I- Le cadre légal des sanctions fiscales.
L’article 1728 du Code général des impôts (CGI) prévoit une majoration des droits dus en cas de retard ou d’absence de dépôt des déclarations fiscales. Cette majoration, à laquelle s’ajoutent également des intérêts de retard, peut rapidement s’avérer très onéreuse, notamment si le contribuable ne répond pas à une mise en demeure dans les délais impartis.
Pour rappel, le délai accordé aux héritiers ou légataires pour présenter la déclaration à l’enregistrement à l’issue d’une mise en demeure, avant application de la majoration au taux de 40%, est de quatre-vingt-dix jours [1].
Cependant, l’application rigoureuse de cette disposition s’avère problématique lorsque le retard découle de circonstances indépendantes de la volonté du contribuable, notamment lorsque les formalités déclaratives ont été confiées à un tiers et que des désaccords entre les héritiers causent des difficultés d’évaluation des biens objets de la succession.
Dès lors, une remise gracieuse de cette pénalité pourrait se justifier à plusieurs égards, et notamment sur le fondement du principe de bonne foi. Cela peut par exemple être le cas lorsqu’un projet de déclaration de succession a été adressé au service des impôts, que les droits de succession ont été intégralement réglés et qu’un conflit entre héritiers a rendu plus délicate la formalité de déclaration de succession auprès des services fiscaux.
II- La responsabilité du notaire dans le retard déclaratif.
Rôle du notaire dans la succession.
Les notaires jouent un rôle essentiel dans la gestion des successions. En vertu de leur mandat découlent plusieurs missions :
- Informer les héritiers de leurs obligations fiscales ;
- Évaluer les biens composant la succession ;
- Déposer la déclaration dans les délais légaux.
Caractérisation de la faute professionnelle et engagement de la responsabilité du notaire.
La jurisprudence souligne l’obligation de diligence qui incombe au notaire. Dans une décision récente de la Cour d’appel de Versailles, un notaire avait notamment été reconnu fautif pour ne pas avoir respecté ses obligations. Il a ainsi été rappelé que le notaire est tenu d’un devoir de conseil envers ses clients et qu’il doit tout mettre en œuvre pour éviter des pénalités fiscales [2].
En effet, en matière successorale, le notaire mandaté pour établir une déclaration de succession et s’acquitter des droits afférents dans le délai légal est tenu d’une obligation de résultat. Il doit accomplir toutes les diligences nécessaires pour respecter les délais, notamment en collectant les informations et fonds requis, ou en alertant ses mandants des obstacles rencontrés.
Même en cas de litige entre les héritiers ou de difficultés pour débloquer les fonds, le notaire reste responsable du respect des formalités fiscales. En cas de manquement, sa responsabilité professionnelle peut être engagée, surtout si ce retard entraîne des préjudices financiers tels que des pénalités fiscales. La faute est caractérisée lorsque le notaire ne prend pas les mesures nécessaires pour informer ses clients ou pallier les difficultés.
Ainsi, le notaire doit garantir que la déclaration est déposée dans les délais légaux et que les droits sont acquittés, sous peine d’engager sa responsabilité en cas de préjudice pour les héritiers.
III- Le principe d’individualisation et de nécessité des sanctions fiscales.
Une exigence constitutionnelle et jurisprudentielle.
Le principe de proportionnalité des sanctions, ancré dans les articles 8 et 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, impose que toute peine soit strictement nécessaire et adaptée à la gravité de l’infraction. Le Conseil constitutionnel, déduit de ce principe que « nul n’est punissable que de son propre fait » [3].
Ce principe est particulièrement pertinent dans le contexte des sanctions fiscales, où des pénalités forfaitaires peuvent parfois sembler excessives.
Il a par ailleurs été jugé par le Conseil d’état qu’une majoration fiscale ne peut être appliquée à un contribuable sans preuve de sa participation directe et volontaire au manquement [4]. Cette décision illustre l’importance d’une approche individualisée, respectueuse des circonstances spécifiques de chaque cas.
Ainsi, lorsqu’un retard dans les formalités déclaratives est lié à un différend entre les héritiers et n’est pas imputable au contribuable frappé de pénalité, cette dernière pourrait être remise en cause en vertu du principe d’individualisation et de proportionnalité des sanctions.
Reconnaissance du droit à l’erreur : réduction des intérêts de retard.
La loi ESSOC de 2018 (loi pour un État au service d’une société de confiance) a introduit le principe du droit à l’erreur, qui permet une réduction des intérêts de retard en cas de régularisation spontanée par un contribuable de bonne foi. Ce dispositif vise à encourager les contribuables à corriger leurs erreurs sans craindre des sanctions disproportionnées. Ainsi, lorsque le contribuable dépose une déclaration de succession rectificative et règle les droits correspondants avant toute mise en demeure, cela milite en faveur d’une réduction, voire d’une suppression, de la pénalité initiale.
La réduction de moitié du montant de l’intérêt de retard prévue par l’article 1727, V du CGI s’applique aux redevables qui ont déposé leur déclaration initiale et acquitté les droits correspondants dans les délais prévus par la loi.
Le bénéfice de la réduction de moitié du montant de l’intérêt de retard est subordonné au respect des trois conditions cumulatives suivantes :
- La régularisation par le contribuable est spontanée ;
- Le contribuable corrige une erreur ou une omission commise de bonne foi, c’est-à-dire commise de façon non-intentionnelle ;
- Le paiement des droits correspondants est effectué lors du dépôt de la déclaration rectificative ou selon l’échéancier accordé par le comptable public lorsque le contribuable sollicite un étalement des paiements.
Lorsque ces trois conditions cumulatives sont remplies, la réduction de moitié du montant de l’intérêt de retard s’applique sans qu’il ne soit nécessaire que le contribuable en demande le bénéfice.
Pour illustrer ce principe avec des cas concrets, il est possible d’évoquer deux situations fréquentes :
1. Une omission non-fautive dans l’inventaire des biens. Lorsqu’un héritier découvre, après dépôt initial, qu’un bien a été omis dans la déclaration, il peut régulariser sa situation en déposant une déclaration rectificative et en réglant les droits correspondants.
Si cette démarche est spontanée et de bonne foi, il bénéficiera de la réduction des intérêts de retard prévue par la loi.
2. Des évènements indépendants de la volonté du contribuable. Un héritier confronté à des difficultés externes, comme un différend familial empêchant une évaluation rapide des biens ou un retard imputable au notaire, peut se retrouver en situation de manquement déclaratif. Dans ce cas, si la mise en demeure est déjà intervenue, le droit à l’erreur ne s’applique plus.
Cependant, il peut solliciter une remise gracieuse auprès de l’administration fiscale, en justifiant sa bonne foi et l’origine externe du retard.
À titre informatif, la remise gracieuse relève du pouvoir discrétionnaire de l’administration fiscale, c’est-à-dire que ces décisions ne sont pas motivées, ce qui implique que l’administration n’a pas à justifier les raisons de son choix.