQTF a expiré.

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A la première préoccupation, les étrangers ont généralement tendance à répondre par la négative ; mal aidés en cela il est vrai par les pratiques douteuses des préfectures qui refusent quasi systématiquement d’instruire les dossiers de personnes ayant fait l’objet d’OQTF assorties d’interdiction de retour sur le territoire français.

Et pourtant, comme l’a fort justement rappelé le juge administratif de Nancy dans un arrêt du 15 mars 2020, un préfet ne peut sans commettre d’erreur de droit refuser d’examiner une demande de titre de séjour au seul motif que l’étranger ferrait l’objet d’une interdiction de retour sur le territoire français, alors que l’OQTF n’a pas été exécutée dans le délai d’un an (I) [1].

A la seconde préoccupation, la tendance est plutôt à répondre par l’affirmative, l’étranger ayant fait l’objet d’une OQTF assortie d’une IRTF, demeurant dans la crainte permanente d’être placée en centre de rétention du seul fait de l’existence d’une IRTF alors même que le temps de l’exécution de l’OQTF a expiré.

Cette crainte compréhensible n’est pour autant pas fondée ; la Cour de cassation ayant jugé qu’un placement en centre de rétention sur la base d’une IRTF dont l’OQTF qui la fonde a perdu sa validité est illégal. A fortiori, la prolongation d’un tel placement (II) [2].

A rebours pourrait-on dire de ces jurisprudences plutôt favorables aux étrangers, et qui consacrait le caractère de l’IRTF à l’OQTF, le Conseil d’Etat a rendu le 30 juillet 2024 une décision peu commentée, mais qui remet la question des IRTF au cœur des préoccupations dans le traitement des demandes d’admission exceptionnelle, en excluant du calcul de la durée de présence sur le territoire français, le temps passé sous IRTF, quand bien même l’OQTF n’aurait pas été exécutée.

I- Une Interdiction de Retour sur le Territoire Français (IRTF) n’est pas incompatible avec une demande de titre de séjour.

De manière quasi systématique, les demandes de titre séjour formulées par les étrangers ayant fait l’objet d’une OQTF assortie d’une IRTF sont rejetées au guichet sans même être examinées.

Celles qui parviennent à passer le filtre du guichet font souvent l’objet d’un classement sans suite, du fait de l’existence d’une IRTF.

C’est cette pratique contra legem que le Tribunal administratif de Nancy a sanctionné dans un arrêt étonnement peu commenté du 15 septembre 2020 que l’on peut résumer ainsi pour être compris de tous : même avec une IRTF, un étranger en situation irrégulière peut introduire une demande de titre de séjour devant une préfecture.
Dans cette affaire, un couple d’étrangers déboutés de leur demande d’asile avait fait l’objet de deux OQTF en 2014 et 2016.
Ils ont à nouveau introduit en 2017, des demandes de titre de séjour qui leur ont valu en plus du refus, une OQTF et une IRTF pour une durée de deux ans.
Il est à préciser que toutes les requêtes en annulation introduites contre ces décisions ont été rejetées.

En juin 2019, le couple a de nouveau sollicité une admission exceptionnelle au séjour auprès de la préfecture des Vosges.

Par une décision du 12 août 2019, préfet a refusé d’enregistrer les demandes de titre de séjour au seul motif que les IRTF dont les étrangers faisaient l’objet, étaient un obstacle à toute demande de régularisation et que la recevabilité d’une telle demande est subordonnée à l’abrogation préalable des IRTF.

Le juge administratif de Nancy va annuler cette décision pour erreur de droit, estimant avec à propos que le préfet ne pouvait refuser d’enregistrer la demande de titre de séjour des requérants « au seul motif qu’ils étaient sous le coup d’une IRTF dont ils ne pouvaient valablement demander l’abrogation sans avoir effectivement quitter ce territoire (…) ».

En d’autres termes, les juges administratifs font valoir qu’on ne peut opposer à un étranger pour refuser d’examiner sa demande de titre de séjour, l’existence d’une IRTF, tant que l’OQTF dont l’IRTF est subséquente n’a pas été exécutée.

Cette position du tribunal administratif qui fait actuellement jurisprudence résulte en réalité d’une simple lecture intelligente des articles L612-7 ET 612-8 du Céseda qui précisent tous les deux que :

« Les effets de cette interdiction cessent à l’expiration d’une durée, fixée par l’autorité administrative (…) à compter de l’exécution de l’obligation de quitter le territoire français ».

Ainsi, tant que l’Obligation de quitter le territoire français (OQTF) n’a pas été exécutée, les effets de l’Interdiction de Retour sur le Territoire Français (IRTF) ne peuvent aucunement être opposés à un étranger qui souhaite voir examiner sa situation au regard de son droit au séjour en France.

II- Un placement en rétention administration uniquement fondé sur une Interdiction de Retour sur le Territoire français (IRTF) est illégal.

S’il est vrai comme cela vient d’être rappelé qu’un étranger ne saurait voir sa demande de titre de séjour rejetée ou classée sans suite au seul motif qu’il ferait l’objet d’une IRTF alors que l’OQTF est devenue caduque, on peut en déduire que pour les mêmes raisons, un étranger ne saurait être placé en centre de rétention administrative.
Dans la pratique pourtant il n’est pas rare qu’un étranger soit menacé d’être placé en rétention du fait de l’existence d’une IRTF ; et il arrive même parfois que la menace de placement soit mise à exécution par l’administration, en toute illégalité bien évidemment.

Cette pratique a été on l’espère définitivement éradiquée par la Cour de Cassation dans un arrêt du 8 mars 2023 [3].

Dans cette affaire un étranger s’était pourvu en cassation contre une ordonnance rendue le 29 mars 2021 par le premier président de la Cour d’appel de Lyon.

Par cette ordonnance, le premier président de la cour d’appel avait assigné l’étranger à résidence, après qu’il avait été initialement placé en rétention administrative, en exécution d’une IRTF alors même que l’OQTF qui la sous-tendait était devenue caduque.

Pour soutenir son pourvoi, l’étranger a fait valoir que : « que lorsque l’Obligation de quitter le territoire français est caduque, et que l’intéressé n’a pas quitté le territoire français, l’interdiction de séjour qui l’accompagne est également caduque et ne saurait fonder une décision de rétention administrative ».

Il sera suivi dans cette analyse par les juges de la haute juridiction qui vont conclure que : « En statuant ainsi alors que l’Obligation de quitter le territoire français n’avait pas été exécutée, ce qui excluait toute méconnaissance d’une interdiction de retour, le premier président a violé les textes (…) ».

Pour en arriver à cette conclusion, les juges de la Cour de cassation ont simplement
rappelé la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne [4] d’où il ressort que, jusqu’au moment de l’exécution volontaire ou forcée de l’obligation de retour et par conséquent, du retour effectif de l’intéressé dans son pays d’origine, un pays de transit ou un autre pays tiers, au sens de l’article 3, point 3, de la directive 2008/115 du 16 décembre 2008, le séjour irrégulier de l’intéressé est régi par la décision de retour et non pas par l’interdiction d’entrée, laquelle ne produit ses effets qu’à partir de ce moment, en interdisant à l’intéressé, pendant une certaine période après son retour, d’entrer et de séjourner à nouveau sur le territoire des états membres.

De manière prosaïque, il ressort de ces deux décisions de justices l’une rendue par la première instance de la juridiction administrative et l’autre par la plus haute juridiction civile qu’avant d’opposer une mesure d’IRTF à un étranger que ce soit dans le cadre d’un refus d’examen d’une demande de titre de séjour ou d’un éventuel placement en centre de rétention administrative, l’administration doit, sauf à priver sa décision de base légale, s’assurer que l’OQTF qui fonde l’IRTF n’est pas devenue caduque.

Un étranger ne peut donc voir l’examen de sa demande de titre de séjour refusé ou être placé en centre de rétention au seul motif qu’il aurait fait l’objet d’une IRTF, dès lors que cette OQTF n’a pas été exécutée dans les délais.

III- La période couverte par l’IRTF n’est plus pas prise en compte dans le calcul de la durée de résidence en France.

L’analyse des précédentes jurisprudences, pourrait laisser à remettre l’efficacité, voir l’efficience des IRTF, dans la mesure où celles-ci semblent étroitement liées à l’exécution de l’OQTF dont elle dépend.

La décision du 30 juillet 2024 rendue par le Conseil d’État confirmant l’arrêt d’une cour administrative d’appel est venue enlever le côté « cosmétique » que l’on pouvait parfois prêter aux IRTF, dès lors qu’elles ne pouvaient fonder ni un placement en rétention, ni un refus d’enregistrer une demande de titre de séjour ; du moment où l’OQTF n’était pas exécutée.

Par cette décision du 30 juillet 2024, le Conseil d’État a en effet considéré que, un ressortissant algérien ne pouvait se prévaloir d’une résidence habituelle sur le territoire français depuis au moins 10 ans, dès lors qu’au cours de cette période, il avait fait l’objet d’une de deux décisions portant refus de retour sur le territoire français (IRTF).

Cette décision est d’une importance notoire dans la mesure où, pour la première fois, une IRTF semble produit « des » effets, alors même que l’OQTF n’a pas été exécutée.

Par cette décision, le Conseil d’État procède sans le dire à une transposition sa propre jurisprudence antérieure concernant la prise en compte de la résidence habituelle en France des étrangers frappés d’une interdiction judiciaire du territoire français (ITF).

La Haute juridiction considère en effet dans une jurisprudence constante que « les périodes durant lesquelles un étranger se maintient en France en méconnaissance de peines d’interdiction du territoire prononcées contre lui par le juge pénal, fussent-elles non exécutées, ne sauraient, pour la durée de celles-ci, être prises en compte au titre de résidence habituelle énoncée par les dispositions du 3° de l’article 12 bis de l’ordonnance n°45-2658 du 2 novembre 1945 » [5].

Cette décision est également et peut-être surtout, une perche tendue aux préfectures, qui étaient jusque-là « désarmées » dans l’analyse des dossiers d’étrangers sous le coup d’une IRTF, qu’ils étaient contraints d’étudier, tant que l’OQTF n’avait pas été exécutée.

Désormais, s’ils ne peuvent toujours pas refuser d’instruire une demande de titre de séjour au motif que l’étranger serait sous le coup d’une IRTF, les préfectures ont désormais la possibilité d’exclure de la durée de présence sur le territoire français, le temps passé sous IRTF.

Or, quand on sait que la majorité des demandes d’admission au séjour sont en rapport avec la durée de présence sur le territoire français, il est aisé de penser que de nombreuses décisions de refus de titre de séjour seront désormais motivées par l’existence d’une IRTF, dont l’OQTF n’aura pas été exécutée.

Alain Henri Enam
Avocat au Barreau de Paris

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Notes de l'article:

[1TA Nancy, 1ère ch., 15 septembre 2000, n°1902535.

[2Cass. 1re civ., 8 mars 2023, n° 21-24.895, arrêt n° 96, F-B ;

[3Cass. 1re civ., 8 mars 2023, n° 21-24.895, arrêt n° 96, F-B.

[4CJUE, 26 juillet 2017, C-225/16, point 49.

[5CE,26 juill.2007,n°298717.

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