GFA, bail à métayage et pacte "Dutreil" : où en sommes nous ?

Par Hadrien Berthier, Etudiant.

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Explorer : # pacte dutreil # bail à métayage # exploitant agricole # transmission de titres

Un groupement foncier agricole [1] peut donner à bail à métayage ses biens ruraux [2].
Dans l’hypothèse où le détenteur des parts sociales du GFA voudrait (concomitamment au bail à métayage) céder ses titres, la question se poserait alors de savoir s’il lui serait possible de bénéficier d’un pacte « Dutreil » [3] lors de leurs transmissions à titre gratuit par donation ou succession.
Une question importante pour les praticiens du Droit rural qui resurgit aujourd’hui, suite à la réforme profonde de l’impôt sur la fortune, qui a entrainé une ambiguïté sur la qualité d’exploitant agricole du bailleur à métayage.

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I : Le rappel des conditions d’application du pacte « Dutreil ».

Une transmission de titres de sociétés placée sous le dispositif du pacte Dutreil peut bénéficier d’une exonération des ¾ de la valeur des titres. Il peut s’agir tout à la fois d’une transmission par donation ou par succession, qui peut s’opérer indifféremment en pleine propriété ou dans le cadre d’un démembrement de propriété (nue-propriété / usufruit).

A cet égard, plusieurs conditions doivent être réunies pour la possible application d’un pacte Dutreil :
1. La société dont les titres sont soumis à engagement collectif doit exercer une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole, libérale ou de holding animatrice.
2. Un engagement collectif de conservation doit être conclu pour une durée minimale de deux ans et être en cours au jour de la transmission.
3. Cet engagement collectif doit être pris par le défunt ou le donateur pour lui et ses ayants cause à titre gratuit, avec d’autres associés ou par une personne seule (depuis le 1er janvier 2019 pour une personne seule), pour elle et ses ayants cause à titre gratuit.
4. Cet engagement porte tout au long de sa durée sur au moins 17 % des droits financiers et 34 % des droits de vote lorsqu’il s’agit de titres de sociétés non cotées (et sur au moins 10% des droits financiers et 20 % des droits de vote s’il s’agit de titres de sociétés cotées).
5. Lors de la transmission des titres, chaque héritier , donataire ou légataire souhaitant bénéficier des dispositions de l’article 787B du CGI devra prendre l’engagement individuel de conserver les titres transmis pendant une durée de quatre ans minimum à compter de la fin de l’engagement collectif.
6. L’un des associés signataires de l’engagement collectif de conservation ou l’un des donataires, héritiers ou légataires devra exercer dans la société, pendant la durée de l’engagement collectif et pendant les trois années qui suivent la date de la transmission, une fonction de direction (énumérée au 1° du 1 du III de l’art 975 du CGI).

Dans le cadre d’un GFA, l’exonération au titre d’un pacte Dutreil ne pouvant concerner que la transmission de titres d’une société exerçant une activité agricole (et non civile), tout l’enjeu sera de s’interroger sur la qualification d’ exploitant agricole du bailleur à métayage, à savoir le GFA (Nous partirons ici du postulat que les autres conditions du pacte sont remplies, ces dernières ne posant pas de difficultés particulières).

II : Le caractère incertain d’exploitant agricole du bailleur à métayage en matière de droits d’enregistrement et d’impôt sur la fortune.

La question de la qualification d’exploitant agricole du bailleur à métayage en matière d’enregistrement et d’impôt sur la fortune dont les régimes se rapprochent) reprend tout son sens aujourd’hui. La réforme de l’IFI, portée par la loi de finances pour 2018, n’a pas pris le soin de définir l’activité agricole dans son nouvel article 966 du CGI, laissant planer un doute sérieux concernant le bailleur à métayage. Où en sommes nous aujourd’hui ?

Le point de départ de cette recherche peut être l’ancien article 885N du Code général des impôts (CGI), qui définissait les biens professionnels comme : « Les biens nécessaires à l’exercice, à titre principal, […], d’une profession industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale ».
C’est à partir de cette disposition que la jurisprudence a recherché si la qualification de « profession agricole » pouvait s’appliquer à l’endroit du bail à métayage en matière d’impôt sur la fortune.

Dans un premier temps, la chambre commerciale de la Cour de cassation avait commencé par caractériser, de façon simple, l’exercice d’une profession agricole par l’imposition des revenus afférents aux biens en question dans la catégorie des bénéfices agricoles (Cass, Com, 10 mai 1989).

Puis, de façon plus restrictive, elle a considéré qu’une profession agricole, au sens de l’article précité, était caractérisée à l’endroit du bailleur à métayage par l’exercice d’une activité constituant « l’essentiel de son activité économique » ou lui procurant la majeur partie de ses revenus (Cass, Com, 24 novembre 1992 ; Cass, Com, 27 juin 1995).

Mais aucune de ces définitions ne pouvant apporter de réponse suffisante aux juges du fond face à la diversité des cas qui leur ont été soumis, la chambre commerciale a, par un arrêt du 8 mars 2005, préféré laisser à ces derniers la possibilité de recourir à un faisceau d’indices dans la détermination, au cas par cas, de la nature professionnelle agricole de l’activité (Cass, Com, 8 mars 2005).

En parallèle, alors que la doctrine administrative considérait les biens ruraux donnés à bail à métayage comme des biens professionnels au sens de l’ancien impôt sur la fortune, ce qui impliquait en soi que l’activité de bail à métayage pouvait être considérée comme une activité agricole ; le remplacement de l’ISF par l’IFI a créé une importante ambigüité. L’administration fiscale n’ayant pas repris son ancienne solution dans sa doctrine aujourd’hui en vigueur, le bailleur à métayage ne sait plus s’il peut encore être considéré ou non comme un exploitant agricole, dès lors qu’il n’exerce dans les faits qu’une simple location, par nature civile.

Une réponse ministérielle récente « Simian » n°7982, publiée au journal officiel de l’assemblée nationale le 21 mai 2019, a d’ailleurs jeté l’effroi parmi les bailleurs à métayage, en définissant l’exploitation agricole d’un GFA dans le cadre d’un bail à métayage, par la participation : « active et habituelle au devenir et au choix de l’exploitation donnée à métayage ». Cette condition impliquant « la constatation d’une participation effective, la seule existence du bail à métayage ne pouvant suffire ».

Certains juges du fond avaient d’ailleurs, antérieurement à cette réponse, refusé la qualification de professionnel agricole aux bailleurs à métayage (en matière d’ISF) du fait de l’absence de certains indices, ce qui peut offrir une certaine source d’inspiration pour les praticiens pour l’avenir :
- L’accomplissement d’actes précis ou de diligences réelles caractérisant l’exercice d’une profession ;
- L’exercice d’une activité régulière, continue et effective, de nature à procurer à celui qui l’exerce le moyen de satisfaire aux besoins de l’existence ;
- L’exercice effectif de l’activité supposant, de la part de celui qui l’exerce, un rôle de gestion devant absorber une partie de son temps [4].

Plus grave encore, dans une jurisprudence ancienne, la chambre commerciale de la Cour de cassation avait pu énoncer, alors qu’un GFA avait donné son domaine à bail à métayage, qu’il «  n’avait plus d’activité agricole puisqu’il avait remis l’exploitation de son domaine à des tiers  » (Cass, Com, 27 juin 1995, n°93-18-816).

En matière d’impôt sur le revenu et de TVA, en revanche, la solution est bien plus claire.

III : Le caractère certain d’exploitant agricole du bailleur à métayage en matière d’impôt sur le revenu et de TVA.

Même s’il ne s’agit pas de droits du mutation à titre gratuit ou d’impôt sur la fortune (dont les régimes intéressent le pacte Dutreil), il est notable pour rappel que la loi fiscale considère le bailleur à métayage comme un exploitant agricole en matière de bénéfices agricoles et de TVA.

En effet, la jurisprudence fiscale considère de manière pérenne le bailleur à métayage comme un exploitant agricole (Cass, Com, 18 février 1997).

En outre, l’administration fiscale énonce clairement, dans sa doctrine à jour du 7 septembre 2016, que le propriétaire qui donne en location ses biens ruraux en vertu d’un bail à métayage présente au même titre que le métayer, la qualité d’exploitant agricole (BOI-BA-CHAMP-20-10 §80). Au regard de la TVA, elle énonce là encore expressément dans son BOFIP à jour du 2 mars 2016 que le bailleur à métayage est réputé exercer conjointement l’activité agricole avec son métayer (BOI-TVA-SECT-80 §70).

En résumé :

La jurisprudence et la doctrine administrative ne se sont pas encore prononcées depuis la loi de finances pour 2018 instaurant l’IFI sur le caractère d’activité agricole ou civile du bail à métayage, et donc sur la possible application d’un Pacte « Dutreil » à la transmission de titres du GFA bailleur. Dès lors, il semble nécessaire, afin de pouvoir s’en prévaloir devant l’administration et le juge, de démontrer que le GFA exerce une véritable activité professionnelle agricole et ne se contente pas d’une simple location de biens ruraux en métayage de façon passive, qui aurait un caractère civil.

Cette qualification sera alors appréciée souverainement par les juges du fond, au travers d’un faisceau d’indices. Le GFA devant dès lors apporter la preuve d’une participation effective dans l’exploitation des biens ruraux donnés à bail à métayage, ce qui lui procurerait des bénéfices agricoles significatifs. Une telle preuve parait en réalité particulièrement difficile à apporter.

Les praticiens attendent désormais une solution claire de la part de la jurisprudence et de la doctrine administrative. Néanmoins, dans cette attente, on peut rappeler qu’un GFA qui donne à bail à long terme des biens ruraux pourra bénéficier d’une exonération partielle particulière de droits de mutation à titre gratuit sur ses titres transmis (bien qu’elle soit moins intéressante que celle prévue par le pacte Dutreil), sous réserve du respect de certaines conditions [5].
Cela peut être une alternative séduisante dans l’attente d’une réponse claire du droit positif sur la qualité d’exploitation agricole du bailleur à métayage, pour la possible application d’un pacte « Dutreil ».

Affaire à suivre…

Hadrien BERTHIER
Etudiant en Droit des affaires

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Notes de l'article:

[1« Le groupement foncier agricole a pour objet soit la création ou la conservation d’une ou plusieurs exploitations agricoles, soit l’une et l’autre de ces opérations. Il assure ou facilite la gestion des exploitations dont il est propriétaire, notamment en les donnant en location dans les conditions prévues au titre Ier du livre IV du présent code portant statut du fermage et du métayage » (Article L322-6 du Code rural et de la pêche maritime).

[2« Le bail à métayage est le contrat par lequel un bien rural est donné à bail à un preneur qui s’engage à le cultiver sous la condition d’en partager les produits avec le bailleur » (Article l.417-1 du Code rural et de la pêche maritime)

[3Le pacte Dutreil, sous réserve de différentes conditions, permet de bénéficier d’une exonération de droits de mutation à titre gratuit à concurrence des trois-quarts de la valeur des titres transmis.

[4Voir par ex : TGI Châlons-en-Champagne, 28 aout 1996, n°1621/95 ; TGI Reims 31 octobre 2001, n°375

[5« Les biens ruraux donnés à bail à long terme et les parts de GFA sont exonérés à concurrence des ¾ de leur valeur jusqu’à 101.897€ et à concurrence de la ½ au-delà de cette limite, à condition que les statuts interdisent au GFA l’exploitation en faire-valoir direct, que le fonds agricole constituant le patrimoine du groupement ait été donné à bail rural à long terme et que les parts aient été détenues depuis deux ans au moins par le donateur ou le défunt. » (Article 793, 1, 4° CGI).

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