Constitué par des agissements répétés envers un salarié, lesquels ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel [1], la charge de la preuve, elle, s’en trouve partagée entre salarié et employeur.
De même, en la matière, que ce soit en termes de prévention ou de moyens d’action en cas d’alerte, le rôle du CSE (Comité social et économique) est d’autant plus prépondérant.
Ainsi, en cas de dénonciation d’un harcèlement, caractérisent une cause réelle et sérieuse de licenciement, c’est au salarié de démontrer que la rupture de son contrat constitue une mesure de rétorsion à une plainte pour harcèlement.
Lettre de licenciement et charge de la preuve.
C’est là l’enseignement fourni, en matière de preuve, par un récent arrêt la Cour de Cassation, suivant lequel :
- si la lettre de licenciement ne mentionne pas la dénonciation d’un harcèlement, c’est au salarié de le démontrer
- or, lorsque le licenciement n’est pas fondé par une cause réelle et sérieuse, « il appartient à l’employeur de démontrer l’absence de lien entre la dénonciation par le salarié d’agissements de harcèlement moral ou sexuel et son licenciement » [2].
Pour rappel, le harcèlement moral au travail, aux termes de l’article L1152-1 Code du travail, est constitué par :
« des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ».
En clair, en plus de la persistance des actes, ne pouvant résulter d’un seul comportement, le harcèlement moral peut être caractérisé, indépendamment de l’intention de son auteur.
A cet égard, il convient de démontrer que ce comportement nuit à autrui.
Concrètement, les attitudes prohibées en la matière ont souvent trait aux conditions de travail. L’impact, direct ou indirect, sur le salarié s’explique par l’un de ces cas :
- méconnaissance de ses droits essentiels
- l’atteinte à sa dignité
- altération de sa « santé physique ou mentale »
- incidences sur sa carrière et avenir professionnel.
En cela, la jurisprudence est particulièrement foisonnante.
Quelques illustrations :
- attitudes et comportements visant à mettre en quarantaine le salarié ; semer la zizanie autour de lui (Pour aller plus loin : Obligation de sécurité de l’employeur et harcèlement moral au travail)
- violation de la dignité du salarié (injures, offenses,...) [3]
- défaillances et dysfonctionnement managériaux, si ces faits « se manifestent pour un salarié déterminé par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet d’entraîner une dégradation des conditions de travail… » [4].
En ce sens, l’auteur - toute personne dans l’entreprise [5], qui fait subir ces agissements répétés commet une infraction pénale [6].
Toujours est-il que, tout licenciement prononcé en violation de ces dispositions est nul : le salarié qui dénonce des faits de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif, même s’il n’a pas expressément qualifié ces faits de « harcèlement moral » lors de leur dénonciation [7].
Du point de vue de la prévention, incombe à l’employeur une obligation de sécurité et de protection de la santé du salarié [8].
En somme, l’employeur doit faire la démonstration qu’il a pris toutes les mesures de prévention et, informé de l’existence de faits susceptibles de constituer une mesure de harcèlement moral, a pris les mesures immédiates propres à le faire cesser [9].
Rôle du CSE.
Concentrant les anciennes instances représentatives du personnel, le Conseil social et économique, en matière de prévention, a toute latitude de susciter des initiatives qu’il estime utile, et proposer notamment des actions de prévention du harcèlement moral.
En cela, le refus de l’employeur doit être motivé [10].
De plus, le CSE, selon l’article L2312-8, 3° Code du travail, est susceptible d’être informé et consulté sur les questions de :
- harcèlement moral dans le cadre de ses compétences
- intéressant l’organisation, la gestion et la marche générale de l’entreprise (conditions de travail…).
Par ailleurs, est reconnu au comité ou la délégation du personnel un droit d’alerte [11] :
En cas de survenance d’agissements de harcèlement moral dans l’entreprise :
- atteinte aux droits des personnes
- à leur santé physique et mentale ou aux libertés individuelles dans l’entreprise
- atteinte qui ne serait pas justifiée par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnée au but recherché.
Le CSE saisit immédiatement l’employeur.
Cette atteinte peut notamment résulter de faits de harcèlement. En cas d’atteinte constatée, l’employeur doit procéder, sans délai à :
- une enquête avec le membre de la délégation du personnel du CSE
- et prendre les dispositions nécessaires pour y remédier.
A noter qu’en cas de tergiversations de l’employeur ou la divergence d’analyse sur le fondement de cette atteinte, le salarié, le CSE ou le membre de la délégation du personnel, après avoir informé le salarié, saisit le bureau de jugement du conseil de prud’hommes qui statue selon la forme des référés. Le juge peut ordonner toutes mesures propres à faire cesser cette atteinte assortie d’une astreinte [12].
Tout salarié peut dénoncer des faits de harcèlement :
- sans subir des sanctions, discriminations ou licenciements pour avoir subi, refusé de subir ou dénoncé de tels faits [13]
- tout licenciement prononcé en violation de ces dispositions est nul.
Enfin, en cas de dénonciation de harcèlement moral, l’employeur est tenu à une obligation d’action :
- mener ou faire une enquête, sous peine de manquer à son obligation de prévention [14].
Ces enquêtes peuvent être réalisées par une équipe interne composée de représentants du personnel, de représentants de la direction de l’entreprise et, éventuellement, du médecin du travail. L’externalisation est possible (pour des avocats notamment).
En ce sens, l’enquête interne ne peut pas être écarté au motif que celle-ci a été confiée à la direction des ressources humaines et non pas au CHSCT [15].
En l’espèce, juge la Haute assemblée, si les représentants du personnel n’ont pas été associés à la conduite d’une enquête interne diligentée par la direction des ressources humaines consécutivement à un harcèlement moral dénoncé par un salarié à l’encontre d’un collègue, cela revêt le caractère d’un élément de preuve. À ce titre, celui-ci doit être examiné par les juges du fond.
A cet égard, rappelons que, sur le fondement de son obligation de sécurité [16] et la prohibition du harcèlement au travail [17], l’employeur doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, notamment en matière de harcèlement moral.
Telle obligation s’en trouve remplie, si l’employeur justifie avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par les articles L 4121-1 et L 4121-2 du Code du travail et que, informé de l’existence de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral (Voir notre publication Harcèlement managérial : contours juridiques et responsabilité, il a pris les mesures immédiates propres à le faire cesser [18]). A contrario, son inertie peut lui être reprochée [19].
Ainsi, lorsque des faits de harcèlement moral sont dénoncés, il appartient à l’employeur de mener une enquête impartiale. Celle-ci peut se faire à l’insu du salarié mis en cause, ce qui ne constitue pas un mode de preuve déloyal [20].
Périmètre intervention du médecin du travail.
Conformément aux dispositions de l’article L4622-2 Code du travail, sous l’angle de la prévention, dans le cadre de ses missions, les services de santé au travail doivent conseiller les employeurs, les travailleurs et leurs représentants sur les dispositions et mesures nécessaires afin de prévenir le harcèlement sexuel ou moral.
En outre, mission de premier plan, médecin du travail peut proposer, par écrit et après échange avec le salarié et l’employeur :
- des mesures individuelles d’aménagement, d’adaptation
- ou de transformation du poste de travail ou des mesures d’aménagement du temps de travail justifiées par des considérations relatives notamment à l’âge ou à l’état de santé physique et mental du travailleur [21].
En définitive, priorité éthique et sociétale, la prévention et la réaction au harcèlement nécessitent symbiose et coopération entre les acteurs identifiés de la santé au travail.
Discussion en cours :
Tout est dit, simplement, clairement et justement.