La garde à vue des mineurs.

Par Avi Bitton, Avocat et Clémence Ferrand, Juriste.

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La garde à vue du suspect mineur est encadrée par des règles spécifiques, en fonction de son âge, notamment quant à la durée de privation de liberté et à l’assistance de l’avocat.

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Une personne mineure peut faire l’objet d’un placement en garde à vue. Toutefois, des règles spécifiques s’appliquent en vertu de l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante.

Les règles applicables diffèrent en fonction de l’âge du mineur, selon que le mineur est âgé de moins de 10 ans (I), de 10 à 13 ans (II), de 13 à 16 ans (III) ou de 16 à 18 ans (IV).

I. Mineur de moins de 10 ans.

Avant 10 ans, un mineur peut être entendu dans un local de police en qualité de témoin ou de mis en cause, avec ou hors la présence de ses parents.

A l’issue de son audition, il ne peut toutefois pas être maintenu à la disposition des enquêteurs, quelles que soient la nature et la gravité des faits dont il s’agit.

II. Mineur âgé de 10 à 13 ans.

En principe, le mineur âgé de 10 à 13 ans ne peut pas être placé en garde à vue.

1. Conditions de la retenue.

Néanmoins, à titre exceptionnel, il peut faire l’objet d’une retenue, à condition que :
- Il existe des indices graves ou concordants laissant présumer qu’il a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d’au moins 5 ans d’emprisonnement (les règles relatives à la retenue sont donc les mêmes en matière délictuelle ou criminelle) ;
- La mesure soit indispensable pour atteindre l’un des objectifs visés à l’article 62-2 du Code de procédure pénale (empêcher les pressions sur les témoins ou la concertation avec des complices, ...).

La décision de placement en retenue doit être prise par un officier de police judiciaire (OPJ), qui doit avoir préalablement recueilli l’accord d’un magistrat du ministère public (procureur), d’un juge d’instruction spécialisé dans la protection de l’enfance ou d’un juge des enfants.

Le placement en retenue ne peut excéder 12 heures, durée pouvant être prolongée, à titre exceptionnel, pour 12 heures supplémentaires par décision motivée du magistrat ayant décidé du placement en retenue et après présentation du mineur devant lui.

Quoi qu’il en soit, la durée de la retenue doit être strictement limitée au temps nécessaire à la déposition du mineur.

Le magistrat qui autorise la retenue doit en contrôler son déroulement.

2. Modalités de la retenue.

Les dispositions de l’article 4 II, III, IV et VI de l’ordonnance de 1945 relatives aux mineurs placés en garde à vue s’appliquent également aux mineurs placés en retenue :
- L’officier de police judiciaire doit immédiatement informer les parents, le tuteur ou la personne ou le service auquel le mineur est confié de sa retenue ;
- Le mineur doit systématiquement faire l’objet, dès le début de la retenue, d’un examen médical par un médecin désigné par le procureur de la République ou le juge d’instruction. Le certificat médical doit être versé au dossier ;
- Dès le début de la mesure, le mineur doit être assisté par un avocat dans les mêmes conditions que celles prévues en matière de garde à vue des majeurs [1]. Il doit immédiatement être informé de ce droit. Lorsqu’il n’a pas sollicité l’assistance d’un avocat, la demande peut être faite par ses représentants légaux et, à défaut, par le procureur de la République, le juge d’instruction ou l’officier de police judiciaire qui en informent par tout moyen et sans délai, dès le début de la mesure, le bâtonnier afin qu’il en commette un d’office ;
- Les auditions doivent obligatoirement faire l’objet d’un enregistrement audiovisuel. Toute impossibilité technique de procéder à un tel enregistrement doit être mentionnée dans la procédure et doit faire l’objet d’un avis immédiat au procureur de la République.

En outre, le mineur âgé de 10 à 13 ans placé en retenue jouit des dispositions de l’article 803-6 du Code de procédure pénale prévoyant la remise d’un document énonçant les droits dont il bénéficie au cours de la mesure privative de liberté.

3. Fin de la retenue.

La retenue prend fin lorsque le mineur est remis en liberté ou présenté au magistrat chargé de l’enquête qui décidera des suites à donner.

III. Mineur âgé de 13 à 16 ans.

A partir de 13 ans, un mineur peut être placé en garde à vue.

1. Conditions de placement en garde à vue.

Le mineur âgé de 13 à 16 ans se voit appliquer les dispositions des articles 62-2, 62-3 et 63 du Code de procédure pénale également applicables aux majeurs :
- Il doit exister une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement ;
- Le placement en garde à vue doit être l’unique moyen de parvenir aux objectifs énoncés à l’article 62-2 ;
- La mesure est décidée par un officier de police judiciaire qui doit en informer immédiatement le parquet ou le juge d’instruction (article 63) ;
- Le parquet contrôle et met fin ou prolonge la mesure de garde à vue (article 62-3).

2. Durée de la garde à vue.

La garde à vue dure en principe 24 heures.

La durée de la garde à vue peut être prolongée pour une durée supplémentaire de 24 heures maximum, à condition que la peine encourue par le mineur soit d’au moins 5 ans d’emprisonnement et que celui-ci ait été préalablement présenté au procureur de la République ou au juge d’instruction.

En pratique, un mineur âgé de 13 à 16 ans soupçonné d’avoir commis ou tenté de commettre un vol simple pourra être placé en garde à vue pour une durée de 24 heures maximum. En revanche, un mineur âgé de 13 à 16 ans soupçonné d’avoir commis ou tenté de commettre un vol aggravé, par exemple un vol avec violence, pourra être placé en garde à vue pour une durée de 48 heures maximum.

3. Droits du mineur placé en garde à vue.

Le mineur de 13 à 16 ans bénéficie des mêmes droits que les majeurs, visés à l’article 63-1 du Code de procédure pénale. Il doit immédiatement être informé de :
- Son placement en garde à vue, la durée de la mesure et la ou les prolongations dont celle-ci peut faire l’objet ;
- La qualification, la date et le lieu présumés de l’infraction qu’il est soupçonné d’avoir commis ou tenté de commettre ainsi que les motifs de l’article 62-2 justifiant de son placement en garde à vue ;
- Ses droits : faire prévenir un proche et son employeur, être examiné par un médecin, être assisté par un avocat, être assisté par un interprète, consulter les documents mentionnés à l’article 63-4-1, présenter des observations au procureur de la République, faire des déclarations, répondre aux questions ou garder le silence lors de ses auditions.

Quelques spécificités doivent être soulevées s’agissant des droits du mineur âgé de 13 à 16 ans placé en garde à vue.

- Droit de faire prévenir un proche ou son employeur.

L’officier de police judiciaire doit, dès que le procureur de la République ou le juge d’instruction est avisé de la mesure de garde à vue, en informer les parents, le tuteur, la personne ou le service auquel le mineur est confié. En fonction des besoins de l’enquête, cette démarche peut être retardée par le procureur de la République ou le juge d’instruction pour une durée qu’il détermine sans dépasser 24 heures (ou 12 heures lorsque la garde à vue ne peut pas faire l’objet d’une prolongation, c’est-à-dire lorsque le mineur n’est pas soupçonné d’avoir commis ou tenté de commettre une infraction punie d’au moins 5 ans d’emprisonnement).

Si le mineur travaille, il peut également demander à ce que son employeur soit informé de la mesure de garde à vue.

- Droit à l’assistance d’un avocat.

Le mineur « doit être assisté par un avocat dans les conditions prévues aux articles 63-3-1 à 63-4-1 du code de procédure pénale ».

Lui sont ainsi applicables les dispositions relatives :
- A l’entretien de 30 minutes avec l’avocat dès le début de la mesure puis en cas de prolongation de la mesure ;
- A l’accès à certaines pièces du dossier ;
- A l’assistance de l’avocat lors des différentes auditions et confrontations ;
- Au délai de carence de 2 heures applicable pour la première audition.

Aucun aveu ne peut à lui seul faire preuve s’il a été recueilli hors la présence d’un avocat.

Lorsque le mineur n’a pas sollicité l’assistance d’un avocat, cette demande peut être faite par ses représentants légaux, qui sont alors avisés de ce droit lorsqu’ils sont informés de la garde à vue en application du II. de l’article 4 de l’ordonnance de 1945.

A défaut, le procureur de la République, le juge d’instruction ou l’officier de police judiciaire doit, dès le début de la mesure, informer le bâtonnier par tout moyen et sans délai afin qu’il commette un avocat d’office.

Ainsi, le droit à l’assistance d’un avocat est renforcé s’agissant des mineurs. Ces règles sont d’ailleurs rappelées à l’article 4-1 de l’ordonnance du 2 février 1945.

- Droit d’être examiné par un médecin.

L’article 4 III. de l’ordonnance de 1945 indique que dès le début de la mesure de garde à vue d’un mineur de 16 ans, le procureur de la République ou le juge d’instruction doit désigner un médecin qui examine le mineur dans les conditions prévues par l’article 63-3 du Code de procédure pénale.

A la différence des majeurs, le droit d’être examiné par un médecin apparaît comme une obligation et non comme une simple faculté.

4. Enregistrement audiovisuel des auditions.

Comme en matière de retenue, les dispositions de l’article 4 VI. de l’ordonnance de 1945 s’appliquent aux mineurs placés en garde à vue : leurs interrogatoires doivent faire l’objet d’un enregistrement audiovisuel sans que le consentement du mineur n’ait à être recueilli.

Toute impossibilité technique de procéder à un enregistrement audiovisuel doit être mentionnée dans le procès-verbal d’interrogatoire et le procureur de la République ou le juge d’instruction doit en être immédiatement avisé.

IV. Mineur âgé de plus de 16 ans.

Le mineur âgé de plus de 16 ans est traité comme un majeur, sauf s’agissant des conditions de prolongation de sa garde à vue et certains de ses droits.

Pour être placé en garde à vue, il doit en effet remplir les mêmes conditions que celles applicables aux personnes majeures (également applicables au mineur âgé de 13 à 16 ans).

Par principe, la durée de la garde à vue est de 24 heures, durée pouvant être prolongée pour 24 heures supplémentaires sur autorisation du magistrat chargé de l’enquête (48 heures).

De façon dérogatoire, l’article 4 VII. de l’ordonnance de 1945 prévoit que l’article 706-88 du Code de procédure pénale, à l’exception de ses alinéas 6, 7 et 8, est applicable au mineur de plus de 16 ans lorsqu’il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’une ou plusieurs personnes majeures ont participé, comme auteurs ou complices, à la commission de l’infraction.

Cela signifie que dès lors qu’un mineur de plus de 16 ans est impliqué dans une infraction de criminalité organisée visée à l’article 706-73 du Code de procédure pénale à laquelle un ou plusieurs majeurs ont participé, sa garde à vue peut être, en plus des 48 heures déjà écoulées, prolongée d’une durée de 24 heures (72 heures) puis d’une nouvelle durée de 24 heures (92 heures). La garde à vue du mineur de plus de 16 ans ne peut donc excéder 92 heures.

Enfin, le mineur âgé de plus de 16 ans jouit des droits édictés à l’article 63-1 du Code de procédure pénale. Compte-tenu de sa minorité, les spécificités de l’article 4 de l’ordonnance du 2 février 1945 relatives à l’information de ses parents, de son tuteur, de la personne ou du service auquel il est confié et à l’assistance d’un avocat s’appliquent.

S’agissant du droit d’être examiné par un médecin, l’article 4 III. alinéa 2 de l’ordonnance de 1945 indique que les représentants légaux du mineur de plus de 16 ans sont avisés de leur droit de demander un examen médical lorsqu’ils sont informés de la garde à vue et que l’avocat du mineur peut également demander que celui-ci fasse l’objet d’un examen médical.

Par ailleurs, ses auditions doivent bien évidemment faire l’objet d’un enregistrement audiovisuel, sans qu’il soit nécessaire de recueillir son consentement.

Quel que soit l’âge du mineur placé en garde à vue, celle-ci prend fin lorsqu’il est remis en liberté ou déféré, c’est-à-dire présenté au magistrat chargé de l’enquête qui décidera des suites à donner à la procédure.

Celui-ci peut décider de classer sans suite, d’avoir recours à une mesure alternative aux poursuites ou de poursuivre.

Avi Bitton, Avocat au Barreau de Paris
Ancien Membre du Conseil de l’Ordre
Site : https://www.avibitton.com

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Notes de l'article:

[1Articles 63-3-1 à 63-4-3 du Code de procédure pénale.

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