Les faits et la procédure :
En l’espèce, le président d’une communauté de communes était renvoyé devant le tribunal correctionnel, pour avoir harcelé moralement une salariée, engagée en qualité de secrétaire générale.
Il était reproché à l’employeur d’avoir dénigré publiquement l’employée, en imposant notamment aux autres agents municipaux de la tenir à distance et de l’isoler.
La victime avait été installée seule dans la salle des commissions, on ne lui confiait aucune tâche, on ne la conviait plus aux cérémonies de fin d’année et on refusait systématiquement d’aménager ses horaires de travail et de faire droit à toute demande relative à ses conditions de travail.
La question était de savoir si le prévenu avait commis un harcèlement moral du fait de ses agissements répétés, lesquels avaient eu pour objet ou pour effet, une dégradation des conditions de travail de la salariée, susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
En défense, le prévenu invoquait l’incompétence de la salariée qui aurait mis en péril les intérêts de la communauté de communes et qui n’aurait accepté aucune réflexion, de sorte qu’il n’existait pas de perspective d’amélioration. Il ajoutait qu’elle aurait eu de plus une attitude agressive à l’égard de ses collègues.
Ainsi, il croyait pouvoir affirmer qu’il n’aurait fait qu’user de son pouvoir de direction, en mettant la salariée à l’écart, afin de permettre à ses collègues de la communauté de communes de travailler sereinement.
Le tribunal correctionnel a jugé que le prévenu s’était rendu coupable du délit de harcèlement moral.
Cependant, contre toute attente, sur l’action civile, la juridiction avait procédé à un partage de responsabilité par moitié, en croyant pouvoir juger que les problèmes de compétence et de comportement de la partie civile, avaient contribué à provoquer une dégradation des relations de travail.
La Cour d’appel quant à elle, a prononcé la relaxe pure et simple du prévenu !
La Cour motivait sa décision sur le fait que la salariée avait été à l’origine de l’attitude du prévenu et que celui-ci était tenu de faire en sorte que la gestion des affaires publiques soit irréprochable, tout en préservant le personnel sous ses ordres.
Et les juges d’appel de déduire que dans ces conditions, le prévenu ne pouvait pas être considéré comme s’étant rendu coupable du délit de harcèlement moral.
Les arguments du prévenu ont donc emporté complètement la conviction de la chambre correctionnelle de la cour d’appel de Caen, qui infirma le jugement et relaxa le prévenu.
L’arrêt de la chambre criminelle :
Dans l’arrêt rendu le 27 mai 2015, la chambre criminelle de la Cour de cassation reproche à bon droit à la cour d’appel, de n’avoir pas recherché si les faits poursuivis (dont elle a admis qu’ils constituaient un comportement inadapté), n’outrepassaient pas les limites du pouvoir de direction du prévenu et ne caractérisaient pas des agissements au sens de l’article 222-33-2 du Code pénal.
" Vu l’article 593 du Code de procédure pénale ;
• Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties ; que l’insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
• Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure que M. Patrick L., président d’une communauté de communes, a été renvoyé devant la juridiction de jugement pour avoir harcelé moralement Mme Marie-Thérèse T., embauchée en qualité de secrétaire générale, en la dénigrant publiquement, en recommandant aux autres agents municipaux de la tenir à distance, en l’installant seule dans la salle des commissions, en ne lui confiant aucune tâche, en ne la conviant pas aux cérémonies de fin d’année et en refusant d’aménager ses horaires de travail ; que le tribunal a déclaré le prévenu coupable de ce délit, mais, sur l’action civile, a procédé à un partage de responsabilité par moitié au motif que les problèmes de compétence et de comportement de la partie civile avaient contribué à provoquer une dégradation des relations professionnelles entre les parties ; que la partie civile, le prévenu et le procureur de la République ont relevé appel de ce jugement ;
• Attendu que, pour infirmer le jugement et relaxer le prévenu, l’arrêt prononce par les motifs reproduits au moyen ;
• Mais attendu qu’en statuant ainsi, sans rechercher si les faits poursuivis, dont elle a admis qu’ils constituaient un comportement inadapté, n’outrepassaient pas, quelle qu’ait été la manière de servir de la partie civile, les limites du pouvoir de direction du prévenu et ne caractérisaient pas des agissements au sens de l’article 222-33-2 du Code pénal, la cour d’appel n’a pas justifié sa décision ;
D’où il suit que la cassation est encourue ;"
La fin ne saurait justifier les moyens en quelque sorte et l’on ne peut que s’en réjouir.
Le comportement du salarié victime de harcèlement moral est donc indifférent et ne saurait exonérer l’auteur de la responsabilité de ces agissements (I).
La chambre criminelle rejoint ainsi la chambre sociale de la Cour de cassation et la Haute Juridiction administrative (II).
I) Une solution conforme à l’interprétation stricte de la loi pénale.
En effet, le Juge est et doit rester la bouche de la loi.
1) La Cour d’appel avait cru pouvoir procéder, pour relaxer le prévenu, à un minutieux détail d’éléments de nature à soi-disant démontrer, que la victime n’aurait pas été irréprochable.
On relève dans la motivation invraisemblable de l’arrêt censuré que la salariée n’aurait pas eu les compétences requises pour le poste qu’elle occupait, qu’elle n’aurait pas accepté la moindre critique, qu’elle aurait eu des difficultés relationnelles avec plusieurs collègues de travail et son supérieur, voire un comportement parfois agressif.
Au surplus, la cour d’appel relève que les agissements de la salariée étaient tels qu’une nette dégradation des conditions de travail de ses collègues aurait pu être notée.
En d’autres termes, la salariée aurait parfaitement mérité le harcèlement moral qui lui a été infligé !
En effet, la juridiction d’appel avait motivé sa décision ubuesque en relevant que la salariée aurait été psychorigide et fragile et aurait été à l’origine du harcèlement moral perpétré par son employeur, qui ne faisait simplement que protéger les autres salariés.
Une telle décision ne pouvait que tomber sous le couperet de la Cour Régulatrice.
2) Peut-on considérer que le comportement de la victime est de nature à limiter ou exonérer la responsabilité de l’auteur d’ agissements litigieux, en l’espèce, de harcèlement moral ?
C’était la question de droit posée à la chambre criminelle et celle-ci s’y refuse. C’est évidemment heureux.
Il n’est donc pas question d’appliquer l’adage "Nemo auditur propriam turpitudinem allegans", au surplus hors de son champ d’application, en présence d’une situation de harcèlement parfaitement constituée d’ailleurs.
Et pour cause, les juges du fond doivent interpréter strictement l’article 222-33-2 du Code pénal.
Le pouvoir de direction est à cet égard circonscrit par l’article L 1121-1 du Code du travail. Si le comportement de l’employeur est inadapté et que des agissements répétés (ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail de la salariée, susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel), sont constatés, alors les conditions prévues à l’article 222-33-2 du Code pénal sont remplies.
Et l’infraction étant constituée, l’auteur doit être sanctionné et jugé pleinement responsable sur un plan pénal mais aussi civil.
Ce faisant, le comportement du salarié sera parfaitement indifférent et cette solution est absolument logique lorsque l’on s’attache au régime juridique du harcèlement moral, qui ne prévoit aucune cause d’exonération, même partielle.
La chambre criminelle rejoint ainsi la position récente de la chambre sociale de la Cour de cassation et celle du Conseil d’Etat.
II) Une heureuse harmonisation.
1) Au sein d’un arrêt récent, en date du 13 mai 2015 [1], la chambre sociale de la Haute Cour a reproché aux juges du fond d’avoir débouté une salariée de ses demandes, au titre du harcèlement moral, au motif que :
« Celle-ci s’entendait mal avec certaines collègues nouvellement arrivées dans les premiers mois de 2007, qu’elle se désinvestissait de son travail, qu’elle manifestait le 9 juillet 2007 son désir de quitter l’entreprise mais souhaitait en fait percevoir des indemnités de départ, que par la suite l’ambiance de travail s’était dégradée progressivement, ce, en partie du fait de la salariée ».
La position de la chambre sociale est absolument claire et rappelle aux juges du fond qu’il leur incombe uniquement :
D’apprécier la matérialité des faits présentés par le salarié.
Ensuite de se prononcer sur les éléments de preuve produits par l’employeur.
Enfin, de juger si les mesures litigieuses étaient étrangères ou non à tout harcèlement moral.
Pour la chambre sociale, l’appréciation du comportement de la victime de faits de harcèlement moral est inopérante et n’exonère pas l’auteur des faits de sa responsabilité.
Pareillement, la Haute Juridiction administrative juge en ce sens.
2) Mais, en 2006 (CE, 24 nov. 2006, n° 256313 : JurisData n° 2006-071098 ), le Conseil d’Etat considérait que :
" L’indemnisation due à l’agent victime d’agissements de harcèlement moral pouvait être réduite si par sa faute, ce dernier avait contribué à la mise en place du processus dont il se plaignait".
Toutefois, un revirement de jurisprudence était opéré en 2011 :
« La nature même des agissements en cause exclut, lorsque l’existence d’un harcèlement moral est établie, qu’il puisse être tenu compte du comportement de l’agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui ; que le préjudice résultant de ces agissements pour l’agent victime doit alors être intégralement réparé » (CE, 11 juill. 2011, n° 321225 : JurisData n° 2011-014026 ; JCP A 2011, act. 531).
Conclusion :
Ces solutions harmonisées sont en tous points logiques.
En matière de harcèlement moral, le comportement de la victime n’est pas considéré comme pouvant être un fait justificatif.
La relaxe de l’auteur des faits n’est donc pas admissible ni même un quelconque partage de responsabilité reposant sur une exonération partielle impossible.
On ne peut pas admettre que le comportement d’un salarié, même teinté de reproches, puisse justifier des actes de harcèlement moral. Cela reviendrait à considérer que le harcèlement moral pourrait parfois constituer une sanction légitime. C’est hors de question en l’état actuel de nos textes et c’est heureux.