Harcèlement moral : la Cour de cassation opère un revirement de jurisprudence salutaire.

Par Susana Lopes Dos Santos, Avocate.

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Explorer : # harcèlement moral # protection des salariés # nullité du licenciement

Par un arrêt du 19 avril 2023 (n°21-21053) la Chambre sociale de la Cour de cassation vient de juger que : « le salarié qui dénonce des faits de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif, peu important qu’il n’ait pas qualifié lesdits faits de harcèlement moral lors de leur dénonciation, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu’il dénonce ».
Cette décision constitue un revirement de jurisprudence par rapport à un arrêt du 13 septembre 2017 (n° 15-23.045).

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Constituant un revirement de jurisprudence rapide par rapport à un arrêt du 13 septembre 2017 (n° 15-23.045) cette décision sera publiée au Bulletin des arrêts de la Cour et sera également commentée dans son rapport annuel d’activité. Ceci est révélateur de l’importance et des vertus pédagogiques que la Cour de cassation entend donner à son arrêt qui met, fort opportunément, fin à l’exigence inique qui subordonnait la protection du salarié dénonçant des faits de harcèlement à l’utilisation expresse de l’expression exacte « harcèlement moral ».

1. Les faits.

Une salariée psychologue salariée exerçant depuis novembre 2002 au sein d’une association a été licenciée pour faute grave le 9 avril 2018. La lettre de licenciement lui reproche d’avoir, par une lettre adressée à des membres du Conseil d’administration, d’avoir « gravement mis en cause l’attitude et les décisions prises par le directeur » et « porté des attaques graves à l’encontre de plusieurs de [ses] collègues ».
Dans son courrier, la salariée avait en effet dénoncé le départ de l’un de ses collègues dans les mois suivant l’arrivée du directeur ; le comportement agressif de celui-ci à l’égard des psychologues, la dégradation de leurs conditions matérielles de travail ; la suppression des réunions des cadres, des difficultés de remboursement de ses frais de déplacement ; l’absence de proposition de renouvellement d’un poste de psychologue au sein d’une mission dans laquelle elle s’était fortement investie et enfin l’absence de réaction du conseil d’administration de l’association lorsque les délégués du personnel l’avaient alerté sur des conditions de travail délétères. Elle n’avait cependant pas utilisé le l’expression « harcèlement moral » pour qualifier la situation qu’elle et ses collègues de travail subissaient.

Pour autant, estimant avoir subi et dénoncé des agissements de harcèlement moral, elle a saisi, le 25 octobre 2018, le Conseil de prud’hommes de Caen de demandes tendant notamment à la nullité de son licenciement et au paiement de diverses sommes au titre du harcèlement moral, de la violation de l’obligation de sécurité et de la rupture du contrat de travail.

En sollicitant la nullité de son licenciement, la salariée – qui ne demandait pas sa réintégration dans l’entreprise - pouvait espérer, outre le paiement des indemnités de rupture dont elle avait été privée en conséquence de la faute grave (préavis, indemnité de licenciement), une indemnisation plus élevée que celles fixée par les barèmes d’indemnisation de l’article L1235-3 du code du travail (qui plafonnent le montant des dommages et intérêts en fonction de l’ancienneté du salarié) lorsque le licenciement est jugé sans cause réelle et sérieuse. Elle sollicitait donc une indemnisation égale à 24 mois de salaire chiffré à 69 978 €, pour licenciement nul.

Le 19 décembre 2019, le Conseil de prud’hommes de Caen a rejeté ses demandes au titre du harcèlement moral et de la nullité du licenciement mais a cependant jugé que le licenciement était sans cause réelle et sérieuse. Il lui a accordé une indemnité compensatrice de préavis, les congés payés incidents, l’indemnité conventionnelle de licenciement ainsi que des dommages et intérêts d’un montant de 34 000 euros au titre du préjudice subi (un peu moins de 12 mois de salaire brut, soit une somme assez proche du montant maximal possible en l’espèce c’est à dire 13 mois de salaire brut, la salariée relevant de la tranche de 15 et 16 ans d’ancienneté).

Dans un arrêt du 15 avril 2021 (n°20/00164), la Cour d’appel de Caen (chambre sociale section 1) a procédé à une analyse radicalement opposée de celle du conseil de prud’hommes sur le harcèlement et la sanction du licenciement. En effet, elle a considéré que deux des griefs énoncés par la salariée dans sa lettre du 26 février 20218 étaient étayés (suppression des réunions cadres et la non-proposition du poste de psychologue), et qu’ils étaient de nature à faire présumer une situation de harcèlement moral, lui donnant droit à indemnisation puisque l’employeur n’établissait pas de manière objective que les agissements étaient étrangers à tout harcèlement.

La Cour d’appel a également retenu une violation de l’obligation de sécurité et a octroyé une indemnisation distincte de celle accordée pour le préjudice moral résultant du harcèlement moral. Enfin, elle a fait usage de la théorie du motif contaminant considérant que le licenciement était nul pour la raison suivante :

« Le grief énoncé dans la lettre de licenciement tiré de la relation d’agissements de harcèlement moral par la salariée dont la mauvaise foi n’est pas démontrée emporte à lui seul la nullité de plein droit du licenciement ; il n’y a pas lieu de se prononcer sur les autres faits énoncés dans la lettre de licenciement ».

La Cour d’appel de Caen a donc accordé les sommes suivantes à cette salariée en plus des indemnités de rupture accordées par le conseil de prud’hommes :

  • 35  000 euros au titre de l’indemnité pour licenciement nul en réparation du préjudice matériel et moral ;
  • 4  000 euros de dommages-intérêts au titre du harcèlement moral  ;
  • 3  000 euros au titre du manquement à l’obligation de sécurité et exécution de mauvaise foi du contrat de travail.

La Cour d’appel, usant de son pouvoir d’appréciation et de qualification des faits qui lui étaient soumis les a considérés constitutifs de harcèlement moral, constatant que, dans la lettre de licenciement, l’employeur avait reproché à la salariée de s’en être plainte, elle a caractérisé, un « motif contaminant » suffisant à lui seul à rendre nul le licenciement, sans qu’il soit besoin d’apprécier le bien-fondé des autres faits énoncés dans la lettre de licenciement.
L’association employeur a formé un pourvoi en cassation contre cette décision faisant principalement valoir que la salariée ne pouvait pas bénéficier de la protection légale accordée aux salariés ayant dénoncé des faits de harcèlement moral car elle n’avait pas expressément qualifié de harcèlement moral, les faits énumérés dans sa lettre de dénonciation.

2. Les textes de droit en discussion.

L’article 1152-2 du code du travail (dont la rédaction a été modifiée en dernier lieu par la loi n°2022-401 du 21 mars 2022) instaure une protection notamment contre le licenciement du salarié qui a subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou qui a, de bonne foi, témoigné ou relaté de tels agissements.

« Aucune personne ayant subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou ayant, de bonne foi, relaté ou témoigné de tels agissements ne peut faire l’objet des mesures mentionnées à l’article L. 1121-2.
Les personnes mentionnées au premier alinéa du présent article bénéficient des protections prévues aux I et III de l’article 10-1 et aux articles 12 à 13-1 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique
 » [1].

Ce texte interdit donc les mesures de rétorsion (désormais listées à l’article L1121-2 du code du travail) dont le licenciement « représailles » de la part de l’employeur à la suite d’une telle dénonciation. En pratique, il arrive en effet que l’employeur mette fin au contrat de travail en visant le courrier de dénonciation du salarié au prétexte qu’il serait de mauvaise foi et/ou qu’il procéderait à un dénigrement de sa hiérarchie ou de collègues de travail, voire qu’il abuserait de sa liberté d’expression.

L’article L1152-3 du même code sanctionne par la nullité toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance de cette protection.

L’article L1232-6 du Code du travail dispose que la lettre de licenciement doit faire mention "du ou des motifs invoqués par l’employeur".

3. Etat de la jurisprudence avant la décision du 19 avril 2023.

3. 1. Il est constant que la lettre de licenciement qui fait référence à la dénonciation de faits de harcèlement, entraîne, sauf mauvaise foi du salarié dénonciateur, la nullité de la rupture [2]. La mauvaise foi du salarié n’est retenue que si l’employeur démontre que le salarié licencié a connaissance de la fausseté des faits qu’il dénonce. Elle ne peut se déduire de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis [3].

3.2. Cependant, depuis un arrêt de cassation du 13 septembre 2017 (n° 15-23.045), la chambre sociale de la Cour de cassation exigeait du salarié qui dénonce ou relate des faits dégradant ses conditions de travail, qu’il ait lui-même expressément qualifié les agissements subis de harcèlement moral dans un écrit à l’employeur, ceci afin de pouvoir bénéficier de la protection contre le licenciement de l’article L1152-2 du code du travail, s’il a ensuite été licencié par son employeur à raison de cette dénonciation.
Dans cette affaire, le salarié avait été licencié par son employeur pour le motif de « dénigrement, de manque de respect manifesté par des propos injurieux constitutifs d’un abus dans la liberté d’expression » à la suite d’un courriel qu’il lui avait adressé le 13 janvier 2011 où il évoquait « des comportements abjects, déstabilisants et profondément injustes sans aucune justification qu’il estimait être en train de subir ». Contre toute attente, la Cour de cassation avait cassé la décision de la cour d’appel qui avait prononcé la nullité du licenciement après avoir considéré que le salarié visait des agissements de harcèlement moral même s’il n’avait pas formellement utilisé ces termes.

Cet arrêt avait été très critiqué par la doctrine tant la solution de principe qu’il posait était aberrante. La doctrine soulignait qu’un salarié victime de harcèlement moral ne pouvait pas se trouver privé de protection du seul fait qu’il n’avait pas correctement « nommé » ce que son employeur lui fait subir. La doctrine reprochait également à cet arrêt d’être contraire au pouvoir de qualification des faits qui sont soumis au juge tel que ce pouvoir leur est reconnu par l’article 12 du Code de procédure civile :

« Le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables. Il doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s’arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée ».

Le courant « anti-harcèlement moral » qui a semblé frapper la chambre sociale de la Cour de cassation entre 2017 et 2020, s’était poursuivi par un arrêt du 16 septembre 2020 (n°18-26.696), dans lequel la Cour de cassation considérait que :

« l’absence éventuelle dans la lettre de licenciement de mention de la mauvaise foi avec laquelle le salarié a relaté des agissements de harcèlement moral n’est pas exclusive de la mauvaise foi de l’intéressé, laquelle peut être alléguée par l’employeur devant le juge ».

Ainsi, fort étonnamment, à l’inverse du salarié qui devait expressément mentionner l’expression « harcèlement moral » lorsqu’il relatait ou dénonçait des agissements faisant présumer un harcèlement, l’employeur pouvait lui invoquer pour la première fois, au cours du procès prud’homal, la mauvaise foi du salarié, même s’il ne l’avait pas mentionnée au préalable ou dans la lettre de licenciement…

Cette position jurisprudentielle créait une inégalité des armes (cette fois-ci entre le salarié et l’employeur) au cours du procès prud’homal et un commentateur avait pu souligner le : « Curieux équilibre que d’imposer au salarié de qualifier le harcèlement sans demander à l’employeur de qualifier la mauvaise foi » [4].

Dès le milieu de 2021, pour retrouver la protection de la théorie du motif contaminant, la chambre sociale avait apporté un tempérament intéressant à sa jurisprudence [5] en jugeant que la protection s’appliquait dès lors que l’employeur utilisait lui-même la qualification de harcèlement dans la lettre de licenciement, notamment lorsque l’employeur faisait grief au salarié d’avoir proféré « des accusations de harcèlement tout à fait inexactes ».

La Cour de cassation vient de finir le travail en opérant une sorte de « revirement mea culpa » qui était nécessaire, la position adoptée précédemment posant l’exigence ubuesque d’un pointillisme rédactionnel aussi inique qu’incompréhensible puisque la sanction juridique des mêmes agissements ne pouvait être la même selon qu’ils avaient été ou non qualifiés de « harcèlement moral ». Nullité du licenciement en raison de son illicéité si les termes harcèlement moral avaient été mentionnés, absence de cause réelle et sérieuse dans l’autre cas...

Or, tous les salariés ne maîtrisent pas la notion juridique de harcèlement moral, et quand bien même la connaitraient-ils, il est peu probable qu’ils maîtrisent les subtilités de la jurisprudence qui en fait application.

De plus, les salariés victimes qui sont conduits à écrire à leur employeur pour relater des agissements faisant présumer un harcèlement sont soit encore en poste, soit en arrêt de travail, et sont généralement très affectés psychologiquement, manquant parfois de lucidité, voire de mesure, lorsqu’ils rédigent leurs courriers. Ils ne pensent pas alors toujours à se faire conseiller ou aider par un avocat, lors de la rédaction de la lettre de dénonciation de la situation qu’ils vivent. Ce n’est bien souvent qu’en cas de sanction ou de licenciement qu’ils pensent à prendre conseil.

Dans un tel cas de figure, nous constations qu’ils ne comprenaient pas que la sanction juridique (et l’indemnisation) du licenciement, qu’ils envisageaient de contester en justice, risquait d’être moindre parce qu’ils n’avaient pas utilisé les mots « harcèlement moral » dans leur lettre de dénonciation ! Ce formalisme excessif ne pouvait justifier des disparités dans les sanctions et les droits pour des situations de fait de même nature…

En effet, si le salarié avait utilisé les mots « harcèlement moral » dans son écrit, il pouvait demander la nullité de son licenciement sur le fondement de l’article L1152-3 du code du travail et bénéficiait alors d’une option entre :

  • demande de réintégration dans l’entreprise (si celle-ci n’est pas matériellement impossible) et paiement de dommages et intérêts équivalent aux rémunérations et avantages perdus pendant la période d’éviction,
  • ou demande de dommages et intérêts pour licenciement nul au minimum égale à six mois de salaires bruts, et dont le montant ne sera pas plafonné [6].

Il ne le pouvait pas dans le cas contraire et ce, même s’il avait détaillé des faits précis voire utilisé des termes tels que « agissements ayant pour effet une dégradation des conditions de travail » (ce qui renvoie précisément aux éléments de la définition du harcèlement moral de l’article L1152-1 du code du travail). Dans ces cas-là, il ne pouvait bénéficier de cette option quand son employeur avait prononcé un licenciement en représailles de sa dénonciation. Il ne lui restait plus qu’à contester le caractère réel et sérieux de son licenciement et à solliciter l’indemnisation forfaitisée de l’article L1235-3 du code du travail (en fonction du barème Macron, c’est-à-dire fixée au regard de l’ancienneté dans l’entreprise).

4. Portée de l’arrêt du 19 avril 2023.

Par la décision commentée, la Chambre sociale de la Cour de cassation met fin à la situation inique qu’elle avait créée et cet abandon ne peut qu’être salué.

Ainsi, la motivation de l’arrêt du 19 avril 2023 est la suivante :

«  Dès lors, au regard, d’une part de la faculté pour l’employeur d’invoquer devant le juge, sans qu’il soit tenu d’en avoir fait mention au préalable dans la lettre de licenciement, la mauvaise foi du salarié licencié pour avoir dénoncé des faits de harcèlement moral, d’autre part de la protection conférée au salarié licencié pour un motif lié à l’exercice non abusif de sa liberté d’expression, dont le licenciement est nul pour ce seul motif à l’instar du licenciement du salarié licencié pour avoir relaté, de bonne foi, des agissements de harcèlement, il y a lieu désormais de juger que le salarié qui dénonce des faits de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif, peu important qu’il n’ait pas qualifié lesdits faits de harcèlement moral lors de leur dénonciation, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu’il dénonce. D’abord, ayant constaté, hors toute dénaturation, que la lettre de licenciement reprochait à la salariée d’avoir adressé à des membres du conseil d’administration de l’AIFST, le 26 février 2018, une lettre pour dénoncer le comportement du directeur du foyer du [4] [7] en l’illustrant de plusieurs faits ayant entraîné, selon elle, une dégradation de ses conditions de travail et de son état de santé, de sorte que l’employeur ne pouvait légitimement ignorer que, par cette lettre, la salariée dénonçait des faits de harcèlement moral, la cour d’appel a pu retenir que le grief énoncé dans la lettre de licenciement était pris de la relation d’agissements de harcèlement moral. Ensuite, ayant estimé que la mauvaise foi de la salariée n’était pas démontrée, la cour d’appel en a déduit à bon droit que le grief tiré de la relation par l’intéressée d’agissements de harcèlement moral emportait à lui seul la nullité du licenciement ».

La Cour de cassation opère ainsi un revirement qui remet clairement en cause sa jurisprudence antérieure, et motive tout particulièrement sa décision, afin manifestement de :

  • tenir compte des nombreuses critiques doctrinales sur sa position antérieure [8] ;
  • d’harmoniser sa jurisprudence compte tenu des évolutions survenues depuis l’arrêt du 13 septembre 2017, et ce notamment afin de faire respecter le principe de l’égalité des armes dans le cadre du procès prud’homal ;
  • de donner plein et entier effet à l’article L1152-2 du code du travail en présence d’une lettre de dénonciation ou de relations de faits de harcèlement moral lorsque le salarié est de bonne foi.

En effet, dans les attendus de sa décision, la Cour de cassation fait référence aux arrêts que nous avons cités plus haut notamment à celui du 16 septembre 2020. Elle vise en outre, dans sa motivation, sa jurisprudence sur la liberté d’expression du salarié [9] rendue au visa de l’article L.1121-1 du code du travail et 10§1 de la convention européenne des droits de l’Homme (CEDH) :

« Dès lors, au regard, d’une part de la faculté pour l’employeur d’invoquer devant le juge, sans qu’il soit tenu d’en avoir fait mention au préalable dans la lettre de licenciement, la mauvaise foi du salarié licencié pour avoir dénoncé des faits de harcèlement moral, d’autre part de la protection conférée au salarié licencié pour un motif lié à l’exercice non abusif de sa liberté d’expression, dont le licenciement est nul pour ce seul motif à l’instar du licenciement du salarié licencié pour avoir relaté, de bonne foi, des agissements de harcèlement, il y a lieu désormais de juger que le salarié qui dénonce des faits de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif, peu important qu’il n’ait pas qualifié lesdits faits de harcèlement moral lors de leur dénonciation, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu’il dénonce ».

En conclusion, nous ne pouvons qu’approuver pleinement ce changement de position radical de la Cour de cassation et la fin d’une jurisprudence inique dans les conséquences qu’elle entraînait.
Elle permet notamment de rétablir une égalité des armes entre salarié et employeur, mais aussi une égalité sur le plan juridique entre le salarié licencié pour avoir dénoncé des faits de harcèlement moral et le salarié licencié pour un motif lié à l’exercice non-abusif de sa liberté d’expression.

L’audace de l’avocat de la salariée puis celle de la Cour d’appel de Caen qui s’était affranchie de la jurisprudence du 13 septembre 2017, se trouvent ainsi validées puisque le moyen du pourvoi soutenu par l’employeur (qui s’appuyait sur l’absence de qualificatif de harcèlement moral dans la lettre de dénonciation du salarié) est rejeté. Notons également que la Cour de cassation fait une application sans ambiguïté de la théorie du motif contaminant ; dès lors que l’employeur reproche au salarié de s’être plaint de harcèlement moral, le juge n’a pas à rechercher le bien fondé des autres motifs, le licenciement est nul…

Cette décision, dont l’importance est marquée par la publicité que va en faire la Cour de cassation, elle-même par la publication de l’arrêt et sa mention au rapport, est un signe fort envoyé aux juges du fond, qui, dès lors qu’ils n’auront pas constaté une éventuelle mauvaise foi du salarié qui dénonce des faits de harcèlement moral, devront prononcer la nullité du licenciement encouru.

Susana Lopes Dos Santos, Avocate
Barreau de Paris
Cabinet Astaé-Avocat

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Notes de l'article:

[1Dalloz actualité 06 octobre 2017, Dénonciation du harcèlement moral : les juges jouent sur les « maux », Julien Cortot ; Semaine sociale Lamy, n°1802, 12 février 2018, du droit à l’immunité liée à la dénonciation de faits de harcèlement moral, Jean-Philippe Lhernould ; https://www.kpratique.fr/Pas-de-nul....

[2Cass. Soc. 10 juin 2015, n° 13-25.554.

[3Notamment Cass. Soc. 19 octobre 2022, n° 21-19.449.

[4C. Leborgne-Ingelaere, JCP S 2020, p. 3077.

[5Cass. Soc. 9 juin 2021, 20-15.525.

[6Article L.1235-3-1 du code du travail.

[7NDLR : l’élément "[4]" correspond à l’anonymisation, par la Cour de cassation, du nom du foyer concerné.

[8Cf. à cet égard le Rapport de Mme Sommé sur le pourvoi, conseillère à la Cour de cassation, qui fait référence à un certain nombre de commentaires en Doctrine, critiques de l’arrêt du 13 septembre 2017.

[9En dernier lieu : son arrêt du 16 février 2022 n°19-17871.

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